ATTAQUE DES MILICIENS
16 Avril 1944 – Dimanche
Le matin, “CALVA” relève la garde que “PAYOT” a fait installer au Col géographique. Pratiquement couché “sur le vent” tant celui-ci est fort, il surveille les routes aussi bien côté DIOIS que côté VERCORS. Cela ne lui paraît pas évident, mais c’est ce qui lui a été demandé. Au bout de son temps réglementaire de faction, la relève vient le libérer et il redescend à BELLIER. C’est à ce moment que “PAYOT” arrive et qu’il nous annonce avoir découvert une nouvelle grotte dans le PAS de l’ECHELETTE. Ce qui ne nous dit rien du tout étant donné que nous ne savons pas où cela se trouve.
Le dégel s’accentue sur les pentes exposées au soleil et il n’y a plus de neige. La terre suinte d’eau et l’herbe jaunâtre est encore couchée par ces longs mois passés sous l’épaisse couche de neige. Nous partons à pied faire du portage d’armes, de munitions, de matériel et de ravitaillement, etc…aux “OURS” pour les stocker ensuite dans la grotte nouvellement trouvée par “PAYOT” au PAS de l’ECHELETTE, tous les skis sont transportés prés des “OURS” au cas où le danger se préciserait et que nous soyons obligés de décrocher en catastrophe comme il y a encore de grandes parties enneigées du côté du VERCORS. Ils pourraient encore nous servir pour nous déplacer très rapidement. Nous baptisons la pente où nous cachons nos skis: “BARON-SCHUSS”
Les “initiés” poursuivent l’évacuation de l’ensemble de nos réserves arrivées aux “OURS” pour le mettre en sécurité dans les caches.
Pendant ce temps, certains autres Maquisards exécutent les ordres donnés par “PAYOT”. “LA TORNADE” est envoyé en mission chez “THIVOLLET”; comme il le fait souvent, “FILOCHARD” part chercher le courrier chez André GIROUD à VASSIEUX. “FEND-LA-BISE” prend le F.M. de “LA TORNADE” et “PARE-CHOCS” monte la garde au Col géographique du ROUSSET. A part les cuistots qui préparent le repas du soir, le camp est vide. Tous les autres Maquisards sont à leurs tâches respectives et ceux qui n’ont pas de mission précise sont repartis, une nouvelle fois, exécuter un portage aux “OURS”. Il est 16 heures, le ciel s’assombrit, le brouillard commence à descendre et à s’installer. Tout devient progressivement fantomatique dans une ouate grise qui s’épaissit d’heure en heure. “PARE-CHOCS”, de garde, entend un coup de feu du côté de “LA MEME” (chalet BORDAT), il se rapproche de la crête et voit des types qui montent au-dessus du tunnel. Il se demande qui a bien pu tirer, est-ce “PEPE” ? A cet instant, “PARE-CHOCS” a encore des doutes; ne serait-ce pas le C11 qui effectue des manœuvres comme il le fait de temps à autre ? Puis il réfléchit qu’étant donné que l’on est en alerte maximum, les gars du C11 doivent avoir bien d’autres choses à faire. Il descend à toute vitesse au chalet BELLIER pour avertir les copains. Les gars du C12 se trouvent échelonnés sur tout le parcours entre le chalet et les “OURS”. Aidé par les cuistots, “PARE-CHOCS” scande : ALERTE,… ALERTE…. qui est répercuté jusqu’aux “OURS”. A toute allure, les gars rappliquent au chalet et en un temps record, ils sont dehors, en sizaine, sac au dos et armes à la main.
La composition de la sizaine que “PAYOT” avait désignée comme élément retardateur devant l’accompagner le cas échéant, a été modifiée. Il sort de sa poche une liste différente et dit :
“Viennent avec moi, “TATARE”,”BACCHUS”, “LA LOULE”, “LA TRINGLE”, “RIBOULDINGUE”, “MIMILE” avec un F.M. et “PARE-CHOCS”. Il me racontera en route ce qu’il a vu.”
Le reste du C12 reçoit l’ordre d’emporter “AUX OURS”, tout l’armement et les munitions qui restent encore à BELLIER, de tout cacher dans la “planque” et de prendre position sur la pente “BARON-SCHUSS” afin d’attendre le retour de “PAYOT”. Exécution immédiate !
