Récits – André Madeline – Le lac du Poursollet

LE LAC DU POURSOLLET

Nous armons tous les nouveaux et avec eux, nous partons à pied presque aussitôt. Nous montons au lac du POURSOLLET dans l’OISANS (1649 mètres), au pied du TAILLEFER (2857 mètres), prés de LIVET-GAVET.

Du lac nous partons en corvées de ravitaillement vers LIVET-GAVET. C’est très pénible, car le trajet est long, mais surtout la pente est très raide. Sur les bords du lac, il y a des habitations inoccupées. Ce sont des chalets de week-end ou de vacances. En arrivant, nos regards sont attirés par des pancartes signalant: “Pêche et chasse interdites !!” Nous nous réjouissons, car, si l’interdiction est bien respectée, le lac doit être très poissonneux et la région giboyeuse. Qu’est-ce que nous allons nous “farcir”??!!

Pour une étendue aussi réduite, la dénomination de “lac” semble bien prétentieuse. En fait il s’agit plutôt d’un étang qui nous donne des idées. Nous construisons des radeaux et organisons des batailles navales entre nous. Les gars du C12 ne sont pas fait pour de l’eau aussi glaciale, nous avons beau être jeunes, la réaction au froid est imprévisible et risque d’être dangereuse. Sagement nous décidons d’exercer nos talents à la chasse et à la pêche. Les grenouilles pullulent sur les rives de l’étang où s’entassent des tas d’oeufs énormes qui ressemblent à des bulles de savon.

Nous avons découvert des ustensiles et du matériel de pêche dans les maisons du bords de l’étang. Elles sont presque toutes, portes grande-ouvertes par des prédécesseurs peu scrupuleux. Avec un filet fixé au bout d’une perche, nous attrapons des grenouilles que nous vidons dans un grand bac.”CALVA” n’aime pas beaucoup ces bestioles-là, mais dans l’ambiance chaleureuse des copains, sous l’influence de l’excitation de la pêche miraculeuse, il s’amuse beaucoup.

Nous prenons habituellement nos repas dans un grand baraquement, vestige des chantiers de jeunesse, là aussi. Deux équipes se forment: L’une part à la chasse, l’autre à la pêche à la main. Ne connaissant pas la région, la chasse au sanglier ni celle du chamois; nous rentrons bredouilles et fourbus. Par contre, la deuxième équipe, partie à la pêche, a beaucoup plus de chance. La pêche à la main de la truite a été fructueuse Il faut croire qu’ils sont plus débrouillards que nous.

Pendant ce temps, assis sur un billot de bois, ayant un autre billot de bois devant lui, “TATARE” attrape les grenouilles vivantes dans le bac; d’un coup sec de serpe il leur coupe les cuisses qu’il lance dans un grand seau; le reste de la grenouille saute à terre, en tas. Il y en a partout, c’est écœurant!!

A midi, tout le camp prend place à table. Un doux fumet emplit la salle. Malgré son dégoût, “CALVA” ne peut résister à la tentation d’y goûter. Bien préparées, elles sont délicieuses. Voyant qu’il s’est décidé, “PARE-CHOCS”, spontanément, fait de même. C’est la première fois que des garçons comme nous se régalent de cuisses de grenouilles. Succulentes, à la suite d’une préparation de grands cuistots, c’est un véritable luxe pour nous. L’ambiance joyeuse est à son paroxysme lorsque “PHEBUS” (Bailly) Qui n’a son pareil pour raconter des histoires drôles, se lance dans une série de narrations d’évènements extraordinaires, coquins, comiques qui entraînent tout le monde dans une franche rigolade.

Le C11, puis le C13 viennent se joindre à nous au POURSOLLET.

Ici se place un incident qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques pour les trois camps rassemblés dans le grand réfectoire.

“PAYOT” veut faire une démonstration de ce qu’est un gammon. Il est vraiment inspiré ce jour là ! ! Après quelques manipulations, il se lève soudain, très pâle et interpelle “FEND-LA-BISE”:

“Toi qui es toujours calme, ramasse la goupille qui est à terre et suis-moi à l’extérieur.”

Ils sortent ! !

Quelques instants plus tard, “FEND-LA-BISE” et “PAYOT” rentrent. Ce dernier a l’air plus à l’aise. Nous réalisons seulement à quel danger nous venons d’échapper et nous sommes nous-mêmes également soulagés. Cet incident prouve que personne n’est à l’abri d’une maladresse. “PAYOT”, lui qui nous recommande continuellement la prudence, vient d’en commettre une, caractérisée.

