Le 11ème régiment de Cuirassiers
intégré dans la 1ère D.F.L.
L’état-major de la brigade est à Abbenans et le P.C. du régiment à Grand Fontaine. Le premier groupe d’escadrons se porte sur Cubry et le second groupe sur Uzel. Après avoir fait une reconnaissance des positions avec le Commandant Babonneau et mes Commandants de groupes d’escadrons, je me rends au P.C. du Colonel Delange. L’affection de cet officier pour le 11e Cuirassiers me permet de tout obtenir de lui pour ce dernier . Il faut dire que j’ai moi-même une affection et une grande admiration pour ce Colonel avec qui je viens de faire connaissance. Par sa compréhension, il a su attirer tous les dévouements, même les plus rétifs, car il y en a toujours. Il n’a pas fallu longtemps pour que le Colonel Delange sente vibrer le cœur des Cuirassiers au même diapason que le sien.
Les Allemands sont à Longuevelle alors que le 11e Cuirassiers est au Moulin, en pointe à 200 mètres en avant. Si aucun coup de feu n’est tiré, les troupes au contact assistent à un sévère duel d’artillerie.
C’est le 24 Septembre 1944 que le premier groupe d’escadrons monte en ligne à Mignaviller. Le temps est à la pluie froide et persistante. Nous avons le temps d’envoyer des éléments à Cubry où le Général de Gaulle vient inspecter les premières lignes. L’étendard et sa garde lui rendent les honneurs sous une pluie battante.
Le 2ème groupe d’escadrons monte en ligne à son tour, tandis que je porte mon P.C. avancé à Sénargent. Le régiment est totalement engagé et les escadrons au contact mènent un dur combat. Les patrouilles sont très actives et dans le climat sympathique favorable de la 1ère D.F.L., les maquisards se sont bien adaptés. Maintenant, ils sont pourvus d’un bon matériel et la possession des postes radios les enchantent. Les nouveaux moyens dont ils disposent leur font voir les combats sous un tout autre jour. Leur moral est excellent, il permet d’espérer qu’ils seront à la hauteur des plus anciennes unités de la France Libre dès que reprendra la marche en avant.
En les regardant, on peut très bien imaginer que cet amalgame F.F.L/F.F.I. est le nouveau visage de la France. Il faut se reporter au temps des années impériales qui menaient ensemble les grognards et les Marie-Louise. Les Fusiliers-Marins ont 24 ans et les Cuirassiers 20 ans écrira un baroudeur de la division. Les jeunes sont impressionnés par la rapidité des interventions de l’artillerie. Dans les bois, les Cuirassiers ne sont plus seuls avec leur mission. Maintenant, dotés de téléphone et de radios, ils trouvent que tout est plus facile, d’autant plus que la mitraillette ou le canon ne les impressionnent pas, depuis longtemps, ils ont eu le baptême du feu sous toutes ses formes.
Le 27 Septembre 1944, la bataille devient plus sérieuse sous des bombardements sporadiques et des fusillades précises; l’ennemi est partout. Il tâte son adversaire et il n’est pas rare qu’une patrouille ne trouve pas le contact. L’ordre est donné de ne pas faire repérer ses positions. Avec d’infinies précautions, l’Allemand s’approche de nos postes avancés. Il veut provoquer les tireurs qui, eux, ne se dévoilent pas. Ils sont dans un combat qui leur est familier et ne tireront que sur ordre.
Le 29 Septembre 1944, l’escadron Bouchier attaque à 7 heures. Il atteint son objectif sans perte. Dans le cadre d’une attaque d’envergure de la brigade, tous les escadrons du régiment sont engagés. Cent coups de canon tombent sur le 3ème escadron qui n’a aucun blessé. L’avance du 1er escadron est normale et il atteint son objectif sans casse. Au 3ème, celui du Capitaine René Jury, il y a deux blessés, dont un grave. Quant au 7ème, on compte trois blessés légers. Il est midi.
Le Général Brosset tient à se rendre compte par lui-même, de la valeur combative de ses nouveaux Cuirassiers. Il vient sur le terrain et suit la progression de ses troupes. Soudain, il prend le micro pour pousser nos éléments. Il a l’air de se passionner et se prend au jeu. Un Cuirassier l’ayant averti à voix basse qu’il était persuadé d’avoir vu un élément adverse, se permet de lui dire : “ils ne sont pas loin, je les vois bien, donne du mortier”.