La patrouille formée par “PAYOT” part pour “LA MEME”. Sauf une sentinelle, ils entrent dans la petite baraque de la crête qui fait face à “LA MEME” et observent. Ils voient des Miliciens devant le tunnel, d’autres qui montent vers le col géographique. A ce moment, la sentinelle que “PAYOT” a placée dehors pour surveiller les environs, s’écrie :
“Ils sont derrière nous ! !”
En vitesse, tous les Maquisards giclent de la baraque. Plusieurs coups de feu sont tirés. Face à face debout devant “PAYOT” un officier Milicien. “PAYOT” épaule et tire. Le Milicien, une balle en pleine tête, tombe foudroyé.
Les Patriotes décrochent rapidement comme on le leur a appris. “MIMILE” tombe avec son F.M. dans un trou plein de neige fondante. Pour sortir, il est obligé d’abandonner son arme, sous le feu nourri des Miliciens. La nuit tombe rapidement en montagne, en avril. De plus le brouillard devient très dense estompant complètement les formes. On n’y voit plus grand chose. Soudain, une vive fusillade éclate.
Sur la “BARON-SCHUSS”, nous attendons les ordres reçus, exécutés : Evacuer le chalet de tout matériel restant et prendre position. Le bruit du tir très dense, amplifié par le brouillard, nous fait craindre le pire pour nos copains. Soudain, sortant du brouillard à “couper au couteau” réapparaissent un à un nos compagnons sains et saufs, guidés par “PAYOT”. Que s’est-il passé ? Pourquoi cette fusillade ? Plus tard, nous saurons qu’une autre colonne de Miliciens, montant de LA FOUTOUNE par un itinéraire connu des seuls montagnards du coin (qui permet d’aller, parallèlement à la route départementale de ROUSSET, au plateau de BEURRE.) se sont heurtés aux Miliciens de l’autre colonne déjà au col. Le retrait rapide du C12, chaque partie parlant Français et l’épais brouillard, sont certainement la cause de cette méprise. De notre côté, nous, nous rigolons; si seulement ils pouvaient s’en “sécher” quelques uns ! !
La fusillade dure une bonne demi-heure, puis s’arrête brusquement, alors que nous nous apercevons que “CUPIDON” manque à l’appel. Avec sa rapidité habituelle, il a dû se perdre dans le brouillard. “PINTCH” part seul à sa recherche. Il finit par le retrouver devant “BELLIER”. Heureusement, les Miliciens n’ont pas encore découvert le chalet ! et “PINTCH” a l’heureux réflexe de regarder dans la boite du courrier départ ! Il se saisit des lettres non expédiées que, dans la précipitation du décrochement, nous avons oubliées de prendre avec nous. Par sécurité, il les brûle dans la cuisinière. Combien de familles auraient été en danger si les Miliciens s’étaient emparés de tels indices ?
Pendant ce temps, nous rejoignons les “OURS”. “PAYOT revient à la “BARON-SCHUSS” pour récupérer ses skis personnels. Arrivé là où nous les avions cachés, il a tout juste le temps de plonger pour éviter la balle qu’une “ombre” lui tire dessus. Il revient donc sans ses skis, persuadé qu’un de ses copains d’antan sert de guide aux Miliciens, car, dit-il : “venir jusqu’ici par un tel brouillard, il faut connaître !!” Toujours dans le brouillard, “PINTCH” et “CUPIDON” repartent pour rejoindre COMBEMALE où ils pensent retrouver le C12.
De retour de VASSIEUX-EN-VERCORS avec le courrier, pas très loin du col du ROUSSET, “FILOCHARD” se trouve nez à nez avec deux camions de Miliciens. Il a juste le temps de leur expédier deux grenades et de détaler à toute allure, coupant à travers bois pour rejoindre “BELLIER” qu’il trouve vide. Quittant le chalet, il réussit, malgré le brouillard très dense, à rejoindre COMBEMALE où il a la joie de retrouver “CUPIDON” et “PINTCH”.
Le chalet BORDAT brûle ainsi que l’Annexe et la petite baraque du col. On perçoit le bruit des camions de la Milice qui montent encore vers le col.
