Récits – Paul Borel

TEMOIGNAGES
d’un Résistant du maquis dans le Vercors
Années 1943 – 1946

Paul Borel
Paul Borel

PaulBorel - Ecussons

J’avais 20 ans…

Mon cousin Louis BOUCHIER dit Loulou avait un oncle Secrétaire à la Préfecture de VALENCE. Par son intermédiaire et avec des accointances qu’il avait avec GRENOBLE, il a commencé à monter des groupes francs. Il voulait un réseau de confiance pour cacher des personnes. Il a donc formé une équipe de copains sur TOURTRE et ST.MARTIN. Il nous a convoqués un soir; en tout nous étions dix personnes dont 3 BOREL.

C’est le début d’un projet de résistance.

Ainsi je me suis retrouvé résistant du Vercors de la première heure et engagé volontaire par la suite.

C’était début 1943.

Mon père acharné nous poussait dans ce sens là. Il voulait qu’on prenne notre revanche.

Sur le hameau de TOURTRE il y avait des copains de classe en nombre restreint : 6 au maximum.

Ils avaient été contactés mais restaient sur la réserve. Ils ne voulaient pas faire partie du groupe, mais par contre nous avions de bons rapports et ils ne reculaient pas devant le fait de nous signaler tous mouvements suspects : une montée de Milice ou d’Allemands.

Ils nous prévenaient souvent la veille, quelquefois le matin.

Lorsque les Allemands passaient dans les fermes ils ne trouvaient personne. Les jeunes étaient partis emportant la musette qui, elle, était toujours prête. Ensemble se tenaient à l’orée des bois et regardaient passer les Allemands.

Au début mon rôle dans le maquis était de déplacer les jeunes dans les camps.

Le premier camp était au-dessus de Choranche à la Grande Cornouze.

Un dimanche matin, avec mon frère Georges nous montions au camp avec une vache que nous devions abattre sur place.

En cours de route nous avons rencontré CHAVANT qui redescendait du camp, accompagné d’Alfred ROCHE.

Ce dernier nous dit aussitôt : “vous voyez cette personne (en désignant CHAVANT), vous ne la connaissez pas, vous ne l’avez jamais vue”.

C’était la première fois que je voyais CHAVANT. Il venait de visiter le camp.

Suite à une montée d’Allemands, nous avons déplacé le camp de la Grande Cornouze à Darbounouze.

Janvier 1943

Aux confins du Vercors, à la ferme d’Ambel, au sud de la forêt de Lente s’installe le premier camp de réfractaires. Ces jeunes vivaient en marge de la Société, traqués mais libres (camp n° 1). Ils sont renseignés, ravitaillés, soutenus uniquement par des moyens locaux. Leur mobilité les préserve des incursions de l’ennemi.

Sous couvert d’une exploitation forestière, cet emplacement avait été reconnu en Décembre 1942 par Simon SAMUEL, frère du Docteur SAMUEL, dit Jacques.

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L’idée d’un maquis n’est pas venue par hasard et la résistance va véritablement prendre position dans le Vercors. Ces maquis dont l’effectif en Avril 1943 est d’environ 350 hommes prennent le nom de camps qui seront disséminés sur le plateau dans les régions de VASSIEUX, AUTRANS, ST.MARTIN EN VERCORS, dans les bois et les clairières.

Toute la Drôme sera une terre de résistance. Le Vercors quant à lui, va devenir un lieu prédestiné à cause de l’étendue de son plateau et de son accès difficile. Il sera une terre d’asile providentielle pour les jeunes qui vont fuir le S.T.O. (Service du Travail Obligatoire). On va en faire une zone d’accueil des maquisards, ce qui va changer la face des choses. Il sera envisagé la possibilité de préparer d’éventuels débarquements aéroportés.

Pour ces points de vue, le Vercors fut unique en France.

Bastion naturel, il sera appréhendé par l’Allemand qui veille tout en redoutant. Cette forteresse est une inconnue qu’il faut détruire. Pour cela il fait appel à des troupes entraînées à la montagne, et d’autres troupes entraînées à la sauvagerie; en tout près de 20.000 hommes bien armés.