Le Général lui demande des précisions indispensables et fait donner du mortier. Le combat continue et l’objectif est atteint.
Le régiment est relevé et se regroupe pour peu de temps dans la région de Gouhemans. L’attaque de la Chevestraye se prépare.
Il y prend part avec d’autres unités de la D.F.L. Le 2ème groupe d’escadrons est à Larmet, il a pour objectif la côte 701. A 7 heures 30, l’accrochage est très dur, il se solde par un tué et 11 blessés. La côte 701 est prise et reprise deux fois. Le premier groupe d’escadrons se trouve sur la côte 714. D’entrée, il a un blessé par éclat d’obus. Vers 17 heures 30, les Allemands lancent une contre-attaque généralisée sur l’ensemble du secteur. Au premier groupe, il y a deux tués tandis qu’au second, il n’y a aucune perte à signaler.
Le 6 Octobre 1944, durant toute la journée, ce ne sont qu’attaques et contre-attaques de part et d’autre. Cependant, à 23 heures, l’ennemi cède enfin et livre définitivement à la division les pitons tant convoités. Mais le 7, les Allemands contre-attaquent à nouveau après un pilonnage préparatoire très sérieux. Très agressif, l’Allemand veut reconquérir le terrain qu’il a perdu la veille sur les Cuirassiers. Quelques coups de 88mm tombent sur le village de Fresse.
Le 8 Octobre 1944, dans la nuit, l’ennemi, pugnace attaque à nouveau très sérieusement le secteur tenu par le 2ème groupe d’escadrons, comme s’il voulait donner un coup de poing à cet endroit. Par contre, le secteur du premier groupe est relativement calme.
Les relèves se font entre les escadrons du régiment.
Le 9 Octobre, sous un tir d’artillerie particulièrement violent, les 5ème et 6ème escadrons effectuent leur relève. Quatre prisonniers sont amenés et interrogés au P.C. puis ils sont dirigés vers l’état-major de la division. Le froid, la pluie et le brouillard sont permanents. C’est peut-être la raison de la diminution des tirs qui sont plus espacés et moins réguliers.
Dans la journée du 11 Octobre 1944, le régiment est relevé en totalité et reçoit l’ordre de se porter vers Vesoul. Il doit cantonner à Colombier et Combergeon aux environs de cette ville. Le P.C. régimentaire s’installe à Moncey. Là, il continue à s’équiper, il souffle et se refait. Il sera bientôt sur le même pied d’égalité que les autres unités de la division.
Maintenant, les Cuirassiers sont dans l’ambiance de l’armée régulière. L’adaptation s’est faite sans trop d’effort. L’expérience de l’amalgame est positive.
Le lendemain matin, un ordre du Général de Lattre maintenait le 11e Cuirassiers au sein de la 1ère D.F.L.
Il ne pouvait pas détruire l’amalgame auquel il tenait tant.
Le 15 Octobre 1944, je suis convoqué au P.C. du Général du Vigier qui commande la 1ère D.B. Il s’agit de mettre à sa disposition quelques escadrons pour une importante opération.
Les 16 et 17 Octobre 1944, des messes sont dites à Colombier et à Combergeon pour les Cuirassiers morts au champ d’honneur. Les deux aumôniers le catholique et le protestant officient ensemble dans une extraordinaire communion des âmes.
L’opération de la division du Général du Vigier est prévue pour le 30 Octobre et les unités que je prête montent en ligne le 19 Octobre. C’est dans le secteur de Ronchamp que nos escadrons progressent de part et d’autre de la rivière. Quelques armes sont récupérées au cours de la marche en avant qui se déroule dans une ambiance inquiétante de silence et de calme trompeur. Ca ne pouvait pas durer longtemps; les escarmouches reprennent partout progressivement, pour finalement dégénérer en accrochage sérieux.
Les tirs de mortiers ont lieu sur tout le secteur. Les Cuirassiers ne peuvent pas se soustraire aux pilonnages qui, traîtreusement grignotent leur moral.
