Récits – André Madeline – En route pour le maquis

André Madeline dit “CALVA”

Andre Madeline

DU VERCORS AU RHIN

Histoire du C2
devenu le C12 pour être dans l’Armée régulière
le 2ème Peloton du 2ème Escadron
du 11ème Régiment de Cuirassiers

EN ROUTE POUR LE MAQUIS
OUISTREHAM-RIVA-BELLA (Calvados)

3 Janvier 1944 – CALVADOS

Sur le quai de la petite gare de OUISTREHAM RIVA BELLA qui, à l’époque, est reliée à Caen par un petit tortillard Decauville, MADELINE André, alias “LE CHAT MAIGRE” et JOLIVET Jean alias “LA FOUINE” (son cousin) se font leurs adieux. Ils ont reçu du “PUTOIS”, leur contact de réseau, l’ordre formel de quitter au plus tôt la région, car ils sont grillés.

“LE CHAT MAIGRE” part avec “POPAUL” qui vient de recevoir un ordre de réquisition pour le STO en Allemagne. Ils vont ouvrir une filière pour atteindre le maquis, qui, si tout va bien, sera suivie par “LA FOUINE” et un autre compagnon (etc.). Le mot de passe qui doit se trouver dans le texte de la lettre que le “CHAT MAIGRE” devra envoyer quand la filière sera ouverte est “POIL”.

“POPAUL” était employé à COLLEVILLE-SUR-ORNE (Calvados) dans une confiturerie réquisitionnée par les Allemands. Ils avaient découvert qu’il y avait des vitamines dans les petites boules des arbousiers qui poussaient sur le bord de la côte normande et ils les incorporaient dans les confitures.

Les travaux de défense de la côte les obligeant à détruire tous les arbousiers qui auraient pu servir à camoufler des parachutistes alliés, les Allemands firent ramasser des fruits d’arbousier dans la région de MONESTIER-DE-CLERMONT (Isère). Les chauffeurs de camion envoyés pour rapporter ces fruits logèrent à l’hôtel de la Gare chez Monsieur PERRIN.

A tour de rôle en panne (comme par hasard), ils rentrèrent avec leur chargement pourri et inutilisable. Au retour, ils racontaient que, dans la montagne, les maquisards avaient….. même des canons !!! Bref, la destination choisie fût l’hôtel de la Gare.

A cette époque, GRENOBLE était en pleine effervescence. Il était très difficile pour des étrangers à la région de traverser celle-ci sans se faire remarquer. Les Allemands avaient refusé de libérer les nombreux otages qu’ils avaient arrêtés. En représailles, le 2 décembre 1943 la résistance avait fait sauter un important dépôt de munitions à la caserne de BONNE faisant de nombreuses victimes Allemandes et Italiennes, mais aussi, hélas, civiles.

Dans ces conditions, contournant la région par le Sud, nous avons pris le train en suivant la direction : CAEN-PARIS-LYON-LIVRON-DIE et VEYNES, puis la micheline jusqu’à MONESTIER-DE-CLERMONT.

A MACON, lors du passage de l’ancienne ligne de démarcation entre la zone occupée et la zone dite “libre”, contrôle Allemand dans le train. Après un bref interrogatoire sur notre destination, “LE CHAT MAIGRE” pressentait un ARBEITS-VERTAG (contrat de travail allemand), les contrôleurs Allemands n’insistèrent pas et nous continuons notre route, décontractés.

A Veynes, nous évitons les Miliciens qui font un ratissage dans les rues, sautons au dernier moment dans la micheline et arrivons sans encombre, du moins le pensions nous, à MONESTIER-DE-CLERMONT. Du passage à niveau qui est à la sortie de la gare, nous apercevons l’enseigne de l’Hôtel de la Gare, quand en embuscade, cachés par le passage à niveau, des gendarmes Français nous interpellent, nous demandent notre destination et nos papiers. Nous nous rendons compte à leur mimique que nous ne les avons pas convaincus lorsque nous leur avons débité notre histoire de visite à notre oncle Monsieur PERRIN. Et pour cause, ils font de fréquents arrêts au bar de l’Hôtel et naturellement ils connaissent très bien le patron.