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L’imposant massif est un lieu géographique rêvé avec des “pas” c’est-à-dire des passages surplombant des précipices, à-pics de plus de 1.000 mètres, des voies d’accès peu nombreuses, d’épaisses forêts, des grottes qui s’enfoncent vers des abîmes sombres et inaccessibles.

Un projet dénommé “Montagnard” est mis au point, dont la partie militaire est étudiée par le capitaine Alain LE RAY et reçoit l’aval de Jean MOULIN et du Général DELESTRAINT. Pierre DALLOZ ira à LONDRES en Février 1943 pour présenter au Général de GAULLE la situation de la résistance française.

Son nom de code “Plan Montagnard” prévoit des actions de harcèlement sur les arrières de l’ennemi au moment du débarquement allié en Provence. Pourrait ainsi protéger les débarquements le temps qu’il faudrait aux unités pour se regrouper. Il ne s’agissait pas de jouer aux petits soldats face à l’occupant qui lui, était formidablement armé.

A ce plan, LONDRES dira que le Vercors devra être préparé pour n’intervenir qu’au moment le plus favorable, voire le seul favorable, c’est-à-dire en même temps que le débarquement en Provence pour prendre à revers la Wehrmacht. Le Vercors devra agir par surprise et rapidement pour aggraver le désordre chez l’ennemi déjà inquiet.

L’hiver arrive, il sera particulièrement rude. On pressentait que les évènements allaient se précipiter avec toutes ses horreurs.

Les maquisards vont se trouver en face de l’ennemi dix fois plus nombreux, entraîné et mieux armé.

Au quotidien la vie n’est pas facile avec tous les soucis d’organisation, d’intendance.

Tous ces jeunes sont mal hébergés, mal vêtus, sans aucun équipement militaire (le premier parachutage n’a pas encore eu lieu, ce sera pour fin 1943).

Nous sommes tous des combattants sans uniforme ni étendard.

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Ces jeunes maquisards ont connu le désespoir de ces jours et de ces nuits où il leur semblait que rien ne se passait et où il fallait attendre, toujours attendre avec la peur qui sonne chaque seconde, mieux que les aiguilles d’une montre.

Fuyant l’oppression, les partisans que nous étions ont tous fait leur devoir. Ils ont affronté tous les dangers. Ils se sont jetés dans cette bataille avec leur inexpérience mais avec cette volonté de liberté.

Ils étaient d’origines diverses, de tous âges (ouvriers, intellectuels, citadins, paysans ..)

Ils vont se heurter à de multiples difficultés; en plus de l’intendance et de l’hébergement, l’armement et les munitions feront défaut, il faut envisager une formation au combat et aussi ne pas mésestimer les risques éventuels d’infiltrations et de trahisons.

Ils ont été des centaines puis des milliers à résister. Quand les uns tombaient d’autres étaient là pour continuer la lutte.

Cette guerre aura brisé, bouleversé toute une jeunesse.

Plus tard, mon cousin Loulou récupèrera des équipements de gendarmes.

En tant que chasseurs, nous avions de grosses chaussettes blanches tricotées par nos mères et nos sœurs avec la laine grasse qui se filait encore au rouet pendant cette période de guerre.

On avait des sacs Lafuma vert et des chaussures de ski.

On peut dire que nous étions habillés en gendarme (à peu près une dizaine du Groupe Franc).

Le 3 Mars 1943, j’entre au Groupe Franc de ROMANS ainsi que mon frère Georges,

Loulou BOUCHIER et son frère Paul.

La résistance c’était la clandestinité et le secret absolu. On ne se connaissait pas d’une commune à l’autre.

Des petits groupes se constituèrent.

On écoute la radio de LONDRES : “ici LONDRES les Français parlent aux Français”

C’est le seul moyen qui permettait de maintenir un lien continu entre les Français de la métropole et ceux de l’extérieur qui refusaient l’armistice.

Le programme de la B.B.C. comprenait une équipe de Français qui avaient un droit d’émission à la radio anglaise. Le Général de GAULLE pouvait parler 5 minutes par soir dans la séquence intitulée “l’émission de la France libre”.

On distribue des tracts.

Les faux papiers seront un élément vital pour les résistants. Ils ont été d’un usage courant pendant l’occupation nazie, maquillés à partir de documents réels, fabriqués par des imprimeurs complices, dérobés par des maires ou des employés d’état civil.