Les relèves s’effectuent dans le cadre du régiment; elles sont mises à profit pour récupérer et réorganiser dans un souci de revoir la composition des escadrons qui vont bientôt être employés dans des missions de cavalerie.
Le Général Brosset décide de constituer une cavalerie divisionnaire et donne l’ordre de constituer le 11e Cuirassiers suivant les prescriptions données par le tableau d’effectif normal; c’est-à-dire à quatre escadrons, dont celui de commandement et des services E.H.R. Cette décision me pose un grave problème moral; il faut que je me sépare d’un certain nombre d’escadrons qui sont soudés par la camaraderie du feu.
Les évènements vont hâter le dénouement du problème car il est obligatoire pour que le régiment redevienne une unité de cavalerie, utilisée dans des missions de cavalerie. L’échange des escadrons est la rançon qu’il faut payer. Les premiers à disparaître de l’effectif du régiment sont les “Sénégalais”. Ils sont partis n’ayant pu supporter les rigueurs de ce terrible hiver 1944-1945.
Les sept derniers escadrons sont d’abord fondus pour ne laisser partir que le minimum de Cuirassiers dans d’autres unités de la division. On commence par compléter les effectifs des unités qui sont appelés à rester dans le 11e Cuirassiers. Finalement, seul l’effectif de deux escadrons est disponible et entre dans la composition des Bataillons de Marche BM 21 et BM 24 de la 1ère D.F.L. Ils ne sont pas loin de leur ancien régiment et dans la même unité. Le mal n’est pas grand.
Le 11e Régiment de Cuirassiers est devenu soutien-porté de chars. Il retrouve ses missions propres de cavalerie. Un grand pas est fait en avant sur la route qui mène aux chars. Partis en haillons, ils voient déjà étinceler des cuirasses. Ce régiment peut prétendre devenir bientôt une unité de chars à part entière. Il reste trois escadrons.
Le 11 Novembre 1944, le P.C. régimentaire s’installe à Mélisay, tandis que les escadrons sont à Ternuay. Ces Cuirassiers, soutiens de chars n’ont pas de véhicules adaptés, vont s’accrocher aux chars, monter sur les plages arrières et mèneront le combat d’avant-garde, soit sur les Lights des Fusiliers-Marins, soit sur les Tank-Destroyers (T.D.) du 8ème Chasseurs d’Afrique. Avec ces unités, il constitue la cavalerie divisionnaire de la 1ère D.F.L.
Le 14 Novembre 1944, le Colonel Simon qui commande la cavalerie de la division, vient à mon P.C. pour inspecter sa nouvelle unité. Nous décidons que l’instruction serait enseignée aux Cuirassiers dans le cadre de leur mission de soutien-porté. Pour ce faire, le régiment doit se porter à Rupt-sur-Moselle. Mais les évènements se précipitent et contrecarrent ce projet. Au lieu de s’instruire normalement, le régiment est lancé dans la bataille pour s’y instruire en combattant. C’est devenu une habitude au 11e Cuirassiers.
Le 17 Novembre 1944, le 2ème escadron du Capitaine Jury se déplace en direction de Recologne, non loin de Ronchamp. Il est affecté comme soutien-porté des chars de reconnaissance de l’escadron Barberot du 1er R.F.M. Pendant ce temps, nous apprenons la bonne nouvelle de la réussite de la D.I.M. dans l’attaque qu’elle a lancée sur Montbéliard. Elle est pleinement réussie, car elle avait été lancée dans des conditions particulièrement difficiles.
Le dimanche 19 Novembre, le 2ème escadron, monté sur les plages-arrières des Lights du 1er escadron attaque Champagney, pendant que les autres sont sur la brèche dans d’autres secteurs. Le peloton de Paul Durand est dans les tourelles ouvertes des Tank-Destroyers du 8ème Chasseurs d’Afrique, tandis que le peloton de son frère se trouve engagé avec un autre escadron de Fusiliers-Marins Le 1er escadron de Bourgeois, est en réserve, prêt à intervenir.
L’escadron Jury est affecté au groupement de Castine, l’escadron Duchet est en soutien-porté avec les chars du groupement Corail.