C’est alors que commence pour nous, une extraordinaire aventure : En plein nuit noire, environnés par un brouillard ouatée qui déforme les bruits, “PAYOT” emmène le C12 au bord des précipices, longeant les à-pics. Chaque Maquisard tient l’épaule de celui qui le précède, en aveugle, se fiant au guide de tête, c’est à dire “PAYOT”. “CALVA” se trouve le dernier de cette queue-leu-leu, en serre-file. Il est embarrassé par une grosse boite de biscuits qu’il a ramassée au dernier moment. Il est décidé à ne pas l’abandonner bien qu’elle soit très encombrante. Elle glisse et va tomber. Il la rattrape “in extremis”, mais, pour ce faire, il lâche l’épaule de celui qui le précède. Il perd alors le contact avec la colonne. Il n’est pas question de crier. Craignant de se perdre dans cette purée de pois, il pense qu’il est plus raisonnable de rester sur place et d’attendre le petit jour. Mais passer une nuit à cet endroit ne lui dit rien qui vaille. Par un hasard extraordinaire, il réussit à se raccrocher. Est-ce à cause d’un ralentissement ou d’un changement de direction ? Il ne le saura jamais ! De toute façon, nous arrivons tous sains et saufs au PAS de l’ECHELETTE. OUF !
Il n’y a aucun doute, sans “PAYOT” nous ne serions jamais parvenus jusque là. Il n’y a pas de danger que les Miliciens se risquent à nous suivre par ce chemin. Sachant que la grotte qu’il a trouvé le matin même ne pourra jamais contenir tout le C12, “PAYOT” donne l’ordre à “LA TRINGLE” et à sa sizaine, élément retardateur, de rester sous les rochers en surplomb où nous venons d’arriver; tandis que les autres coucheront avec lui dans la grotte. Le lendemain matin, la mission de “LA TRINGLE” et de son équipe sera de descendre le PAS de l’ECHELETTE, d’aller dans le DIOIS à la maison forestière appelée “CHATEAU DES GARDES”, située au-dessous des “GRANGES DE ROMEYER” et si rien ne se passe, on remontera tous à COMBEMALE. “PAYOT” laisse son sac à “RIBOULDINGUE”.
Laissant l’élément retardateur de “LA TRINGLE” sous les rochers, notre groupe, conduit par “PAYOT” va rejoindre la grotte. Dans un brouillard épais, en pleine nuit; avec sacs, armes et godasses à clous, descendre les cent premier mètres du PAS de l’ECHELETTE, puis remonter sur le côté une trentaine de mètres presque à-pic afin d’accéder à la grotte, tient de l’exploit. Durant les quelques mètres de montée, “CALVA” est dans l’obligation de bloquer les pieds de “FEND-LA-BISE” qui, alourdi par son F.M., glisse…glisse…. sur la roche.
Dans la grotte, nous sommes entassés comme des sardines avec notre matériel. La nuit se traîne interminable. Il fait froid et pas moyen de s’allonger ni de fumer. Même les petits rigolos qui sont avec nous, restent muets. Enfin le petit jour tant désiré par nous tous, arrive. Un par un, courbatus, nous sortons dehors pour constater qu’il y a toujours du brouillard ! Au fur et à mesure que nous sortons, nous amorçons la descente, car il nous est impossible de stationner, aucun plat n’existant pour nous permettre de nous arrêter. Lentement, chacun cherchant ses prises dans la roche, nous descendons. Afin d’éviter toute mauvaise surprise, un F.M. reste en batterie pendant que l’autre descend avec ses pourvoyeurs. La pente est très abrupte et nos sacs n’ont jamais été aussi lourds. Heureusement “CALVA” n’a plus la boite de biscuits qui a été vidée rapidement au moment du départ.
A mesure que le jour vient, le brouillard se dissipe. Nous ne voyons aucun signe de vie sur les crêtes. Quand il estime que nous sommes hors de portée pratique de tirs éventuels pouvant venir d’en haut, “PAYOT” nous fait faire une pause sur un petit plat. Retirant et posant son sac, “CALVA” aperçoit avec surprise, qu’une des poches de mon sac est déchirée et que le détonateur d’un gammon sort du plastic et est…. tordu. A la surprise s’ajoute une peur rétrospective, car, une fois encore, nous l’avons échappé belle ! ! ! !