Ils ont sauvé des Juifs, permis aux résistants de se déplacer, trompé la police de Vichy ou la Gestapo.

Des structures clandestines se mettent en place pour prendre en charge des centaines de réfractaires.

Cette année là on a eu un apport de maquisards qui venaient des Chantiers de Jeunesse de Bois Barbu.

Ne voulant pas faire partie des S.T.O. ils arrivaient à ST.MARTIN et le curé du village les plaçait dans les fermes où les enfants étaient aux Chantiers de Jeunesse dans le Var à Pierrefeu.

Tous les Chantiers de Jeunesse du Vercors allaient dans le midi de la France et une partie des Lyonnais venait à Bois Barbu.

Notre curé connaissait toutes les fermes où il plaçait ces jeunes. Tant qu’il n’y a pas eu de mobilisation, ils venaient en aide aux fermiers pour les foins, les moissons, etc ..

Les maquisards avaient des contacts avec eux.

C’étaient des réfractaires et restaient disponibles éventuellement.

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Au printemps 1943, le haut plateau de la Grande Cornouze accueille un des premiers camps du Vercors.

Je reste à la ferme chez mes parents jusqu’en Juillet 1944.

Je ravitaille les camps.

Mon frère et moi nous récupérions des colis, c’est-à-dire des jeunes qui rejoignaient le réseau.

Au hameau de Tourtre, il y avait un petit abattoir clandestin chez un paysan du nom de BERTRAND qui n’a jamais fait parler de lui, mais qui nous a rendu de grands services.

Toutes les bêtes étaient tuées chez lui .

Après l’abattage des bêtes, GRANGE qui était chef de camp à Darbounouze venait avec 5 ou 6 maquisards à la maison chez mes parents.

Ils tapaient à la porte et ma mère se levait, allumait le fourneau (à cette époque il n’y avait pas de cuisinière à gaz). Elle leur préparait à manger en faisant cuire les biftecks qu’ils avaient apportés.

J’ai vu GRANGE transporter une cuisse de bœuf complète dans le sac tyrolien. Et avec son sac dans le dos, de dire aux jeunes : “allez les enfants on repart”

Ils savaient qu’ils pouvaient venir à la maison n’importe quand, et à n’importe quelle heure.

A Tourtre, la maison de mes parents servait de relais.

Quand des jeunes arrivaient, on ne les connaissait pas, mais malgré tout on les couchait dans la chambre des garçons et parfois dans la grange.

A la pointe de jour, mon frère Georges qui était l’adjoint de BOUCHIER les conduisait au maquis à travers bois.

Il nous est arrivé d’avoir la mauvaise surprise de constater un absent au petit matin.

Nous devions rester très vigilants.

Le parachutage tant espéré a lieu en Novembre 1943 à DARBOUNOUZE.

C’est la pleine lune.

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Tous ceux qui avaient entendu le message : “Nous avons visité MARRAKECH”, je redis : “Nous avons visité MARRAKECH” (la procédure voulait que le message répété dans la journée selon la formule “je redis, etc …” confirmait l’opération), étaient venus de partout : d’AUTRANS, de VILLARD-DE-LANS, de ST-JEAN.

Parmi ceux de ST.MARTIN figuraient Alfred ROCHE, Georges BOREL, René MICHEL dit Michelin et moi-même. Il y avait dix fois plus de gens que de parachutes. Certains disaient qu‘il y en avait 9, d‘autres 13, plusieurs se seraient égarés.

Le lendemain je suis allé avec mon frère Marcel pour la manutention des containers. Une partie des armes était stockée chez mon frère René aux Moreaux, ainsi que dans la maison aujourd‘hui en ruines, entre “la Josette” et “les Jaunes” , également dans des grottes situées derrière.

Cet armement pourtant important est insuffisant pour équiper correctement tous les camps. Néanmoins il vient à point nommé pour renforcer notre confiance en l’avenir.

La grotte de l’Ours au collet de la Sarna a abrité des matériels de plusieurs parachutages.

Les containers récupérés étaient reconvertis dans les usages quotidiens : marmites pour chauffer l‘eau, cuire les aliments pour les bêtes, etc..

Mon frère René MICHEL s‘était évadé en 1939 des Ardennes.

En 1941 s’est marié, puis est entré dans la résistance.