L’attaque est lancée et le plan est réalisé point par point. Les objectifs sont atteints malgré une résistance opiniâtre de l’ennemi. Les pertes chez Jury sont d’un tué, le jeune Neel, Lyonnais de 17 ans, et de trois blessés.
La disparition prématurée du Général Diégo Brosset
A 22 heures, je suis au P.C. du colonel commandant la cavalerie divisionnaire. C’est à ce moment que j’apprends la nouvelle de la mort du Général Diégo Brosset. C’est un coup dur pour le 11e Cuirassiers qui a trouvé en lui, dans les moments difficiles, un chef compréhensible, ayant le sens précis de l’amalgame. Le régiment a rempli ses missions en toute confiance sous les ordres d’un tel chef qui a su les accueillir et se montrer indulgent pour tous ses défauts, l’inévitable rançon de la vie clandestine.
Le 22 Novembre 1944, le Lieutenant Marc Coquelin dit “Charvier” vient de tomber, frappé à mort ainsi que l’aumonier catholique, le père Chevallard. Ils ont été tués tous deux par la même salve d’obus.
Les pelotons en soutien de chars sont très dispersés sur le terrain et il est difficile d’avoir rapidement des renseignements sur leurs positions.
L’escadron Bouchier est à Valdoie. Il est engagé dans la lutte de la libération de Belfort.
Au nord de Belfort, le secteur est relativement calme.
Le 23 Novembre à 8 heures, le Capitaine Jury est blessé et évacué en même temps que le jeune Yves Chastenet de Géry, frère de “Roland” du Vercors. Ce dernier était venu remplacer son frère. C’est le Capitaine Lallemand qui prend le commandement du 2ème escadron en remplacement de Jury. Il fonce sur Gromagny. Le Capitaine Bourgeois passe en réserve. Le Capitaine Bouchier progresse très difficilement dans la forêt qui s’étend vers le Haut-du-Mont. Il a deux tués et sept blessés par obus de mortier. Il perd Raymond Razaire dit “Cigogneau”, ainsi qu’André Vincent, tous les deux, anciens du Vercors et des plus courageux.
A 14 heures, ce même jour, l’étendard du 11e Cuirassiers est présent aux funérailles du Général Diégo Brosset.
Le 26 Novembre, les 1er et 2ème escadrons atteignent le Ballon d’Alsace, tandis que le 3ème escadron fait mouvement vers Sewen et se trouve le 27 Novembre au matin à Dolleren.
Le 28 Novembre, c’est le nettoyage de la vallée de la Doller et des transversales, et le 29 Novembre, le 2ème escadron du Capitaine Lallemand est engagé et enlève Werscheid. Il n’a qu’un seul blessé.
Malheureusement, le même jour, le pilonnage de 88mm sur un champ de mines provoque l’accident. Le Capitaine Lallemand est lui-même blessé grièvement ainsi que quatre de ses hommes. Ils faisaient une reconnaissance qui ne présentait pas de dangers particuliers.
Après ces durs combats, le 11e Cuirassiers doit être relevé, mais cette relève tarde et il n’a pas la possibilité de se refaire, ni celui de faire le point dans cette bataille dans laquelle il est constamment engagé.
La division a déjà fait mouvement dans la région de Lure-Vesoul, alors que certains éléments du 11e Cuirassiers se trouvent toujours accrochés par des retardateurs de la Wehrmacht. Le Lieutenant Cozon qui a remplacé le Lieutenant “Charvier” est sévèrement contre-attaqué. Il fait remarquablement front à Bourbach avec les T.D. du 8ème R.C.A. qui détruit trois automoteurs.
Cette action merveilleuse a réussi à rétablir une situation devenue très difficile par la fuite d’un certain régiment d’infanterie de l’armée française.
Cependant le 2ème escadron demeure au contact et ne peut être récupéré tant il est soudé à l’ennemi. Il se trouve vers Forbach et Bitvillers. Les autres escadrons sont aussi engagés dans ce secteur. Chez Dujet, il y a quatre blessés et chez Bourgeois, il y en a un. Depuis son intégration dans la 1ère D.F.L., le 11e Cuirassiers se bat comme fantassin d’une façon identique aux carabiniers de 1914-1918 en attendant une relève qui ne vient pas.