“PAYOT” est inquiet. Il n’a aucun signe de vie de la sizaine de “LA TRINGLE”. Nous n’apercevons personne dans la paroi au-dessus de nous, alors que “LA TRINGLE” et ses gars auraient dû amorcer la descente à peu prés en même temps que nous. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien fabriquer ? Les Miliciens ne s’étant pas manifestés, on ne peut pas dire que c’est à cause d’eux qu’ ils ont été retardés ! Le soleil est déjà haut dans le ciel. Cela fait des heures que nous crapahutons, la pente devient moins raide; et toujours pas de “LA TRINGLE”. Chacun est persuadé qu’il a dû se passer quelque chose de grave, mais personne n’ose en parler. Nous regardons tous “PAYOT” qui essaye de les repérer dans la paroi, en vain. Son regard est anxieux. Tous, sains et saufs, nous arrivons enfin au pied du PAS de l’ECHELETTE dans le DIOIS. Nous faisons une longue pause et en profitons pour “casser une bonne croûte “, car nous sommes réellement affamés par l’effort que nous venons d’accomplir. Nous comprenons bien que cet arrêt prolongé est également voulu pour laisser le temps à la sizaine de “LA TRINGLE” de nous rejoindre. Les langues se délient et chacun y va de sa version sur ce qui a dû se passer. Mais personne ne peut réaliser ce qui s’est réellement passé. C’est bien plus tard que nous le saurons.
En fait, c’est le Capitaine “HARDY” qui nous relatera les faits après avoir retrouvé “LA TRINGLE” et ses gars. Son récit est simple:
Au matin, à peu prés en même temps que nous, son équipe étant prête.”LA TRINGLE” fait le raisonnement suivant: Pourquoi descendrions-nous dans le DIOIS au CHATEAU-DES-GARDES pour remonter ensuite dans le VERCORS ? “PAYOT” m’a bien dit que si le secteur était calme, ce qui est le cas, nous rejoindrions COMBEMALE. Ce n’est pas une mince affaire que d’effectuer la descente et plus encore, la remontée du PAS de l’ECHELETTE avec tout notre fourbi. Comme il ne se passe rien, autant aller directement à COMBEMALE. Il est persuadé que c’est ce que va faire “PAYOT”. Estimant que c’est la seule solution raisonnable, il donne donc l’ordre de partir en direction du but final : COMBEMALE. Sans s’en rendre compte, il vient de prendre une décision grave en transgressant les ordres de “PAYOT”; avant de partir, il aurait dû attendre un moment pour s’assurer de la direction prise par le reste du C12.
Heureusement, “LA TRINGLE” et sa sizaine arrivent sans encombre à COMBEMALE. Les ont devancés “PINTCH”, “CUPIDON” et “FILOCHARD” qu’ils sont heureux de retrouver. Ils attendent tranquillement l’arrivée de “PAYOT” et du reste du C12. Ils s’installent pendant que “PAYOT” et sa suite arrivent au CHATEAU-DES-GARDES. (Ce sont les gardes forestiers du DIOIS eux-mêmes qui ont baptisé ainsi la maison forestière).
Averti par on ne sait quel sixième sens, SANTONI Père arrive bientôt. Garde Forestier, il connait toute la région comme sa poche. Ayant un sens aigu d’observation, aucun déplacement important ne lui échappe, surtout dans son secteur. Il nous prévient : Le CHATEAU-DES-CARDES figure sur les cartes d’Etat-Major. Les Miliciens de DIE auront vite fait de découvrir celui-ci. Il nous conseille de ne pas vous éterniser.
A la suite de notre départ précipité du chalet BELLIER qui maintenant doit être brûlé nous avons eu tort de décrocher sans penser à prendre toutes les couvertures, nous n’en avons qu’une chacun, ce qui est nettement insuffisant. C’est pourquoi SANTONI Père nous propose d’emporter quelques couvertures qui sont à la maison forestière, nous ne nous faisons pas prier.