Ils nous confisquent nos cartes d’identité et nous demande de venir les retirer à la gendarmerie.

Nous arrivons à l’Hôtel, mettons Monsieur PERRIN au courant, craignant que les gendarmes ne soient pour les Boches et qu’avec nos papiers, ils ne remontent jusqu’à nos familles. Finalement, un grand gaillard habillé tout en vert (nous nous demandons si ce n’est pas une sorte de milicien car nous n’avions pas de chantier de jeunesse en Normandie), nous questionne sérieusement, puis nous rend nos papiers. Nous avions eu de la chance que les gendarmes de MONESTIER-DE-CLERMONT soient de chauds partisans de la résistance et avaient pour mission de filtrer tout nouvel arrivant dans la région.

A l’hôtel les journées deviennent vite interminables, à jouer aux cartes, à scier du bois ou à rouler des cigarettes de ‘’restrictions”. Pendant ce temps, la servante de l’hôtel établit des contacts avec la résistance locale. Elle nous fait rencontrer dans la rue, “EMMANUEL MOLLE”, chef des EQUIPES CIVILES qui nous prie de faire prendre d’urgence des renseignements sur notre compte chez Monsieur PERRIN. Enfin JEAN-PIERRE des EQUIPES CIVILES vient nous voir, décide de notre incorporation et nous parle de notre vie future.

Le lendemain nous partons par le train pour descendre à la gare suivante de SAINT-MICHEL-LES-PORTES. Là nous rencontrons comme prévu le Lt. KALK ANDRE ou “JOB-JOB” à qui nous transmettons le mot de passe que nous avait donné JEAN-PIERRE. A la sortie de la gare nous attendent BLANC François “MIMILE” et DECOMBATS Marius “LA TORNADE” accompagné de sa mule “LA TERREUR”, chargée de ravitaillement et sur laquelle nous fixons notre misérable valise. Nous traversons SAINT-MICHEL-LES-PORTES sans nous arrêter et montons vers LA-BATIE-DE-GRESSE à environ 5 Kms.

L’ascension nous est d’autant plus pénible que, venant du bord de mer, nous découvrons pour la première fois la montagne ; et ceci en plein hiver et en chaussures basses de ville. Nous glissons dans la neige, avons les pieds trempés et gelés. La mule qui, comme chacun sait, grimpe aussi vite qu’elle descend, nous oblige à monter rapidement. Malgré cela, nous grelottons sous nos habits civils.

18 janvier 1944 – LA-BATIE-DE-GRESSE C12

Après la scierie “COTE” installée sur un torrent, nous découvrons le camp. Le C 12 est installé dans un ancien camp de jeunesse. Situé au pied du MONT-AIGUILLE (2097 m), sur un terrain en pente, couvert de neige et de glace, il est balayé par un vent glacial. Sur le côté droit s’élèvent des baraquements en bois inhabités. A gauche, des bâtiments en ruines où la pauvre mule a son ‘’écurie”, qui n’a plus que deux murs et demi. En haut, se trouve le PC et la cuisine. En bas, d’anciennes masures où couchent des gars.

L’hiver 1944 est particulièrement rude. Il fait très froid, nous ne disposons pas des équipements qui nous seraient nécessaires. Nous sommes assez bien accueillis par les “ANCIENS”, mais notre enthousiasme très élevé à notre arrivée au camp, est vite rabattu quand nous constatons les faits. Il fallait vraiment avoir une foi à toute épreuve et surtout de la ténacité pour résister et en plus être très débrouillard.