Le 4 Décembre, cette relève est reportée de 24 heures et le 5, elle s’opère. Je reçois alors l’ordre de faire mouvement sur Malbouhans, La Neuvelle et Les Granges. C’est à ces endroits que le régiment se réorganise. J’ai besoin de combler les vides avec des engagés qui nous arrivent de Paris et de Lisieux.
C’est alors que la 1ère D.F.L. reçoit l’ordre de bondir vers Royans pour réduire la poche. Le 11 Décembre, un convoi de véhicules légers part en direction du Sud-Ouest sous la responsabilité du Capitaine Moine, tandis que le 12, le 11e Cuirassiers effectue le trajet par voie ferrée vers Jonzac. Les escadrons s’installent dans les localités environnantes, mais il n’a pas le temps de participer à la réduction de la poche de Royans, Strasbourg devient un point sensible de première importance et la 1ère D.F.L. retraverse la France en diagonale pour se retrouver dans la région de Baccarat.
Le régiment se trouve dans cette ville le 31 Décembre 1944, mais il n’y reste pas et il est transporté en G.M.C. en Alsace, dans la vallée de l’Ill. Le 2 Janvier 1945, il s’est porté par trois itinéraires différents sur Benfeld et Huttenheim. Il doit s’y installer en point d’appui fermé.
En Alsace, la situation est très grave. Il est essentiel de contenir la poussée allemande dans la plaine d’Alsace, qui s’amorce vers Strasbourg.
Le 1er escadron est en point d’appui à Huttenheim avec un peloton en avant poste de l’autre côté de l’Ill vers la scierie. Le 2ème escadron se trouve dans les bois au Sud-Est de Huttenheim et de Semersheim, le 3ème escadron à Benfeld, tandis que l’E.H.R. s’est installé dans le point d’appui se trouvant à Huttenheim.
Le 4 Janvier 1945, accrochage d’une patrouille du 2ème escadron qui se heurte à l’ennemi sur Zemps. Celui-ci manifeste sa présence un peu partout, il semble tâter les nouveaux venus en essayant de provoquer leurs réactions. Mais, forts de leurs anciennes habitudes, les Cuirassiers ne s’y trompent pas, ils appliquent les bons principes de la guérilla et multiplient leurs incursions de nuit dans le no’mans’ land. C’est le 7 Janvier 1945 que l’ennemi prend sa décision de déclencher une solide attaque. A 6 heures, elle est générale et sera particulièrement forte.
L’aspirant Gaudillère est très sérieusement blessé. L’artillerie allemande est d’une extrême brutalité, elle soutient très efficacement les troupes qui attaquent, leur permettant d’encercler Gaudillère. Le Lieutenant Cros intervient en se guidant au son du canon. Il arrive à dégager Gaudillère, aidé par les Tank-Destroyeurs du 8ème R.C.A. ainsi que le peloton Raoux du 3ème escadron.
Les combattants se trouvent imbriqués les uns et les autres dans un combat opiniâtre où les adversaires luttent au corps à corps, c’est une mêlée indescriptible. Gaudillère est gravement blessé à la jambe, celle-ci est certainement coupée et il est difficilement transportable. Malgré tout, on arrive à le mettre sur un brancard et, accompagné par le Docteur Bleau les secours tentent de partir vers l’arrière, mais ils sont encerclés.
Le Lieutenant Cros qui a remplacé Gaudillère au commandement du Point d’Appui, reçoit à son tour le choc d’une contre-attaque. Nos unités tiennent bon, mais la facture est lourde, Gaudillère a la jambe coupée, le Docteur Bleau et Baumler sont portés disparus et avec eux, sept blessés au 1er escadron.
Des prisonniers ont été faits par cet escadron. Ce dernier a compté une douzaine de tués chez l’ennemi, éparpillés sur le terrain. Ce bilan donne la mesure de l’opiniâtreté de l’adversaire et des qualités guerrières de nos hommes. Dans cette action, l’ennemi ne s’est pas contenté de faire une reconnaissance, mais il a mené une attaque en règle avec l’appui d’une artillerie puissante de mortier.
Le 8 Janvier à 13 heures, le village de Huttenheim est pilonné par des mortiers qui font quatre blessés au 1er escadron. Dans la soirée, le Point d’Appui prend son dispositif de nuit et se replie sur lui-même.