Un peu plus tard, nous partons pour aller nous loger dans une vieille étable située à CHAROSE. Son propriétaire, monsieur FIALLOUX, maire de ROMEYERS, l’a fait retaper en prévision d’un séjour éventuel plus ou moins long de Maquisards. Il nous signale aussi qu’il a fait construire une baraque en planches dans le bois, sur la crête qui se situe au-dessus de nous, pour y abriter éventuellement des blessés.
A LA RECHERCHE DE “LA TRINGLE”
N’ayant toujours pas de nouvelles de “LA TRINGLE” et de ses compagnons, “PAYOT” décide d’effectuer une patrouille à effectif réduit. Nous partons avec lui pour COMBEMALE. Bien que nous ayons allégé nos sacs au maximum, nous constatons qu’il est difficile bien que nous ayons pris un autre itinéraire, plus long et moins abrupte, dans la neige fondante, de remonter jusqu’en haut. Il s’agit de remonter mille mètres de dénivelé. Nous rejoignons bientôt le chemin dit “chemin nivelé” que les vrais montagnards du DIOIS connaissent bien. C’est un chemin souvent étroit au bord d’à-pics avec des montées et des descentes peu raides qui chemine entre la vallée et les hauteurs de GLANDASSE pour atteindre presque le Col du ROUSSET. Vu l’état du sol, nos skis ne nous auraient servi à rien. Ils nous auraient plutôt embarrassés car sur bien des pentes où nous devons passer, la neige fondante transforme notre course en un pataugeage incessant. De plus, sur le plateau du VERCORS, de grands espaces tout nus. Tant bien que mal, nous arrivons à COMBEMALE. Cependant, non loin de notre destination, nous remarquons une large trace de boue et de neige piétinée qui, nous en sommes persuadés, a été faite par une troupe nombreuse de Miliciens. En effet il est improbable que ce soit les nôtres car ils ne sont pas assez nombreux pour laisser une telle piste derrière eux. Nous la suivons, elle nous mène directement à COMBEMALE.
A COMBEMALE: Rien! ni Miliciens, ni C12……Mais où diable sont-ils passés ?
Avec précautions, nous inspectons l’intérieur de la bergerie A part quelques “saloperies” laissées par les Miliciens à leur départ, aucun indice. Seule, à l’extérieur, la neige est piétinée sur une large surface en direction du PAS-DE-LA-SELLE. Aux pourtours de la bergerie, la neige a fondu effaçant ainsi toutes traces.
Oui, vraiment !! aucun indice ne permet de nous renseigner sur ce qui a pu se passer ici, sinon un certain malaise, indéfinissable, une impression désagréable qui nous dit que quelque chose n’est pas naturel. Rendus méfiants et perplexes nous sommes encore plus prudents. Nous scrutons tous les alentours lorsque l’un de nous remarque sur un mur extérieur de drôles de tâches. En y regardant de plus prés, nous constatons qu’il s’agit de taches de sang séché, de lambeaux de “barbaque” (de petits morceaux de chair humaine.)
Pour être perplexes, nous sommes perplexes ! Que s’est-il passé réellement, ici ?? Nous en sommes réduits à des suppositions. L’hypothèse la plus vraisemblable nous est fournie par “PAYOT”. Je crois bien dit-il, que j’ai trouvé je qui s’est passé :
Un Maquisard a dû oublier ou abandonner son sac. Les Miliciens ont dû le trouver, voulu savoir ce qu’il y avait dedans et voir de plus prés ce qu’étaient ces sortes de poupées que sont les gammons et s’en faire “péter” un dans la “gueule” ! Nous sommes tous satisfaits de ces explications. Pour nous il ne fait aucun doute que les choses se sont passées ainsi ou quelque chose d’approchant.
Déçus de n’avoir pas retrouvés nos copains, pensifs après ce que nous avons découvert, nous rentrons, fourbus, par le même chemin.