La première nuit que nous passons au camp est particulièrement effroyable. Dans la ‘’carrée” où couche “FEND-LA-BISE”, aussi crasseuse que son occupant, et Gilbert alias “DIOGENE” qui est malade, on nous attribue à “POPAUL” et moi, un châlit dont le fond est un gros treillage métallique, sans paillasse ni matelas, ni couverture. Une épaisse fumée se dégage du poêle. Nous toussons, mais “FEND-LA-BISE” trouve qu’il fait malgré tout, moins froid ainsi. Autant se coucher puisque la nuit est là. Le grillage nous pénétrant dans le corps et bien que nous nous soyons couchés tout habillés, nous passons une nuit blanche à nous geler. Dès le lever du jour, nous nous mettons au travail : tout d’abord, nous ramonons la cheminée qui était totalement bouchée; ensuite, pour avoir du bois sec, nous cassons ou plutôt, nous continuons de casser une baraque. Pour ce faire, “LA TORNADE” nous sert d’instructeur pour faire sauter plusieurs piliers au plastic. Le poêle nettoyé, le feu rallumé, la température remonte et le moral avec. Puis nous nous attaquons à notre lit. Nous faisons un semblant de paillasse avec de la mauvaise paille toute moisie qui sert de toit et de nourriture à notre pauvre mule “LA TERREUR”. On nous attribue à chacun des habits rafistolés, une paire de godasses “CARTON” (c’est ainsi qu’on appelait le mauvais cuir de la période de l’occupation qui laissait pénétrer la flotte), un sac léger “LAFUMA” vide et une couverture “POIL DE CHAMEAU” chantier de jeunesse. Avec cet équipement, nous voilà MAQUISARDS comblés.

“POPAUL”, qui a été apprenti mécanicien, est baptisé “PARE-CHOCS”; “LE CHAT MAIGRE” venant du Calvados est baptisé “CALVA”. Nous sommes affectés à la sizaine de “LA TRINGLE”

A notre arrivée, EFFECTIF DU C12 à LA BATIE DE GRESSE

Chef de camp Lt KALCK “Lt André ou Job-Job”
Adjoint GENOT André “LE BUFFLE”
Chefs de sizaine GARIDOT Joseph “JOE”
POLI Louis “BARON”
SEVESTRE Pierre “LA TRINGLE”
Maquisards DECOMBATS Marius “LA TORNADE”
FRECON Paul “LA MOME”
ALBERTO Pierre “FEND LA BISE” ou “CROQUIGNOL”
MATHEY Etienne “RIBOULDINGUE”
ANNE Raymond “FILOCHARD”
LACASSAGNE Roger “LA MAURICAUDE”
LABOURI Robert “PINTCH”
WICKER Maurice “BACCHUS”
ALLATINI Ariel “CUPIDON”
NADAL Ramis “TATAVE”
PHILIPPE Louis “LA LOULE”
BORDIGNON “MIREILLE”
BARREAU Robert “TARTARE”
BLANC François “MIMILE”
? Gilbert “DIOGENE”
MOISSON Auguste “PARE-CHOCS”
MADELINE André “CALVA”Soit 22 Maquisards

LA VIE AU C12 à LA BATIE DE GRESSE

Le camp C12 est théoriquement protégé par une garde installée à SAINT-MICHEL-LES- PORTES. A La Bâtie de Gresse, celle-ci est reliée par téléphone du café de SAINT-MICHEL à la scierie “COTE” puis basculée sur le P.C. de “JOB-JOB”. L’origine du surnom donné au Lieutenant venait du fait qu’il roulait de nombreuses cigarettes dans du papier de la marque JOB.

L’Armement, parlons-en !!

Où sont les fameux canons de légende ?? A cette époque dans le VERCORS, il n’y en a aucun. L’armement au C12 est pratiquement inexistant : 1 fusil, 1 mitraillette “STEN”, 2 ou 3 revolvers 92 avec très peu de munitions.

Par contre, dés le début de la nuit, nous avons de la lumière électrique produite par une petite turbine de la scierie “COTE”, ce qui nous permet d’écouter la B.B.C., Radio-Vichy et Philippe HENRIOT dans sa rubrique “UN MAQUISARD M’A DIT” sur un vieux mais bon récepteur de T.S.F. Quand il nous appelle ” SERBO-CROATES PARACHUTES”, on n’entend plus le poste !

Pour le courrier, le camp s’appelle “LES CLOVETTES” (hameau imaginaire) par SAINT-MICHEL-LES-PORTES. Chacun d’entre nous a un nom et une profession différente pour éviter le repérage. “PARE-CHOCS” a pris le prénom de Paulette et le courrier nous parvient au nom de Monsieur et Madame André CAMAIGRE, retraités.

Dés notre arrivée au camp, considérant la filière en place, nous adressons à “LA FOUINE” un message dans lequel figure le mot-de-passe prévu “POIL” qui devait se trouver dans le texte. Malheureusement, celui-ci n’a pas pu attendre et a déjà rejoint le Maquis. Il sera tué avec le Lieutenant MINET et plusieurs de ses camarades dans un engagement avec les Allemands à MONTANGES (AIN), le 8 avril 1944.

