Récits – Jean Brunet

Un jeune Résistant – Jean BRUNET

Comment on devient réfractaire

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Jean Brunet

L’entreprise Boissieux, employait plusieurs salariés, tous plus âgés que Jean; A l’application du STO, Monsieur Boissieux, tenu de recenser son personnel n’en déclara qu’un : Jean, lui, le plus jeune et le moins mobilisable d’entre eux.

Un soir de 1943, alors qu’il arrivait à la maison, Jean fut surpris d’y trouver son patron et sa mère en pleurs. Il se demanda ce qu’il avait pu faire de grave pour créer cette situation ?

Une convocation en vue du travail obligatoire en Allemagne venait d’arriver. Il était expressément stipulé qu’il devait se présenter à la Kommandantur de Grenoble sous quarante-huit heures, afin de passer des examens médicaux avant son départ. Rien n’expliquait les raisons de sa sélection, lui si jeune !

Dans le Vercors, des maquis étaient déjà bien implantés, notamment le plus ancien et le plus important d’entre eux, celui d’Ambel, près du col de la Bataille. Installé depuis 1942 sous le couvert d’une exploitation forestière, il employait quantité de jeunes réfractaires.

Pierre Brunet, le frère aîné de Jean, travaillait pour cette entreprise, s’occupant surtout de la logistique et du suivi des bois jusqu’à la scierie de St Hilaire, contrôlée par les allemands.

Avec Paul, le père, fortement compromis dans ces mouvements clandestins, Pierre était partie prenante dans l’organisation du maquis de ce camp.

Jean lui-même, était imprégné de cette ambiance résistante, car des réunions du mouvement ou de l’entreprise d’Ambel se faisaient parfois dans la maison paternelle. Elles étaient animées par les dénommés Huillier, Glaudas, Pierre Brunet et d’autres. Pour les décisions de travail, quelques actionnaires comme Mrs Gravier ou Guillet, ne connaissant pas la finalité du camp y participaient aussi.

Intégré à ce contexte, Jean distribua des tracts et prit parfois en charge des gens envoyés par Brun ou Bellier. Il les guidait le long de la rivière avant qu’ils ne traversent sur la barque de Vuillot.

“Tout cela se faisait de façon presque naturelle, sans être trop oppressé par le secret. Il est vrai qu’il n’y avait pas de troupes d’occupation à Pont et les mouchards semblaient peu nombreux.”

Informé du danger qui menaçait son frère, Pierre conseilla de préparer une lettre demandant d’orienter Jean sur Ambel et de l’adresser au général allemand qu’il connaissait et qui dirigeait la scierie de St Hilaire.

Deux jours après, Jean escorté par son père se présenta à Grenoble, puis après la visite médicale, il donna sa lettre.

Quand ils rentrèrent à Pont-en-Royans, l’affectation à Ambel avait été accordée.

La Rentrée au Maquis

Jean ne fut pas envoyé dans les équipes d’abattage du plateau, mais intégré à Bouvante-Le-Haut, sur l’aire de récupération des grumes.

En ce lieu, près du baraquement construit à cet effet, des bureaucrates, réceptionnistes et approvisionneurs, soit une vingtaine de personnes travaillaient.

Suspendues à un câble en continu reposant sur deux poulies, dont l’une installée au-dessus du “Saut de la truite”, les grumes glissaient du sommet, venant heurter souvent violemment le chevalet-buttoir qui les recevait, le système de freinage manuel n’étant pas toujours très efficace.

Alors que le bois descendait, en contrepoids, un container de ravitaillement montait.

Les billes étaient ensuite chargées sur des camions et livrées à St Hilaire.

Dès ce moment, les gars supportèrent mal de travailler directement pour l’ennemi et les incidents et sabotages se succédèrent, ralentissant systématiquement la production. Pourtant, jamais un teuton ne monta à Ambel ni à Bouvante.

Dans le camp, l’attente imminente de l’offensive alliée, et les armes promises qui n’arrivaient pas surchauffaient les esprits. De plus, ils avaient aussi la presque certitude, que l’occupant connaissait leur activité clandestine. La confirmation qui ne se fit pas attendre se concrétisa par plusieurs mitraillages aériens des bâtiments de Bouvante.

En juin 1944, à l’annonce du Débarquement de Normandie, après huit mois de présence sur l’exploitation, Jean et ses camarades abandonnèrent leur travail pour rentrer officiellement au maquis.

Aux ordres du capitaine Fayard, ils se regroupèrent sur le versant ouest de la montagne, en-dessous de la Forêt de Lente. Le poste de commandements se trouvait dans une ferme située au centre d’une prairie, les cantonnements étaient disséminés tout autour.

Le quartier s’appelait “Les Berneries”, de là, on pouvait observer toute la plaine du Royans.

Ayant enfin reçu quelques matériels, ils commencèrent une petite formation militaire et, participèrent à des parachutages sur le Vercors.