Il avait suivi à LOSCENCE une formation d’artificier dans le but de faire sauter le pont de LA BALME DE RENCUREL.

Le meilleur engin pour cela était une bombe au plastic appelée “gamon”. C’était une boule de grosseur variable selon l’usage qu’on voulait en faire. On y enfonçait un gros détonateur dans lequel était inséré un plus petit relié à une mèche lente, le tout emballé dans une chaussette.

Pour couper les routes, on abattait des arbres en les entourant de cordon détonnant, qui en explosant les sectionnait.

Le 22 Janvier 1944 nous avons entendu une fusillade.

Les Allemands venaient de brûler les Baraques et le village de ROUSSET. Loulou, VERA et ROURE sont partis avec la traction en direction des Baraques pour voir ce qui se passait. Ils savaient qu’une colonne allemande montait des Goulets.

En arrivant au tunnel de Baubache (que l’on n’emprunte plus aujourd’hui) c’est-à-dire à l’embranchement de la route qui va à ST.AGNAN, il y a un virage assez prononcé, et là ils se sont trouvés nez-à-nez avec un side-car.

Les motards étaient munis d’un fusil mitrailleur.

Les trois occupants de la traction sortent en vitesse de la voiture et bloquent les portières.

Ils partent en direction du bois qui surplombe la route. En connaisseur, Loulou va l’emprunter, suivi de VERA.

Le Lieutenant ROURE prend le chemin ne sachant pas qu’il redescend sur la route. Se retrouve face aux Allemands qui l’attendaient. Est fusillé sur le champ.

Dans le même temps Paupaul et moi revenions de ST.MARTIN. Au niveau du cimetière nous nous camouflons sous un mur. Les Allemands passaient sur la route en contrebas, à environ 100 mètres de nous.

En tête du convoi, nous voyons arriver la traction de Loulou BOUCHIER, suivie de motards Allemands.

Nous allons aussitôt au P.C. de THIVOLLET à ST.MARTIN pour leur dire que Loulou avait dû se faire prendre car il n’était pas dans la voiture.

La consternation est grande.

Au milieu de la conversation, la porte s’ouvre avec fracas et d’un grand éclat de rire :

Oh dit-il “ils ne me tiennent encore pas”.

C’était Loulou.

Dans la nuit du 22 Janvier Paupaul et moi partons à VILLARD-DE-LANS. Nous devions rencontrer un “préposé mineur” qui avait pour mission de faire sauter le pont de la Goule Noire, or le message que nous lui apportions était de ne pas le faire sauter. Partis à pied, nous marchions en contrebas de la route, à 5 mètres de toute la colonne allemande qui nous a doublés.

Arrivés à VILLARD-DE-LANS, nous sommes allés dans un hôtel. Après avoir frappé à la porte, une personne a ouvert, braquant son révolver sur nous.

Nous lui avons aussitôt transmis notre message.

VILLARD-DE-LANS était ville ouverte, libre de toute résistance.

Avec mon cousin Paupaul, nous portions des messages à droite et à gauche. Tous ces déplacements se faisaient à pied (le seul moyen en notre possession), alors que mon frère Georges était en permanence sur des coups de mains. C’était le bras droit de Loulou et tous deux se déplaçaient avec une moto ou une traction Citroën.

Nous étions habillés tout simplement en civil. Nous n’avions pas d’équipement militaire ni d’armes.

Il y avait un camp à DARBOUNOUZE. C’était un pôle de résistance déterminant pour la sauvegarde de notre liberté : rencontres clandestines, secrètes.

Nous avions eu connaissance de la montée d’Italiens avec la milice dans cette direction. Là nous avons eu besoin des services de mon père qui connaissait toutes les montagnes, parce qu’ancien forestier.

Les Allemands avaient des cartes d’état major et n’avaient pas de peine pour repérer les emplacements des camps.

Sachant qu’ils allaient venir le lendemain, le camp a été déplacé dans la nuit et amené vers une grotte où il y avait de la glace en permanence, car avant tout il fallait rechercher un point d’eau.

En revenant le lendemain matin, mon père et mon frère arrivaient au-dessus de TOURTRE quand ils se sont trouvés en face des Italiens et de la milice qui eux allaient en direction de DARBOUNOUZE. Habillés comme des paysans, ont dit être des bûcherons qui descendaient des bois.