A 20 heures, des fusées sont en vue dans le secteur de Benfeld, vers Riewald et les bois de Benfeld.
Le 9 Janvier, dès 4 heures du matin, le contact est pris aux avant-postes de la scierie, tenus par le peloton Nisse du 3ème escadron. Ce petit Point d’Appui a été installé en tête de pont, de l’autre côté de l’Ill. Il neige et fait très froid. Les Allemands, habillés de tenues blanches se sont infiltrés. Ils sont peu visibles. Repérés au dernier moment, le chef de poste a demandé un tir d’artillerie. Les assaillants sont stoppés dans leurs élans. Durant toute la journée, ce ne sera qu’un duel d’artillerie. Les tirs sont très dangereux, peu fournis, tombant n’importe quand et n’importe où. Les obus éclatent et font des blessés. Moralement, c’est très désagréable, car on a l’impression de se faire grignoter sans avoir la possibilité de faire quoi que ce soit. Les obus surprennent toujours. Au moment de la relève, il y a deux blessés au 1er escadron. Il est rare que les accrochages n’arrivent pas au moment des relèves. Il y a des infiltrations partout. Elles sont continuelles.
Ce 9 Janvier là, le peloton Rey se porte à la fabrique où il s’installe. Juste à ce moment là, des obus de fort calibre tombent sur la forêt située à l’est d’Huttenheim.
Le 10 Janvier 1945, un brouillard dense recouvre la plaine d’Alsace. C’est l’alerte générale. Profitant des conditions climatiques, les Allemands exécutent un tir de six tubes identiques à ceux utilisés par les Soviétiques. Le secteur visé sont les abords de l’agglomération comme s’ils voulaient l’encadrer. Avec ce brouillard, la visibilité est réduite à 3 ou 4 mètres, et l’ennemi, pour attaquer a toutes les possibilités de surprise. Elle a lieu. Le secteur attaqué est celui de Benfeld tenu par le 2ème escadron. Ce dernier réussit à les repousser. Nous avons de mauvaises nouvelles du village d’Obenheim situé à environ 6 kilomètres de Benfeld. Le Bataillon de Marche 24 est en cours d’anéantissement. C’est dans ce bataillon qu’une partie des anciens du C 11 du Capitaine Gaston Cathala dit “Grange” avait été mutée au moment de la réorganisation du 11e Cuirassiers.
Le 11 Janvier 1945, c’est un bombardement sur Huttenheim au rythme d’une salve toutes les vingt minutes. Ce n’est qu’une diversion car l’axe de l’attaque se situe sur Benfeld. Celle-ci a commencé vers 16 heures par un pilonnage intensif des positions tenues par les Cuirassiers. Le P.C. régimentaire est averti que la 13ème demi-brigade de la Légion Etrangère, contrairement au BM 24 a réussi à se dégager et à décrocher de Rossfeld et d’Herbstheim.
Les Cuirassiers du 2ème peloton de l’Aspirant Morel Journel signalent qu’ils aperçoivent les éléments de la Légion qui traversent le glacis se trouvant devant leurs positions. Cette opération s’est faite dans des circonstances très pénibles. A 6 heures 30, j’accueille le Commandant de Sérigné qui respire un peu plus librement. Son détachement a été poursuivi dans son déplacement par les tirs de l’artillerie allemande. Les départs des tirs ont été repérés et signalés à notre artillerie dont la riposte est immédiate et sévère. Le duel d’artillerie se poursuit un bon moment. Dans la matinée du 13 Janvier, nos 155mm frappent sec sur les positions allemandes situées dans les bois de La Lutter où le 2ème peloton de Morel Journel a repéré des automoteurs à la lisière du bois. Il signale également qu’il entend un trafic incessant et intense d’engins motorisés.