Jean y fut convié une fois. Il se rappelle que s’étant rendu de nuit avec son groupe sur une bande de pâturages dominant le sud-ouest de St Martin, ils avaient préparé les emplacements de balisage. L’action menée avec un minimum de bruit dans l’obscurité profonde de la montagne, tous sens aux aguets, était palpitante, puis, dans un oppressant silence, l’attente avait commencé. Il fallait guetter les indices suspects mais surtout le vrombissement tant attendu des moteurs de l’avion.

Dans l’après-midi, du (date ?), Jean et ses camarades assistèrent impuissants aux bombardements de St Jean, St Nazaire et Pont.

Comme les avions volaient plus que leur observatoire, les jeunes pouvaient suivre la trajectoire des projectiles largués apparemment sans objectif précis.

Connaissant bien l’engagement de ces communes auprès de la Résistance, l’ennemi balançait ses bombes au hasard en guise de semonces.

Quand le 21 juillet 1944, survint l’attaque générale sur le Vercors, le groupe mal armé et engagé sur aucun lieu stratégique reçut l’ordre de se disperser. A chacun pour soi.

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Jean Brunet

La cavale

Jean et quelques collègues de Pont, pensèrent se réfugier dans leur ville natale et, comme il n’y avait apparemment aucune unité d’occupation ou de contrôle ennemie sur le Royans, ils descendirent sous St Laurent au lieu-dit “les Forges”. Puis, par précaution, craignant de faire de mauvaises rencontres, évitant de couper au plus court par la plaine, ils remontèrent sur la montagne de Châtelus avant de se glisser dans l’agglomération qu’ils trouvèrent désertée par une grande partie de sa population.

Seuls restaient les hommes d’un certain âge, les autres habitants craignant de nouveaux bombardements ou des représailles, s’étaient mis à l’abri dans la montagne.

Jean y retrouvera son père, qui lui raconta que peu de jours avant, les allemands avaient investi brusquement et massivement la ville. Rentrant dans la maison, ils s’étaient mis à fouiller de partout, alors qu’en un français correct, l’officier lui posait des questions. Dans la discussion, Paul Brunet comprit que l’homme était de son âge et il orienta la conversation sur la guerre 14/18. Surprise !, il s’avéra que tous deux avaient connu le même front.

Alors, avec déférence, le gradé s’était élevé, avait tapé sur l’épaule du père, puis, rappelant ses soldats était parti.

Ce dialogue père fils fut de courte durée, car dans la crainte d’une incursion toujours possible, jean repartit de suite en direction de Choranche, pensant se cacher à proximité de fermes amies.

C’est à cinq ou six dans le secteur de Bournillon, qu’ils avaient construit des cabanes dans les bois, leur ravitaillement était assuré par les gens du cru.

L’un des fugitifs fut-il repéré ? Ou s’agissait-il seulement d’un saupoudrage dissuasif d’obus ? Un feu d’artillerie se déclencha soudain, les obligeant à changer de lieu au plus vite.

Sur la commune de Choranche, dans des temps anciens, encastré dans la falaise surplombant la Bourne, face à la route montant à Villard de Lans, un canal alimentant en eau certainement un moulin, avait été creusé. Désaffecté et sec, cet abri leur fut indiqué par les riverains comme une cache sûre, dont l’accès ne pouvait se faire par ses extrémités.

Ayant parcouru l’ouvrage sur sept à huit cents mètres, les fuyards y avaient établi leur campement. Des jours durant, se tenant allongés pou voir sans être vus, ils purent tout à loisir observer le trafic des véhicules ennemis appuyant l’effort de guerre des fantassins lancés dans la destruction du Vercors.

Bien plus tard, en repensant à ces événements, Jean se dira qu’avoir provoqué et voulu combattre de front un adversaire, certes aux abois, mais toujours puissant, avait été une grave erreur. A son sens, la Résistance aurait dû continuer à agir dans l’ombre et ne pas s’arroger une capacité qu’elle n’avait pas.

Dans l’ignorance presque totale de la situation extérieure, l’attente dura trois semaines. Les fermes voisines toujours fidèles, apportaient ce qu’elles pouvaient pour calmer leur faim.

Le temps passant, les locataires avaient fini par s’éclipser les uns après les autres pour ne laisser avec Jean que Fernand Bellier.

Enfin un dimanche matin du mois d’août, Paul Brunet son père, se présenta sur la route face à eux. Brassant l’air par de grands gestes, il leur signifia qu’ils pouvaient, sans risque, quitter les lieux.

Il faisait beau, de retour à Pont, après les retrouvailles, Jean qui ayant mal supporté le rembourrage en pierre de sa couche sauvage, prévint sa mère qu’il allait se reposer un peu.

Il était à peine assoupi que dans la rue principale, la voix grave et nasillarde d’un haut-parleur s’était faite entendre. L’occupant de nouveau présent réclamait au plus vite le rassemblement de tous les hommes de dix-sept à soixante ans sur la place du Pont Picard.