Nos journées dans le froid, se passent en corvées de flotte.de bois et à entretenir le plus correctement possible notre mule.

Nos cuistots “RIBOULDINGUE” et “LA MOME” opèrent dans des conditions atmosphériques très pénibles. Nous sommes obligés de découper la viande gelée à la hache lorsque nous avons la chance d’en avoir. Le menu est très varié : Blé crevé à l’eau pour la soupe, blé crevé au gras avec un peu de viande, blé au chocolat avec très peu de chocolat et le tout arrosé de “Château-la-Pompe” à la neige fondue. Avec cela, nous touchons une cigarette par jour. On nous apprend que le ravitaillement est assuré par un ravitailleur Juif qui touche 110 francs PETAIN par tête de pipe et par jour (moins 2 francs pour la solde, soit 20 sous). Eh oui ! mais un “canon” de pinard coûte 5 francs au bistrot de LA BATIE. Nous avons appris aussi que notre ravitailleur revend le sucre pour acheter de la saccharine pour, dit-il, boucher les trous de son budget. Des centaines de paires de chaussures de montagne “TRAPPEUR” ont été récupérées par la Résistance, de quoi équiper pratiquement tous les Maquisards de l’époque; mais, au camp, nous n’en avons que deux ou trois paires.

Peu de temps avant notre arrivée, une sizaine dissidente appelée la sizaine FANTÔME, a quitté clandestinement le camp en emportant notamment des conserves. Elle est allée s’installer à LA VILLE prés de GRESSE. Pas un tiers des Maquisards n’a de skis.

A part celles venant du poste de T.S.F., les nouvelles sont rares et nous parviennent souvent avec des retards importants.

Le lendemain de notre arrivée au camp, “DIOGENE”, malade, nous quitte.

Les longs mois d’attente et l’espoir d’un débarquement allié qui n’est pas venu en 1943, les dures réalités de l’hiver ont émoussé toutes les bonnes volontés.

“JOB-JOB” est malade et son dynamisme du départ en a pris un sérieux coup. “LEONIDAS” (“Chef MARTIN”) arrive au camp avec mission de redonner du tonus à un camp qui s’avachit. En ce qui concerne les corvées de ravitaillement à la gare de SAINT-MICHEL-LES-PORTES, ce sont presque toujours les mêmes qui se dévouent: “LA TORNADE” avec “LA TERREUR”, “PARE-CHOCS”, “CALVA” qui en profite pour aller chiner au chef de gare du tabac vert de son jardin, “TATAVE”, très courageux qui boite (il est handicapé à la suite d’un accident) et quelques autres à tour de rôle.

Un autre gars du CALVADOS, “FILOCHARD” est à GRESSE. Il a été blessé sur le dessus de la tête en…….cassant du bois avec une pioche !!! “LEONIDAS” trouve que cela commence à bien faire, l’oblige à rentrer au camp. Il y revient et se foule la cheville en skis, d’où son retour à GRESSE. Il faut dire que sa sœur est venue le voir et est hébergée à GRESSE, alors….

“JEAN-PIERRE” des Equipes Civiles du TRIEVES vient au camp. Il a pour mission de former un camp de “TRIAGE” au hameau de la BATIE-DE-GRESSE. Son but semble évident, il s’agit d’isoler les nouveaux arrivants, le temps nécessaire à la vérification de leur origine, à leur appartenance à nos idées pour démasquer les taupes et par la même occasion, les dégrossir à leur future vie de Maquisard. Ont été affectés à ce nouveau camp : “LA TORNADE”, “MIMILE”, “TATARE”, “CALVA”, “PARE-CHOCS” et certainement le plus jeune maquisard de FRANCE, un gosse d’une douzaine d’années que nous baptisons “BEBE-CADUM”. On nous a raconté qu’à GRENOBLE il faisait partie d’une équipe qui transportait des armes légères et des munitions, à pied, quand, voyant un barrage de contrôle Allemand, il a pris la fuite pour ne pas être arrêté…. Un soldat Allemand en permission en ville, le voyant courir pour échapper au contrôle, a eu le réflexe de la prendre en photo. Par la suite, celle-ci reproduite sur des affiches a été placardée dans toute la ville. La résistance nous l’a envoyé avec “JEAN-PIERRE” pour le mettre en sûreté le temps de trouver une autre solution.