Le 14 Janvier 1945, c’est le centre et le pourtour d’Huttenheim qui sont matraqués. Les positions de nos unités ont sûrement été repérées. Roland Giordan trouve la mort et deux Cuirassiers blessés sont évacués. Au 2ème escadron, Galland est tué. Au loin dans la direction des bois de La Lutter, on aperçoit des incendies, ce doit être les résultats des tirs de nos gros calibres. Il semble que ce soient des dépôts d’essence et de munitions qui ont été touchés par nos 155mm. L’ambiance est désagréable. Des bruits insolites s’entendent, venant des lignes ennemies d’où partent des fusées et des signaux, alors que l’artillerie adverse exécute un tir qui a bien l’aspect d’un tir d’accompagnement. En une demi-heure, il vient de tomber 300 obus sur Huttenheim. Brusquement, le rythme a changé, simplement parce que les Allemands se sont rués sur la scierie du peloton Paul Durand. Malgré les coups de poing très durs, après une préparation d’artillerie solide, le peloton a contenu, puis repoussé l’ennemi. Le Colonel Delange félicite chaleureusement le jeune Paul Durand; il mérite une belle citation dit-il.
Le village d’Huttenheim est très abîmé, la plupart des habitations sont démolies, à tel point qu’il faut évacuer les habitants. Il est vrai que depuis quatre jours, il est tombé plus de 2000 obus sur l’agglomération, mais une autre raison nous incite à prendre cette mesure. Des signaux sont partis de ce village pendant les combats et il a été surprenant de constater la précision des tirs ennemis durant cette dernière action.
L ’évacuation des civils se fait rapidement malgré l’angoisse des habitants qui sont persuadés que les troupes françaises vont une nouvelle fois battre en retraite. A 8 heures 30, elle est terminée. Les combats ont été si violents qu’il est prudent de ne pas laisser les femmes et les enfants sous un nouveau bombardement.
La population qui, maintenant ne trouve plus à se loger par suite de la destruction de leur maison, part vers la zone des arrières.
Pendant que le reflux de la population s’effectue, de leur côté les Allemands eux aussi, quittent les abords de l’Ill suivis dans leur mouvement par les tirs des chasseurs de chars (T.D.) et de l’artillerie française. Plusieurs de ces soldats allemands sautent sur des mines que des commandos ont placées la nuit précédente sur cette zone de repli probable.
L’attaque de l’ennemi a échoué. Elle a été très sérieuse à cause de la précision de l’artillerie adverse, de l’usage de lance-flammes et de l’excellente tactique de diversion employée sur toute la ligne de front par celui-ci. Le 2ème escadron a pu suivre la manœuvre des éléments allemands qui combattaient sur le flanc de l’attaque principale; il donne des précisions sur le déroulement du combat.
L’attaque sur un secteur étroit avec des moyens très puissants, était bien assurée. C’est grâce à l’intervention de notre artillerie que cette attaque a été brisée. Une réelle difficulté s’est faite jour, celle des liaisons, en particulier par la rupture des fils téléphoniques hachés par les obus et, d’autre part, l’impossibilité de lancer ou de voir arriver les agents de liaisons, obligés de progresser sous une pluie de projectiles. Nous avions bien la radio, mais en quantité insuffisante. C’est pour moi, l’occasion de réclamer ces moyens indispensables à “l’Ange”, pseudonyme amical que tout le monde donne au Colonel commandant le groupement, parce qu’il se rapproche de son nom.
A 9 heures 30, l’aviation entre dans la bagarre. C’est la première fois qu’elle intervient. Elle poursuit l’action sur les autres unités de la Wehrmacht qui battent en retraite de l’autre côté de l’Ill, tandis que ces éléments sont pilonnés sans répit par les mortiers de la rive droite de la rivière.
Un commando de Fusiliers-Marins patrouille sur les lieux du combat, il trouve deux cadavres allemands laissés sur le terrain et des traces qui laissent supposer qu’il y a eu des pertes sévères à cet endroit. En outre, les corps des deux allemands étaient en tenue de parachutiste si on en juge à leur équipement et à leur armement trouvé à proximité. Le reste de la journée est calme. Le soir, un commando de Fusiliers-Marins repart. Au cours de la patrouille, l’une des équipes saute sur une mine. L’aspirant, chef du commando est tué, et deux autres Fusiliers-Marins sont blessés.