Nous nous demandons bien comment “HARDY” nous a retrouvés, mais le fait est qu’il nous a rejoints. Lorsqu’on lui raconte notre échec et notre déconvenue, il réfléchit tout haut : Puisqu’ils ne sont pas à COMBEMALE, ni encore moins dans le DIOIS, car on l’aurait vite vu, il suppose qu’ils ne peuvent être que dans le TRIEVES. Ils ont dû prendre l’itinéraire du PAS-DE-LA-SELLE ou passer par ailleurs. Aucun doute dans l’esprit des gars, ce ne peut être autrement que ce que suggère “HARDY”. Celui-ci décide donc d’y faire une reconnaissance par le train. Il le prend donc à DIE et fait le tour par VEYNES et MONESTIER-DE-CLERMONT. Après quelques heures de recherches, il retrouve non seulement tout nos lascars, mais aussi “FILOCHARD”, “PINTCH” et “CUPIDON”. Ils sont installés dans des fermes prés de NOTRE-DAME-DE-VAUX. Rassuré de les avoir retrouvé, “HARDY” revient à CHAROSE par le même chemin.
A son arrivée, il nous raconte leur épopée : “LA TRINGLE” et sa sizaine sont arrivés à COMBEMALE; ils attendent “PAYOT” et ses compagnons. Par prudence élémentaire, “LA LOULE” est de faction à l’extérieur, il a la vue la plus perçante et surtout un don inné d’observation sur le terrain. Tout à coup il s’aperçoit qu’un petit sapin vient de disparaître sur la pente d’en face. En réalité, ce qu’il a pris pour un sapin n’est autre qu’un Milicien en capote qui, en observation avec des jumelles, a dû se baisser. Toujours est-il que “LA LOULE” donne immédiatement l’alerte. Bien entraînés, les Maquisards giclent à toute allure de la bergerie. Il était juste temps car, en réalité, les Miliciens sont beaucoup plus prés que ce que les gars le pensent en sortant de la bergerie. Sac au dos, arme à la main, ils se déploient en V et foncent. Mais dans la bande il y en a un qui est mal parti : C’est “RIBOULDINGUE”. En effet, il est chargé de porter deux sacs, le sien sur le dos et celui de “PAYOT” qui, comme d’habitude, est très lourd. Il est obligé de le traîner sur la neige, ce qui le ralentit énormément. Il plonge au pied d’un sapin. La neige a fondu un peu partout aux alentours. Les Miliciens mitraillent à tout va. Nos gars ripostent en décrochant les uns après les autres Les rafales d’une mitrailleuse découpent et hachent menu le sapin sous lequel le brave “RIBOULDINGUE” a trouvé refuge, de la cime en allant vers le bas. Les balles volent de plus en plus bas. Voulant sauver sa peau, “RIBOULDINGUE” n’a plus qu’une solution : abandonner le sac de “PAYOT” malgré la répugnance qu’il a. Il laisse donc le sac et fonce. C’est un miracle que, dans la fusillade qui s’en suit, et dont il a l’honneur d’être l’objectif, il n’y a que son ours fétiche qui perde un œil. La tête de cette peluche dépassait toujours de la poche de son sac.
Les gars se rejoignent plus loin, très rapidement, tous indemnes. Comme d’habitude, “CUPIDON” manque à l’appel. “LA LOULE” assure qu’il en a “mouché” deux. Le connaissant, on peut lui faire confiance. Une fois regroupés, sans épiloguer, il se dépêchent vers le PAS-DE-LA-SELLE pour l’occuper avant les Miliciens. Ils s’y installent en position de combat et “cassent la croûte”. Ils regrettent amèrement de ne plus avoir le F.M. perdu par “MIMILE” qui leur a cruellement fait défaut tout au long de la journée. Pendant qu’ils se restaurent, ils voient venir un type tout seul. Il ne semble pas s’en faire; il ne se doute certainement pas qu’il est surveillé attentivement par “LA LOULE”. En définitive c’est notre “CUPIDON” qui les rejoint.
Maintenant au complet, ils descendent le PAS, passent à notre ancien camp de la BATIE-DE-GRESSE puis dans le TRIEVES, prennent contact avec les Equipes Civiles qui les prennent en charge et, par SIMARD, arrivent à NOTRE-DAME-DE-VAUX.
N’ayant pas ouvert le sac de “PAYOT”, “RIBOULDINGUE” ignorait que celui-ci contenait,, outre deux gammons, toute la réserve du camp, soit 15000 francs Petain. Le Milicien qui a trouvé le sac et ses n’auraient certainement pas eu le temps de faire la “bringue” avec notre “fric”; ce qui nous console, nous rappelant la “barbaque” collée au mur de la bergerie.