Dès que le groupe a été croisé, mon père donna l’ordre à mon frère de partir en vitesse pour avertir les copains. Il a pris le bois à vive allure.

Mon père, âgé de 60 ans n’avait peur de rien. Il est rentré à la maison.

En Avril 1944, la milice s’installe à LA CHAPELLE, à VASSIEUX et dirige l’oppression sur les maquisards et sur les habitants qui sont soupçonnés d’aider la résistance.

En effet en chacun des Français il y a eu un esprit de renoncement ce qui a été un élément déterminant pour la sauvegarde de notre liberté.

Le signal du chamois

Les premiers jours de Juin 1944, la B.B.C. diffuse d’abord trois vers de Verlaine :

“les sanglots longs
des violons
de l’automne”.

puis la 2ème strophe :

“blessent mon cœur
d’une langueur
monotone”.

C’est la veille du 6 Juin 1944. Le débarquement est pour demain.

C’est le soulèvement général, l’exaltation est à son comble.

Chaque maquis guette son message.

Un écho retentit, pour le Vercors, ce sera : “le chamois des Alpes bondit”

Les volontaires affluent de toutes parts : près de 4.000 hommes.

Le 9 Juin 1944, je suis affecté à la Compagnie Goderville (Jean PREVOST). Ce normalien journaliste et écrivain, capitaine GODERVILLE au maquis a pris la tête d’une compagnie de chasseurs alpins et participera à la bataille de Valchevrière.

Je le connaissais depuis pas mal de temps car il venait à la maison chez mes parents. Il s’installait sur la table de la cuisine, noircissait des pages et des pages de papier. Il ne se séparait jamais de son bloc notes et de son stylo. Il prenait toujours des notes. C’était un écrivain de renom. Au début, certains le prenaient pour un espion, mais très vite ont découvert en lui l’étoffe d’un grand résistant.

Nous étions cantonnés à la ferme d’Herbouilly. C’était le P.C. PREVOST.

NISSE était chef d’une section au Frier du Bois au-dessus du village de CORRENCON, sous les ordres de GODERVILLE, en alternance avec Loulou.

Cet Alsacien avait été incorporé de force dans l’armée allemande : “Les Malgré Nous”.

Après avoir déserté a rejoint le Vercors.

Au début je m’occupais du ravitaillement que je montais tous les jours avec mes deux mules, jusqu’au Frier du Bois.

Les 13 et 14 Juin, les Allemands montent de GRENOBLE et attaquent SAINT-NIZIER-DU-MOUCHEROTTE, principale porte au nord du Vercors.

Une importante artillerie allemande se lance à l’assaut des maquisards. Ces derniers se replient. Les Allemands entrent dans ST.NIZER, pillent et incendient les maisons.

Le plateau du Vercors est désormais facilement accessible par ST.NIZIER et ENGINS.

Va commencer alors la bataille du Vercors, elle durera 1 mois ½.

Après les combats de SAINT-NIZIER des 13 et 14 Juin, la Compagnie prend position dans les forêts d’Herbouilly au-dessus de CORRENCON, au Frier du Bois jusqu’au col de la Sambue où auront lieu les combats, du 21 au 23 Juillet.

Ma plus grande frayeur :

C’était en Juillet 1944.

Je descendais d’HERBOUILLY pour porter un pli au P.C. de ST.MARTIN (le Pas de ST.MARTIN dit la Pia) qui passe sur la falaise de Roche Rousse qui domine ST.MARTIN.

Assis tranquillement sur un gros rocher, je surveillais les allées et venues d’un avion qui passait en dessous de moi.

Je n’imaginais pas que le pilote pouvait me voir.

Il s’est éloigné de la falaise comme s’il partait, et à ma grande surprise je le vois revenir et se dresser en montant droit devant moi, me prenant pour cible avec le tir de sa mitrailleuse. Je suis parti à vive allure.

“Erreur de jeunesse”.

Le 3 Juillet 1944, une affiche rédigée par Eugène CHAVANT “le Patron” est placardée un peu partout dans le Vercors :

“Population du Vercors” la République Française a été officiellement restaurée dans le Vercors.

A dater de ce jour les décrets de VICHY sont abolis et toutes les lois républicaines remises en vigueur…..