Pour Jean, il n’était pas question de se rendre à l’invitation et il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour, se glissant dans les antiques et obscures ruelles bâties au flanc de la montagne, prendre de l’altitude.

Le site des ruines dit des Trois Châteaux, lieu de grandes tueries au XVIè siècle rapidement atteint, il retrouva d’autres jeunes qui avaient suivi le même chemin.

De ce magnifique observatoire, ils purent constater qu’en bas, des hommes, peut-être une centaine, attendaient. A un signal, encadrés par des soldats, ils avaient pris à pied la route de Choranche. Dans ces requis, aucun ne se doutait du but de la manoeuvre ni de la destination finale, mais tous connaissaient les atrocités dont les nazis étaient capables. Tout était à craindre !

C’est un peu plus tard que Jean apprit la suite de l’affaire : le groupe avait marché jusqu’à la Balme de Rencurel, un petit village blotti dans l’étroite vallée creusée par la Bourne et distant d’environ quinze kilomètres de Pont.

Là-bas, un dénommé Schneider, directeur de l’usine “CGE”, productrice de composants électrique et grande consommatrice de main6d’oeuvre, les avait rejoints. Il avait demandé aux autorités ce qu’elles comptaient faire d’eux, précisant que faute de personnel, son usine qui travaillait en totalité pour l’Allemagne allait interrompre toute fabrication.

Personne ne suit jamais la raison de cette opération avortée, mais tous furent relâchés et en furent quitte pour refaire toujours à pied le chemin en sens inverse.

L’après Maquis

La région et Romans libérées, l’ennemi disparu, par prudence, des jeunes en armes continuèrent à assurer des gardes sur le secteur.

Ce soir là, un dénommé Varingue avait averti Jean que sa femme étant sur le point d’accoucher, il était possible que dans la nuit il soit obligé de sortir. C’est pour cela que, en faction sur le pont Picard, entendant des bruits de pas dans l’obscurité, personne ne s’était inquiété.

Jean s’avança dans le noir avait hélé le futur papa qui n’avait pas répondu. S’approchant alors un peu plus, il se trouva nez à nez avec un allemand en uniforme. D’où sortait-il ? Etait-ce un oublié, un égaré, y en avait-il d’autres ?

L’alerte donnée et l’homme rapidement escorté à la gendarmerie, des patrouilles furent lancées en reconnaissance à la recherche d’autres intrus. Il s’avéra par la suite qu’il s’agissait simplement d’un déserteur.

Les volontaires du Royans voulant s’enrôler dans les rangs du 11è Cuirassiers se regroupèrent à la Baume d’Hostun. Plusieurs jeunes de Pont s’y inscrivirent, mais Jean ne sentit pas momentanément l’envie de le faire.

Ce n’est que quelques jours plus tard avec trois ou quatre amis, qu’il rejoignit le régiment à Lurs dans les Vosges, et signa son engagement pour la durée de la guerre.

Nommé à la maintenance du parc auto du groupement, Jean passera la totalité des hostilités dans ce service.

Les approvisionnements et la nourriture étaient américains, les véhicules récupérés dans le pays étaient en majorité de fabrication française; Jean dit que pour l’époque, ce matériel était assez fiable. Par contre, les dotations en carburant étant souvent très réduites, il fallait par des jeux de paperasseries, tenter d’en “piquer” aux alliés.

La poche de Royans résistant aux assauts des libérateurs, l’ensemble du régiment fut transféré en renfort sur ce lieu. A son arrivée, les GI’s avaient terminé le travail, mais ils restèrent tout de même trois semaines sur place avant d’être réexpédiés sur Strasbourg pour achever la prise de la ville.

Deux bataillons leur furent prélevés pour soutenir les effectifs des BM23 et BM24 qui avaient subi beaucoup de pertes. Le reste du groupe fut mis au repos dans le Loiret. La capitulation des Teutons les y trouva.

En septembre 1945 envoyés comme troupe d’occupation, il partirent pour l’Allemagne et s’installèrent dans la région de la Forêt Noire.

Epilogue

Libéré de ses obligations militaires, Jean retourna à Pont en Royans et se réadapta à la vie civile.

Il se maria en septembre 1949, mais la disparition un mois plus tard de son père provoqua une désorganisation dans le fonctionnement des multiples entreprises familiales.

Au fil des années, Jean eut trois filles, et devint successivement épicier-droguiste, gérant de coopérative, représentant en machines à coudre, laitier pour finir cadre dans la concession Renault de Romans.

Aujourd’hui, comme depuis de nombreuses années déjà, il oeuvre pour que rien ne s’oublie et que ces moments terribles ne disparaissent pas avec ceux qui les ont vécus.

Organiser des manifestations pour que le souvenir reste au-delà des générations, c’est le travail que lui et quelques autres s’emploient à faire par le biais des associations.

Récit lu et certifié conforme à mes explications
Janvier 2005 – Jean Brunet