Il faut connaître le fonctionnement du gammon et sa manipulation particulièrement délicate. En effet, au moment où l’on dévisse le bouchon, il faut avoir bien soin de tenir un pouce sur le ruban roulé qui est plombé. Sitôt le bouchon enlevé, si l’on ne prend pas cette précaution, le plomb entraîne le ruban au bout duquel est fixée la goupille. Le gammon est alors amorcé et le moindre choc le fait exploser. Le mécanisme de percussion est si précis que le gammon dégoupillé reste inerte tant qu’il n’est pas soumis à un choc. La jupe sert à maintenir une boule de plastic plus ou moins grosse suivant l’usage que l’on veut en faire. Ce plastic entoure le détonateur. C’est donc une arme très instable qui, une fois amorcée, demande à être préservée du moindre choc pour éviter une catastrophe.

C’est ce qui vient d’arriver à “PAYOT” et il semble bien que ce soit aussi arrivé aux Miliciens qui n’ont pris aucune précaution lors de la découverte du sac de montagne à COMBEMALE. “PAYOT” sachant neutraliser le gammon et n’ayant pas perdu son sang-froid, a pu nous éviter le pire heureusement.

1 Mai 1944 – “EMMANUEL” capturé

Une très mauvaise nouvelle nous parvient. Nous apprenons que les Allemands ont arrêté “EMMANUEL” (Emmanuel MOLLE), chef des Equipes Civiles de MONESTIER-DE-CLERMONT. Réunis au lac du POURSOLLET, les Maquisards des trois camps sont décidés d’attaquer les Fritz pour le libérer. Mais pour cela, il faut savoir où ils l’ont emmené et deuxièmement qu’on leur en donne l’ordre.

On nous précise qu'”EMMANUEL” interpellé dans la rue avec un camarade de la Résistance, (“JEAN-PIERRE” nous croyons) , a aussitôt pris la fuite avec son ami. Ce dernier a réussi à semer ses poursuivants alors qu'”EMMANUEL”, fatigué par ses nombreux déplacements, épuisé par la course-poursuite, aurait essayé de trouver refuge sous un porche où il aurait été pris. Il semble bien que les Allemands (ou les Miliciens) ne se seraient aperçus de l’importance de leur capture qu’après. Pour que la Résistance soit incapable de le délivrer, ils auraient alors brouillé les pistes en utilisant de faux prisonniers qu’ils auraient transférés dans plusieurs voitures et dans différentes directions, alors qu’en réalité, “EMMANUEL” serait resté sur place. Ce qui est sûr parce que confirmé, c’est qu’il a été torturé à GRENOBLE, puis déporté en ALLEMAGNE qu’il n’a jamais atteinte car il est décédé en cours de route, n’ayant donné aucun renseignement à ses bourreaux.

Nous attendons les ordres. Nous pouvons dire, sans être contredits que la population de MONESTIER-DE-CLERMONT a, sans le savoir, échappé à un grand danger. Le combat envisagé dans cette petite commune avec autant de Maquisards aguerris, aurait été impitoyable. En contre partie quand nous aurions décroché, la répression qui aurait suivi obligatoirement, ne l’aurait été pas moins et les représailles auraient été terribles.

RETOUR au VERCORS à “LA COCHE”

Au bout de quelques jours, tout le monde repart. Sans doute, l’opération “maintien de l’ordre !!” des Miliciens dans le VERCORS doit être finie. Nous embarquons dans des camions. C’est un convoi assez important. Chaque camion est armé de deux fusils-mitrailleurs en batterie, prêts à faire feu. De nuit, sans phares, sur une route sinueuse longeant des précipices dont le fond est invisible, nous descendons la vallée en traversant LA MORTE, puis LAVALDENS. C’est dans cet équipage que nous traversons LA MURE au ralenti, conscients de notre force. Sur les trottoirs, des Fridolins médusés et des Miliciens craintifs n’en mènent pas large.

Nous passons, sans incident, le doigt sur la détente. Toute la nuit, dans nos camions à gazogène poussifs, nous roulons très lentement, non seulement à cause du gazogène, mais surtout parce que le parcours ne se prête pas à la vitesse: MENS, LALLEY, le Col de la CROIX-HAUTE, suivi de celui de GRIMONE, pour passer par CHATILLON-EN-DIOIS, puis DIE et enfin nous arrivons à CHAROSE prés de ROMEYER, après avoir laissés en route le C11 et le C13.