Notre région est en état de siège …..

Habitants du Vercors, c’est chez vous que la grande République vient de renaître. Vous pouvez en être fiers ….

Vive la République Française

Vive la France

Vive le général de GAULLE”.

L’arrivée des Alliés sur le sol français à la suite du débarquement en Normandie le 6 Juin 1944 va faire précipiter les évènements.

L’effectif des maquisards passe en 48 heures de 400 à 4000 hommes venus de toutes parts, à bicyclettes ou par autobus entiers. La moitié de ces hommes seulement sont armés de fusils mitrailleurs et de quelques mitrailleuses, mais pas d’armes lourdes pourtant réclamées.

Le 13 Juillet, premier bombardement sur le village de VASSIEUX. Il y aura des blessés et plusieurs morts.

Le lendemain matin 14 Juillet, les Alliés procèdent à un important parachutage de vivres et de munitions sur la plaine de VASSIEUX, ce qui a probablement attiré l’attention de l’ennemi, car quelques instants plus tard l’aviation allemande va effectuer des raids aériens sur tout le plateau. Le village sera mitraillé et bombardé jusqu’à la nuit. Mais le pire reste encore à venir.

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Le maquis est informé d’une attaque imminente. Les Allemands sont partout. Le Vercors est complètement encerclé.

Le 15 Juillet, ils font sauter le tunnel d’Engins. La compagnie GODERVILLE prend position au sud de VILLARD-DE-LANS. Le rapport de force n’est pas en faveur du Vercors. Les maquisards devront faire face à une action de grande envergure de plus de 15.000 hommes menée par le Général Allemand PFLAUM (ce sera la plus grande offensive jamais lancée contre un maquis).

Juillet 1944 sera le déferlement de l’envahisseur sur tout le Vercors.

Atteignant la chaîne du Veymont, une bataille fera rage au Pas de l’Aiguille où une vingtaine de maquisards seront coincés dans une grotte prise sous le feu ennemi.

Puis le 21 Juillet à CORRENCON, les 22 et 23 Juillet attaque généralisée sur la SAMBUE et VALCHEVRIERE.

Le 21 Juillet à 9 heures du matin, au-dessus du col du Rousset, surgissent en trois vagues successives, des avions allemands qui larguent des planeurs sur VASSIEUX aux lisières du village et hameaux environnants.

Ce même jour deux messages radio partiront de LA CHAPELLE à destination de LONDRES et d’ALGER disant leur amertume d’avoir été abandonnés sans appui au moment du combat et leur signifiant n’avoir rien compris à la situation dans laquelle se trouvait le Vercors.

Ce dernier voulait une large piste d’atterrissage pour les parachutistes Alliés afin de prendre à revers l’ennemi au moment du débarquement en Provence.

Voyant les croix noires, les gens ont crié «les boches arrivent” alors qu’ils attendaient les Alliés. Les maquisards ainsi que les civils qui avaient participé à la préparation du terrain d’atterrissage ont été abattus avant même qu’ils aient eu le temps de faire feu.

Contre cette grande offensive, les résistants tentent l’impossible face à l’ennemi retranché à l’intérieur même du village.

Une unité spéciale supérieurement entraînée, équipée, venue de STRASBOURG, prend position en quelques minutes du village de VASSIEUX.

On ne pensait pas voir les Allemands arriver en planeurs.

Toutes les unités disponibles ont été demandées en renfort, mais en vain. Durant trois jours dans le village et aux alentours, l’ennemi exécute l’ordre reçu “Tout Détruire”

Va s’acharner avec une incroyable sauvagerie sur la population civile : femmes, enfants vieillards, malades. Personne ne sera épargné.

Ce n’est plus qu’un immense charnier, un champ de ruines. On comptera 178 tués à VASSIEUX (civils et résistants).

UN SILENCE DE MORT REGNE SUR VASSIEUX

Le 23 Juillet le Poste de Commandement du Vercors donne l’ordre aux maquisards de se disperser dans les forêts.

Après l’ordre de dispersion, Goderville m’envoie en mission à Valchevrière. Je devais dire à la section CHABAL que c’était terminé, mais vers Chalimont j’ai rencontré un jeune chasseur du 6ème B.C.A. qui remontait en tenant une belle jument. Il me dit de ne pas aller plus loin, il ne restait que des morts.