Le Lieutenant Raoux du 3ème escadron est blessé à son tour. Il est immédiatement évacué. La nuit est sans histoire, mais le 15 Janvier 1945 à 7 heures 30, le harcèlement des obus reprend sur Huttenheim, puis se déplace; 30 coups vers 9 heures 30 et quelques-uns vers midi, puis vers 15 heures, une douzaine. Plus tard, des bruits inquiétants de chars sont perçus dans la direction du carrefour Benfeld-Herbsheim et Benfeld-Rossfeld. Ces bruits disparaissent au bout d’une vingtaine de minutes. Le bombardement sur le village se poursuit à raison de 10 obus par demi-heure. Le 16 Janvier, quelques autres entretiennent l’ambiance entre 14 et 18 heures.
Le 17 Janvier, une salve de 10 obus tombe non loin du P.C. régimentaire au centre de la localité. Il est exactement 10 heures 20. Le jeune Aspirant Paul Durand qui, quelques jours auparavant s’était distingué en maintenant magnifiquement sa position à la scierie, est frappé à mort, tandis que le sous-officier qui l’accompagne est sérieusement blessé.
Le lendemain 18 Janvier, des obus de mortier s’abattent sur le P.C. régimentaire. Vers 10 heures, 18 obus tombent directement sur le P.C. faisant cinq blessés. Les lieux d’où sont partis les coups ont été repérés et notre artillerie prend à son compte le soin de les faire taire. Aux impacts des coups, trois colonnes de fumée nous indiquent que le tir a été très efficace.
A 18 heures 30, des fusées partent des lignes allemandes et, aussitôt se déclenche un formidable harcèlement d’artillerie . Quelques Cuirassiers sont blessés. La nuit vient et avec elle un calme relatif. Sans avoir aucun répit, les Cuirassiers sont sur la brèche durant de longues journées, depuis plusieurs jours; ils apprécient ce calme qui est très peu rassurant. Le régiment a subi des pertes très sensibles au cours de multiples assauts lancés par l’ennemi contre ses positions qui ont résisté magnifiquement.
Enfin, le régiment est relevé. Il reçoit l’ordre de faire mouvement vers Dambach. Il n’y restera pas longtemps puisqu’il doit relever à Sélestat le BM 21, le 22 Janvier 1945. Le secteur semble plus calme bien qu’en arrivant les escadrons soient accueillis par un bombardement de gros calibre durant trois jours consécutifs. On a même prétendu que c’était du 280mm, tiré d’un train blindé situé en Allemagne, mais le bon sens ne peut qu’affirmer que c’est du gros.
A Sélestat, le 11e Régiment de Cuirassiers subit ses derniers pilonnages.
Le 8 Février 1945, nous apprenons le cœur serré que nous devons quitter définitivement la division, cette extraordinaire 1ère D.F.L. que tous les Cuirassiers aiment beaucoup, pour faire mouvement vers le camp militaire du Valdaon. Le manque de place oblige le régiment à aller prendre ses quartiers vers Mamirolles, Trépot, Bouclan et Nancray.
Dix jours plus tard, je reçois l’ordre de faire mouvement vers Orléans. Je m’y rends et je prends mes quartiers à Pithiviers dans la caserne Lahay et dans quelques grosses fermes des hameaux environnants.
C’est dans cette ville que nous nous préparons à percevoir nos chars qui nous permettront de devenir un régiment blindé à part entière pour être intégré dans la 3ème D.B. en formation.
C’est donc à la date du 13 Février 1945, s’il le veut bien, que je demande au lecteur de tourner la page du livre de la vie du 11e Cuirassiers qui va être équipé et réorganisé rapidement. Je ferai un magnifique défilé à sa tête devant la statue de Jeanne d’Arc à Orléans. Ce sera notre premier défilé en unité blindée et ce sera le dernier qu’il défilera avec moi, son chef des mauvais jours.
Les Cuirassiers sont allés en occupation en Allemagne. Ils en sont revenus et ont pris leur quartier dans la bonne ville d’Orange. Nous ne les quitterons pas avant de lire ces dernières lignes et nous ne tournerons la page qu’après avoir pris connaissance de l’impression qu’ils ont laissée :
“Aux meilleurs d’entre les meilleurs”
comme disait le Général de Gaulle, ceux des Cuirassiers qui, collés aux Légionnaires, aux Fusiliers-Marins et aux Chasseurs d’Afrique ont, avec eux, marché sur le Rhin, intimement unis dans le même combat.