Nous devons rejoindre les copains dans le TRIEVES. En plus huit Maquisards isolés, doivent être rattachés au C12. Pour remplacer le F.M. perdu et armer les autres arrivants qui n’ont pas d’armes, “PAYOT” remonte dans le VERCORS. A ce rythme, il va connaître le parcours par coeur.
Cette fois-ci, il constitue une patrouille à effectif plus important. Elle part avec son armement à cause des mauvaises rencontres toujours possibles dans une région devenue très inhospitalière. Elle doit rapporter des F.M., huit fusils et leurs munitions et quelques autres bricoles comme des crayons allumeurs avec ressorts incorporés pour fixation sur les rails de chemin de fer, du plastic, de la mèche lente et des gammons. Ils reviennent sans avoir rencontré âme qui vive.
Nous sommes stupéfaits et plein d’admiration devant la résistance physique de “PAYOT” qui est de toutes les sorties. Ceci dit, nous devons dégraisser les F.M., remplir les chargeurs afin qu’ils soient opérationnels au cas où !
La route pour le TRIEVES est longue. Le lendemain matin, dés l’aube, c’est à juste titre que “PAYOT” contrôle la répartition des charges dans les sacs. En effet, il y a toujours des tires-aux-flanc et avec le supplément de matériel, la journée promet d’être dure. Nous sommes très, pour ne pas dire, trop chargés car en plus, nous emportons deux jours de ravitaillement. Notre premier but est de reprendre le “chemin nivelé”. Nous le quittons rapidement, direction le PAS-DE-LA-SELLE. Si la montée jusque là nous a éprouvés, ce n’est rien à côté de ce qui nous attend, une simple broutille. Après le chemin des braconniers et des contrebandiers, nous attaquons une pente extrêmement raide dans la neige fondante jusqu’à la poitrine. Nous sommes trempés comme des soupes, transpi¬rons comme en été et sommes obligés d’effectuer des pauses de plus en plus fréquentes. Haletant, “HARDY” ouvre la trace, torse nu, un F.M. en bandoulière. Le frottement de la charge sur ses reins laisse apparaître des perles de sang. Et pourtant, il grimpe….il grimpe…. sans une plainte, le visage marqué par l’effort et la fatigue car il n’a certainement pas le même entraînement que nous; de ce fait il est obligé de pallier cet inconvénient par une volonté de fer et poursuit un véritable chemin de croix. Têtu, il se cramponne. Soudain, sans crier gare, “PAYOT” s’arrête et se couche dans la neige. Nous nous rendons compte tout de suite que cela ne va pas. Il y a quelques jours, il est retourné à DIE pour prendre son sac de montagne personnel afin de remplacer celui que “RIBOULDINGUE” a été obligé de laisser. Nous le lui enlevons. Sur le coup nous sommes un peu paniqués. Il a une défaillance cardiaque. Il a beaucoup trop payé de sa personne, ces temps derniers et ceci nous paraît la conséquence de cela. Bien entendu, nous nous sommes tous arrêtés. “HARDY” préconise qu’il redescende accompagné par l’un d’entre nous pendant que lui continuerait avec les autres. Ayant donné sa parole pour le rendez-vous prévu pour ce soir, il veut la tenir. “LE BUFFLE” qui est l’adjoint de “PAYOT” pense quant à lui, comme plusieurs d’entre nous, qu’il serait plus sage de remettre l’expédition à plus tard et de faire demi-tour. Nous, nous pensons à la surcharge supplémentaire que nous allons devoir porter à la suite de la défaillance de “PAYOT”; car, quelque soit la décision prise, il va bien falloir partager la cargaison de ce dernier, étant entendu qu’il est exclus d’abandonner quelque chose.
Se remettant peu à peu, “PAYOT” nous explique que quelques années auparavant, en faisant la descente d’une cheminée dans les rochers de CHIRONNE, situé prés du Col du ROUSSET, au-dessus de CHAMALOC; il a fait une mauvaise chute et reçu un très mauvais coup au niveau du coeur. Après la longue pause que nous venons de faire, il semble aller mieux et propose de repartir avec un sac allégé. Nous avons déjà profité de la pause pour répartir son barda entre nous, il n’est pas question de recommencer. “HARDY” et nous, refusons net. Nous reprenons la montée en transpirant abondamment. Nous avons si chaud malgré que nous soyons encore en Avril, que nous nous mettons en chemise, manches retroussées.