Au pas de la Sambue les chasseurs ont tenu deux jours.

Des troupes allemandes spécialisées montent par escalade à l’assaut des “pas”, s’infiltrent dans les bois et prennent les maquisards à revers.

Le lieutenant CHABAL et ses chasseurs se sont engagés dans un combat farouche et désespéré face aux Allemands qui surgissent de toutes parts. Autour de CHABAL les rangs s’éclaircissent. Il rédige le message suivant à l’intention du capitaine GODERVILLE :

“Je suis complètement encerclé, nous nous apprêtons à faire SIDI-BRAHIM – Vive la France”.

A 11 heures, CHABAL est touché à mort, le 23 Juillet 1944.

A 15 heures, Valchevrière est tombé.

Avant de succomber, CHABAL a eu le réflexe de jeter dans le vide son carnet contenant les noms de ses chasseurs.

Paul Borel Chabal

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Croix du Belvédère de Valchevrière

Après l’ordre de dispersion du 23 Juillet une partie de la compagnie Goderville ira à Tourtre et demandera à la population d’évacuer les maisons.

Beaucoup de résistants vont se réfugier dans les forêts; s’éloignent des routes et des points de passage. Les Allemands n’ont pas osé les suivre.

Ces mêmes résistants se retrouvèrent un mois plus tard parmi les libérateurs de GRENOBLE, de ROMANS et ensuite dans l’armée du Maréchal de LATTRE DE TASSIGNY.

GODERVILLE (Jean PREVOST) partisan d’une France libre dès 1940 quitte son dernier refuge de la grotte des Fées le 1er Août 1944. A la sortie des grottes d’Engins, avec quatre autres compagnons seront surpris et exécutés par un poste Allemand.

Il avait fait sienne l’idée que “l’action est la sœur du rêve”.

Paul Borel Goderville Paul Borel 10

L’action des F.F.I. a favorisé l’heure de notre délivrance. Elle aura permis et évité aux troupes alliées des semaines de combat, sauvant ainsi de nombreuses vies humaines.

Malgré tout nous étions les seuls à ne jamais perdre le contact de l’ennemi.

Le Maréchal de LATTRE faisait cette citation ; “A ceux qui voudraient minimiser le mérite de nos maquis, le Vercors apporte son démenti. Ici, on n’a pas fait la petite guerre, on a fait la guerre”.

Elle est cette autre guerre : celle de l’ombre, de la lucidité patiente, exigeant un héros anonyme, invisible et partout présent.

Nous n’étions pas des surhommes : “nous avons fait notre boulot” et risqué notre vie pour des fautes qui n’étaient pas les nôtres. Notre seul mérite est d’être allé sans faillir jusqu’au bout de nos engagements.

“Tes fils ont choisi la liberté, cette rebelle”. Au cours de l’une de mes participations avec élèves et personnalités, certains ont dit que cette devise m’allait bien, parce que définissant la résistance comme étant de tous les temps.

Les combattants volontaires que nous étions ne se démobilisent jamais.

Après les bombardements de VASSIEUX et de LA CHAPELLE, les 12, 13 et 14 Juillet, les raids aériens quotidiens s’intensifient. La population s’inquiète, va fuir, essayer de se cacher pour échapper à l’ennemi.

Les paysans que nous étions n’avions pas de biens à défendre sauf les valeurs auxquelles nous croyions. Nous ne pouvions accepter l’idée de voir la disparition de la France.

Sans hésiter, ma mère, ma sœur Marie-Jo qui avait 19 ans, mon plus jeune frère Clément de 14 ans sont partis s’abriter dans une grotte située au-dessus de TOURTRE. Il y avait aussi une amie, mon oncle BOUCHIER, sa femme (parents de Loulou) leur fille Janick et notre chienne Belle.

Des patrouilles allemandes circulaient dans la journée. Un avion “mouchard” tournait tous les jours et mitraillait dans tous les sens.

Ma mère et mon oncle sortaient la nuit pour aller chercher de l’eau à l’Adoin et des branchages pour cacher l’entrée de la grotte; les chèvres avoisinantes venaient manger les feuilles et pour leur garder un aspect naturel il fallait quotidiennement les remplacer.