Notre équipe du nouveau camp de triage, revenant de la gare de SAINT-MICHEL-LES-PORTES avec du ravitaillement, se fait allumer par des automitrailleuses Allemandes. Venant de la direction de LUS-LA-CROIX-HAUTE, elles se dirigeaient vers GRENOBLE. Trop loin pour nous atteindre, leur tir est imprécis et personne n’est touché, heureusement.

Le lendemain, le camp de triage est dissous, nous ne saurons jamais pourquoi ?

“JEAN-PIERRE” et “BEBE-CADUM” nous quittent, tous les autres, nous revenons au C12. Le Lieutenant HENRY (CHAMPON) vient nous voir accompagné par un officier (dont le nom m’échappe). Il nous annonce que ceux qui n’ont pas de skis, vont en recevoir et que, d’autre part, nous allons enfin recevoir des armes. Et comme de bonnes nouvelles ne viennent jamais seules, il nous communique le nom de notre nouveau chef. C’est le s/Lieutenant “PAYOT” (Pierre POINT) qui commandera le C12. Il nous apprend que nous allons passer la montagne afin de participer à des parachutages qui ont pour but de nous équiper. Entre autres, nous devons recevoir des GAMMONS dont la forme ressemble à des poupées qui sont lancés avec des sortes d’arbalètes (sic). Cela nous parait tellement beau que nous n’y croyons guère.

“LEONIDAS” que l’on appelle aussi “REDRESSEUR DE CAMP” nous oblige de faire tous les matins, le “décrassage”, le torse et les pieds nus dans la neige. Tout le monde est dans l’obligation de se laver, ce qui n’est pas du luxe pour certains.

Si cela ne gêne guère “LE BARON” qui en toutes circonstances est toujours impeccable, par contre, on ne reconnaît pas “FEND-LA-BISE” quand il réapparait tout rose.

Enfin, le jour arrive où nous recevons sept paires de chaussures “TRAPPEUR”. La moitié d’entre nous est convenablement chaussée.

De temps à autre “VIRUS”, le TOUBIB un autre JEAN-PIERRE, vient nous rendre visite. En réalité il doit être infirmier. C’est à ce moment là que “LEONIDAS” place son histoire juive :

“LEVY, le pauvre juif aux chaussures trouées, vient rendre visite à son ami JACOB qui est à l’article de la mort. REBECCA, épouse fidèle de ce pauvre JACOB, lui ouvre la porte. LEVY se lamente sur le sort de ce pauvre JACOB, un si bon ami, si fidèle, si bon, si….lorsqu’il aperçoit dans le couloir une magnifique paire de “pompes”. Traversant le couloir il se rend au chevet de ce brave JACOB et, le quitte et traverse à nouveau le couloir, se lamentant à nouveau, il dit “Madame REBECCA c’est toujours pareil, les bons s’en vont et les mauvais restent”. Et dans le couloir sombre, les chaussures trouées de LEVY ont remplacé celles de JACOB.”

Le lendemain matin “VIRUS” qui était arrivé la veille avec une magnifique paire de “godasses” “TRAPPEUR” et des peaux de phoque neuves sous ses skis, ne retrouve qu’une paire de “godillots” éculés et s’en retourne sans peaux de phoque. C’est fou ce que ces “godasses” TRAPPEUR attirent le regard et excitent la convoitise des maquisards du C12. “VIRUS” repart la mort dans l’âme et nous ne le reverrons plus.

Entre temps, un appel téléphonique venant de la gare de SAINT-MICHEL nous demande d’envoyer d’urgence une équipe pour réceptionner du matériel. Comme toujours on retrouve les mêmes volontaires.

Quelle joie !!