Péniblement, nous arrivons enfin en haut et nous nous laissons choir au sol sans déboucler les sangles de nos sacs. Sur le plateau, là où la neige a fondu, ce devrait être plus facile pour marcher. Seulement voilà, la sécurité exige que ne circulions pas sans précautions; nous ne pouvons pas nous déplacer à l’aveuglette sur le plateau en présence de tous ces Miliciens qui s’y baladent ou qui peuvent le faire. Les larges traces qui s’entrecoupent sur les parties enneigées nous incitent à la plus grande prudence. Il nous faut donc répartir une partie de la charge de deux éclaireurs qui devront être suffisamment allégés pour battre le maximum de terrain. Maintenant, nous sommes devenus de vrais bêtes de somme, des mulets, tant nos charges sont impressionnantes.
Heureusement nous ne faisons aucune mauvaise rencontre. Vu l’heure tardive nous supposons que les Miliciens ont eu hâte de regagner leurs lointains cantonnements de la vallée, avant la tombée de la nuit qui devrait être là dans environ deux heures. Finalement, nous arrivons au PAS-DE-LA-SELLE avec du retard sur l’horaire prévu, faisons une “pause-casse-croûte” pour compenser une partie de notre retard.
A l’approche du lieu de rendez-vous, nous voyons monter le camion que nous envoie les Equipes Civiles du TRIEVES. Nous sommes loin d’être arrivés, car nous ne sommes qu’à la moitié de la descente du PAS. Le camion vient de SAINT-MICHEL-LES- PORTES et se dirige vers LA-BATIE. Il est exact au rendez-vous lui. Nous accélérons l’allure au maximum de nos possibilités et arrivons pratiquement à l’heure. Nous embarquons avec joie et soulagement en mettant nos quatre F.M. en batterie, au cas où…!!
Pendant la traversée de MONESTIER-DE-CLERMONT, nous roulons au ralenti. Des civils, aux fenêtres du premier étage de leur immeuble voient l’intérieur de la caisse du camion où nous nous trouvons. Certains ferment précipitamment leur volets, d’autres applaudissent avec ardeur. Nous arrivons à SINARD. Nous sommes répartis chez l’habitant au bord de la route et mangeons. Nous constatons avec étonnement que les civils qui nous reçoivent se comportent comme si nous étions en temps de paix, comme si la guerre était finie; alors que pour nous, elle devient de jour en jour plus âpre.
Dans la soirée, nous repartons à pieds puis après avoir investi un petit barrage de l’E.D.F. pour nous assurer qu’il n’est pas occupé par des indésirables, nous franchissons le DRAC par la route construite sur le barrage. Guidés de bout en bout par les gars des Equipes Civiles, nous nous arrêtons AU CHATEAU prés de LA-MOTTE-LES-BAINS. Nous avons la visite surprise de “JOB-JOB” (KALCK) que nous ne nous attendions certes pas à rencontrer ici, ainsi que le Lieutenant “HENRY” (CHAMPON)
Depuis le passage du Capitaine “HARDY”, “LA TRINGLE” et sa sizaine sont partis à NOTRE-DAME-DE-VAUX. A pied, puis en camion, nous allons les rejoindre dans la nuit. Inutile de dire la joie fraternelle de ces retrouvailles. En arrivant, nous faisons connaissance avec ces nouveaux venus. Huit hommes sont là à nous attendre. Ils sont affectés maintenant au C12 et sont tous adoptés immédiatement. Il faut dire que, pour la plupart, ce sont de vieux Maquisards :
“O.F.I.” Georges TORCHIN, au C3 depuis le 21/03/43
“PHEBUS” Pierre BAILLY, un ancien de 1939
“MELINITE” Roger HARPAUX
“KIKI” ? ?
“LA CHIUME” ? CARIGNON
“ATHOS” Claude FORGET
“PORTHOS” Pierre FORGET
Jacques, malade, sera évacué et nous ne le reverrons pas. Quant à “PHEBUS”, il est aux anges, car on lui confie un F.M. (tireur de cette arme en 1939)