Comme nous la chienne sentait le danger et n’aboyait pas. Elle sortait la nuit, sans bruit pour aller boire à l’Adoin.

Un jour, sa queue s’est mise à remuer, c’était le signe qu’elle avait reconnu l’un des nôtres. En effet nous venions mes frères et moi-même prendre des nouvelles de la famille. Il y avait aussi d’autres personnes dont GODERVILLE.

Vite, ma mère nous a donné un peu à manger. Ca se limitait à un morceau de pain et de jambon (nous étions bien contents d’avoir quelque chose à manger).

En partant de la maison ma mère avait pris le temps d’emporter deux pains de 2 kg et un jambon.

Nous avons laissé dans la grotte nos costumes de gendarmes, nos mitraillettes et sommes repartis le lendemain matin.

Avant de quitter la maison pour se réfugier dans la grotte, ma mère avait pris la précaution de mettre dans des coffres en bois, du linge, des vêtements qu’elle avait enterrés ensuite dans le jardin, mais les Allemands ont bien vu que la terre avait été remuée. Ils ont tout déterré, piétiné, déchiré. Dans la maison ils ont vidé les tiroirs, emporté tout ce qui était photos, médailles, livrets militaires. Tous les papiers de famille ont été perdus. Il ne nous est rien resté.

Quand ma mère est rentrée 3 jours après, tout ce que les Allemands n’avaient pas emporté était jeté au milieu de la cuisine. Tout était détérioré, sali.

Avant tout, ils cherchaient des armes.

Par contre, ils n’ont pas vu les pommes de terre cachées à la montée de la grange mais ont bien su trouver les bonbonnes d’alcool dans la cave. Quelque temps auparavant nous avions monté dans le Vercors une citerne complète d’alcool à 90° prise aux Allemands et mise à l’abri.

Mon père qui était resté à TOURTRE part au bois des “Scies” avec mon frère Gilbert. Il avait attelé deux vaches à son char.

En passant à côté d’un car abandonné devant l’école de TOURTRE ils ont entendu des gémissements. A leur surprise, ils ont trouvé un jeune chasseur qui avait un pied bot et une fracture de la jambe, délaissé par ses copains.

Mon père a fait demi tour jusqu’à la maison, prendre un matelas qu’il a mis sur le char pour y allonger le blessé et ensuite aller au bois des “Scies”.

Là mon frère Gilbert qui n’avait que 18 ans va s’occuper de ce jeune chasseur pendant trois semaines, à le soigner et le nourrir.

Mon père est rentré à la maison. Les Allemands étaient là; ils ne l’ont pas inquiété mais il était contraint de rester chez lui, car recensé matin et soir.

Sans nouvelles de toute sa famille, il était très soucieux.

Après de longues semaines, Gilbert a pu revenir à la maison avec son blessé. Les Allemands semblait-il étaient partis, mais ils revenaient de temps en temps et rentraient dans les maisons.

Nous avions vite installé notre protégé dans la cave. Heureusement pour tout le monde ils n’ont pas eu l’idée de descendre à la cave.

Au cours de leurs perquisitions, les Allemands ne trouvaient personne dans les maisons, aussi ils donnèrent l’ordre à la population cachée de réintégrer leurs habitations dans un délai bien précis. Passé ce délai ils tireraient sur tout ce qui bougerait.

Tout le monde est rentré à TOURTRE. Le recensement se faisait tous les jours.

A TOURTRE il y avait une ancienne colonie de vacances. Les Allemands sont venus l’occuper et ont demandé aux jeunes femmes du pays de venir faire le ménage. Ma sœur et une voisine n’ont passé qu’une journée à balayer et faire la vaisselle. Ces soldats étaient couchés avec paquetage et fusil à la tête du lit prêts à partir au moindre signalement.

Elles ont eu très peur mais n’ont pas eu à déplorer le moindre geste déplacé de la part de ces soldats.

La période d’occupation sur TOURTRE dura trois semaines. L’ennemi s’en va enfin, mais revient quelques jours plus tard pour faire sauter la maison qu’il avait occupée.

Le café BOUCHIER a sauté lui aussi (les propriétaires avaient pris la sage décision de ne pas rentrer tout de suite car ils craignaient des représailles).

On ne sait pas par quel miracle la maison BOREL a été épargnée (elle était visée elle aussi).