Des fusils rouillés, disparates, avec très peu de munitions certes, mais enfin des fusils : Trois Allemands, un Italien et un 86/93 qui, sans bois, laisse apparaître son canon nu. Cependant, lui, il a environ quatre-vingt cartouches QUI ONT DE GROSSES BALLES EN PLOMB. Nous recevons également des skis pour ceux qui n’en sont pas encore pourvus. “CALVA”, qui n’y connait rien, demande aux jeunes qui ont apporté le matériel, quelle paire de skis ils choisiraient, eux, les montagnards. Afin de retrouver la paire choisie à l’arrivée, il la marque avec un mouchoir. Nous chargeons le tout sur “LA TERREUR et remontons au camp. Malheureusement, dans le transport de retour, le 86/93 a le canon tordu.

“HARDY” (Pierre HAEZEBROUCK) arrive au camp avec “PAYOT” mais il repart presque aussitôt. Tous les deux trouvent ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir une paire de “TRAPPEUR”, en train de creuser des gorges dans les talons de leurs chaussures “CARTON” pour faire tenir les fixations de leurs skis.

“PAYOT” & “HARDY”

En 1939, Pierre POINT “PAYOT” de DIE et Pierre HAEZEBROUCH “HARDY” s’engagent pour la durée de la guerre et se lient d’amitié au Régiment d’Artillerie de Bordeaux auquel il sont tous deux affectés. “HARDY” est né en 1920 à NOEUX-LES-MINES (Pas-de-Calais). A l’Armistice, ils se trouvent séparés. “PAYOT”, Maréchal des logis, reprend du service au 2ème Régiment d’Artillerie de GRENOBLE et sort Aspirant. “HARDY” Aspirant d’Artillerie devient moniteur à l’école d’enfants de troupe de DRAGUIGNAN et prépare son entrée à SAINT-CYR, qui, à l’époque, est replié à Aix-en-Provence. Il y est reçu en novembre 1941 et est nommé Lieutenant d’infanterie en Décembre 1942.

Après la dissolution de l’Armée d’Armistice, “POINT” entre dans les Chantiers de Jeunesse à MONESTIER-DE-CLERMONT dans l’Isère, puis à ROMEYERS dans la Drôme.

HAEZEBROUCK lui, dans les Chantiers de Jeunesse dans le Jura. Puis, tous les deux rejoignent l’Armée Secrète (A.S.) du VERCORS. Le 18 Janvier 1944, ils sont au C11 à ESPARRON.

“HARDY” doit commander les camps suivants : Le C11 de GRANGE (“CATHALA”), le C12 de “PAYOT” (POINT) et le C13 de RAOUL (ROUDET).

“PAYOT” est protestant. “HARDY” est catholique. Ils sont tous les deux très courageux et ont de grandes qualités morales : respect de chacun, esprit d’équité partageant les peines et les joies ; bref, un ascendant indiscutable sur les hommes. Chacun au C12 est heureux d’obéir à de tels chefs; ce qui ne sera pas toujours le cas, hélas, par la suite.

“PAYOT” est bâti en athlète : 1m92 pour 92kg. Il est sportif, excellent skieur et un montagnard accompli. Il connait admirablement le VERCORS SUD où son beau-père Monsieur CARTON de DIE possède le chalet de l’OURS sur le plateau de BEURRE. Cela permet à “PAYOT” de faire du ski l’hiver et de crapahuter l’été avec ses copains.

Très gentil et respectueux des autres, il a vite fait d’asseoir son autorité, de galvaniser tous le C12 et de se faire estimer par tous.

“PAYOT” comme “HARDY” font partie de ces chefs qui pensent qu’ils doivent les premiers, donner l’exemple du courage.

“PAYOT” devient le chef du C12

Dés le lendemain de son arrivée au camp, “PAYOT” commence à nous apprendre les rudiments du ski, ce qui n’est pas une sinécure avec des gars comme nous qui n’en ont jamais fait. Les anciens qui ont la chance de savoir skier, assistent, goguenards à nos efforts. Cela déplait à “PAYOT” qui leur refile un petit nombre de débutants à former. Par affinité, ils choisissent “LA TORNADE” comme instructeur.

J’ai aux pieds les skis choisis avec l’aide des jeunes montagnards lors de la réception du matériel à la gare de SAINT-MICHEL. “PAYOT” voyant ces skis, s’étonne et s’exclame :

Ca, alors ! “CALVADOS” ! comment avez-vous fait pour dénicher cette magnifique paire de skis, vous qui nous arrivez du bord de la mer et qui n’avez jamais fait de ski !!! Elle est en Hickory avec carres et c’est le seul exemplaire au camp !

Ca, c’est mon secret !! répond “CALVA” (qui intérieurement jubile)

Patiemment, avec ténacité, nous nous entraînons à cette nouvelle discipline. En effet, nous avons tous compris que la mobilité était notre meilleure arme de défense. Les 2 Normands sont convaincus que, pour savoir rapidement, il faut participer aux sorties et s’entraîner au maximum.

Comme d’habitude, les armes ont été distribuées aux plus anciens. Ceux qui ne sont pas armés louchent sur le 86/93 qui n’a pas trouvé d’acquéreur. Plus tard “LA LOULE” le prend, détord le canon dans un trou de mur du logement de la mule “LA TERREUR”, puis l’attache solidement sur une espèce de chevalet qu’il a confectionné. A l’aide d’une ficelle, il tire sur la détente…….Le fusil a résisté. Alors poursuivant ses essais, il fabrique une cible en faisant des ronds concentriques sur une porte avec du charbon de bois et tire de 50 mètres une balle en plein centre.”PAYOT” arrive rapidement en rouspétant, car il n’a pas autorisé le tir et il faut économiser les munitions dont la quantité est très limitée. Mais, étant donné que “LA LOULE” s’est servi du 86/93, il passe “l’éponge” et constatant le résultat en conclut que c’est un “coup de pot”. Il tire lui-même deux balles. On ne retrouvera qu’un seul impact dans un angle de la porte. “LA LOULE” retire deux autres balles et par deux fois il agrandit le trou fait par sa précédente balle. Dés lors, ce sera son fusil. Il ne faut même pas le déplacer sans qu’il se mette en colère. Il est vrai que le canon en est très fragile…

En janvier 1944, le camp dispose donc de :

-Trois fusils Allemands avec environ 210 cartouches,
-Un fusil Italien et environ 40 cartouches,
-Un fusil Français et très peu de cartouches,
-Un 86/93 et environ 80 cartouches,
-Un colt 11/43 affecté à “LEONIDAS”
-Deux ou trois revolvers 92 avec très peu de cartouches,
-Deux mitraillettes STEN et très peu de cartouches.

3 Février 1944 – Attaque d’ESPARON

A l’aube du 3 Février 1944,”HARDY” arrive au camp, à demi-dévêtu, pour demander du secours. En effet, à la suite d’une trahison, les gars du C11 viennent d’être attaqués par les Allemands à l’ancien ERMITTAGE d’ESPARRON.

L’alerte a été donnée par la garde, mais quand les Allemands ont attaqué, la plupart des Maquisards étaient couchés. Ils ont dû “gicler” dans la nature par un froid glacial sans avoir eu le temps de se vêtir complètement. Il y a des tués et des blessés, dont Jean MARIN “LE PAPE” que le Lieutenant “HARDY” a réussi à couvrir légèrement avant de venir chercher du secours.

Aussitôt, “PAYOT” organise une patrouille composée des meilleurs skieurs du C12 et repart avec “HARDY” au secours du C11. Ils emportent des armes, du ravitaillement et des vêtements. La patrouille ayant emporté une bonne partie de nos moyens vestimentaires. Il ne reste plus grand-chose à ceux qui restent qui sont obligés de se tenir autour du feu pour essayer de conserver quelque chaleur.

Heureusement cela ne dure pas trop longtemps car “LEONIDAS” s’occupe rapidement de nous et recevons habits et chaussures “CARTON”.

La patrouille revient sans “PAYOT” ni “HARDY”. Les Allemands auraient eu des pertes ?!

A partir de l’attaque du camp d’ESPARRON, la sécurité est renforcée. C’est ainsi que tous les soirs “LEONIDAS” déplace le C12. Nous allons coucher à CHAUPLANES petit hameau de une ou deux fermes, situé en altitude au-dessus de la BATIE-DE-GRESSE. Ce hameau est difficilement accessible et surtout pratiquement impossible à repérer sous la couche de neige actuelle. Nous couchons dans la bergerie avec les moutons. Le soir, il y fait bon, bien au chaud. Par contre, le matin une odeur acre nous prend à la gorge. Elle est à la limite du supportable ; et gare si, comme le premier soir, les écoulements de purin se bouchent avec des fétus de paille. C’est pour le coup que nous baignons dans un jus nauséabond et sommes empuantis par cette odeur qui pénètre profondément et imprègne tous nos vêtements. Le matin, nous nous empressons de redescendre au camp pour nous laver et faire un décrassage complet, mais restons parfumés !

4 Février 1944 – “SEPPI”

Le lendemain de l’attaque d’ESPARRON, un appel téléphonique parvient chez COTE de la vallée. On nous prévient qu’un gars “avec un fort accent” demande où est le camp. Ordre est donné de le faire monter. Il s’agit d’un Alsacien de SAVERNE, Frédéric FLORENCE qui sera baptisé “SEPPI”. Il vient du RIA 15/9.

Une équipe du C12 commandée par “LEONIDAS”, passe le col de l’ALLIMAS avec “LA TERREUR”, “LA TORNADE” et le traîneau. Nous sommes allés rendre visite à la sizaine “FANTÔME”. Nous revenons donc par très mauvais temps, un vrai temps de Maquisards, après avoir récupéré, outre des conserves, chose inouïe une énorme cuisinière à bois.

De garde lors de l’attaque, “PAYOT” a récupéré deux rescapés du camp de l’ESPARRON à LUS-LA-CROIX-HAUTE. Il s’agit de Paul ADAM “LE FAUVE” et de CORNU.

Ils les emmènent par le train jusqu’à DIE chez sa mère. Ils sont arrêtés par un barrage de G.M.R. à l’entrée de DIE, mais ils réussissent à donner le change.

Avec l’aide des F.T.P. de MENEE, “HARDY” parvient à amener “MANOU” à l’hôpital de DIE, après l’avoir fait soigner par le Docteur EYRES à CHATILLON EN-DIOIS. Pendant ce temps, “LE FAUVE” et CORNU s’en vont vers le col du ROUSSET, pendant que “PAYOT” refait la route en sens inverse par le train et revient au C12.

Dès son retour au camp, “SEPPI” demande à “PAYOT” de venir avec lui au 15/9, pour tenter de récupérer des armes et des munitions.

Craignant un piège, son accent alsacien, nous essayons en vain, de dissuader “PAYOT” d’y aller. En fait, ce n’était pas un piège, mais ils reviennent seulement avec quelques munitions, l’affaire ne s’étant pas déroulée comme prévu.

Une expédition nocturne est décidée par “LEONIDAS” à MONESTIER-DE-CLERMONT pour aller demander des comptes au ravitailleur Juif que nous soupçonnons de nous escroquer. Pour ce faire, il prend avec lui “LA TORNADE” et “CALVA” qui a la charge de “LA TERREUR”. Prés de MONESTIER, “CALVA” reste en haut d’une côte, derrière un baraquement en bois, pour garder la mule qui doit servir à remonter le ravitailleur Juif au camp. “CALVA” a la STEN du camp. Il a de la neige jusqu’au ventre et passe une partie de la nuit à se geler en essayant de maintenir “LA TERREUR” qui ne veut pas rester en place. Cette maudite mule s’échappe à plusieurs reprises. Après une attente longue et éprouvante “CALVA” voit revenir ses deux camarades bredouilles. Retour au camp puis à CHAUPLANES où nous arrivons à 3 heures 30 complètement crevés pour nous coucher avec les moutons. Cela n’empêche pas “LEONIDAS” increvable, de sonner le réveil à 5 heures pour redescendre au camp à la Bâtie pour le décrassage matinal habituel. Quelle vie ! ! !

Avec beaucoup de retard, nous apprenons que les Allemands, attaquant par surprise, ont pratiquement anéanti le camp de Maquisards de MALLEVAL. Cette catastrophe nous incite plus que jamais, à redoubler de vigilance et de prudence.

10 Février 1944 – Départ pour le VERCORS

Nous sommes informés par “PAYOT” que nous allons partir sous peu pour le VERCORS en passant en skis par le PAS de la SELLE. Il faut dire que nous n’avons aucune idée où cela se trouve.