Là, “SEPPI” guéri, nous rejoint. “RIBOULDINGUE” confie la garde de “SEPPI” à “CALVA”. Cette méfiance vis à vis d’un des nôtres lui paraît excessive; mais peut-être est-elle une obligation pour éviter toutes surprises. Il n’aurait jamais cru que l’on puisse nous surveiller aussi longtemps. Cela fait bien trois mois qu’il est avec nous. Serait-ce son accent qui le rend ainsi suspect ? Un ordre est un ordre et il ne peut aller quelque part sans que “CALVA” lui propose de l’accompagner pour lui donner un coup de main. Pour éviter d’éveiller ses soupçons, Il se fait relayer par “PARE-CHOCS”.

Nous allons chez le Maire de ROMEYER M. FIALLOUX qui, aidé par les SANTONI père et fils ainsi que les résistants du village se chargent de nous ravitailler. Puis, nous partons nous installer non loin de ROUSSET-EN-VERCORS, à la maison forestière de LA COCHE. Là, pour ne pas perdre les bonnes habitudes, nous reprenons nos sempiternelles gardes et corvées en tous genres.

II y a plusieurs semaines que nous avons stocké des pains dans un sapin et du matériel dans les grottes “AUX OURS”. Nous formons une équipe dirigée par “PAYOT” pour aller récupérer le pain et rapporter du matériel supplémentaire.

Au passage, là où s’élevait le chalet BELLIER, nous jetons un regard attristé sur les ruines. Les Miliciens l’ont entièrement brûlé. En ce mois de mai 1944, la neige a complètement disparu, faisant apparaître le restant des troncs d’arbres que nous coupions, pour nous chauffer, au ras de la neige. Maintenant, nous sommes à même d’en mesurer la hauteur cet hiver. Ces troncs forment une haie en dos d’âne qui dépasse largement nos têtes. Nous évaluons sa hauteur à prés de trois mètres.

AUX OURS, nous retrouvons intacts tous nos pains à l’exception d’un seul que nous avions placé trop prés du tronc. Mais que ces derniers sont durs !!! Nous ne pourrons les utiliser que pour la soupe. Nous revenons chargés de conserves et de biscuits en boite.

Sur le plateau, à BEURRE, il n’y a pas d’eau. La neige disparue, nous ne pouvons plus nous désaltérer. La soif nous tenaille. “PAYOT” nous indique une grotte placée plus bas que BELLIER et dont nous n’aurions pu soupçonner l’existence. Par temps de neige, l’ouverture est complètement dissimulée. Nous pénétrons dans la grotte et, après une descente de plusieurs mètres, nous nous trouvons dans une grande salle nous permettant de nous tenir debout sans aucun problème. Sur une roche en forme de table, il y a un gobelet plein d’eau. Cette dernière tombe goutte à goutte de la roche suintante. Dans la DROME, ce genre de “source” est fréquent. Elles ont été appelées “gouttailles”. “PAYOT” nous recommande de n’en boire qu’une petite gorgée chacun pour qu’il y en ait pour tous. Un écriteau placé prés du gobelet est très explicite:

“N’oublie pas de remettre le gobelet à sa place, pense aux copains !!”

Cette annotation n’est pas superflue, il ne tombe qu’une goutte de temps à autre et il doit falloir un “sacré” bout de temps avant que le gobelet ne soit plein. Quant à l’eau, si elle est fraîche, elle a un goût désagréable et elle est tout juste buvable. Peut-être est-elle trop vieille ?! Mais c’est de l’eau !

Nous rentrons à LA COCHE.

QUE S’EST-IL PASSE DANS LE VERCORS
DURANT NOTRE ABSENCE ?

13 Avril 1944 – Alerte

M. FUSCH, un restaurateur de VALENCE surprend une conversation entre Allemands et Miliciens dans son restaurant. Au cours de celle-ci il apprend qu’une attaque est décidée contre le Maquis du VERCORS pour le dimanche 16 Avril. Il donne immédiatement l’Alerte par téléphone. Aussitôt, les ordres de dispersion sont donnés. Tous les camps doivent “faire le vide”. C’est fait sans attendre, à l’exception du C12 qui doit s’occuper de camoufler les armes reçues par parachutage et qui n’ont pas encore été toutes “planquées”.

Dimanche 16 Avril 1944 – Attaque des Miliciens

Effectivement dés l’aurore, des unités de Groupes Mobiles de Réserve (GMR) bloquent toutes les voies d’accès pour pénétrer à l’intérieur du massif ou pour en sortir et procèdent à des contrôles et des arrestations.

Au même moment, les Allemands et les Miliciens, investissent le VERCORS en camions et cars pour occuper principalement les communes du VERCORS SUD. Le poste de commandement (P.C) Allemand s’installe à l’hôtel BELLIER à LA-CHAPELLE-EN-VERCORS. Les 500 francs-gardes de la Milice sont commandés par DUGE de BERNONVILLE et DAGOSTINI.

Voyant arriver les ennemis à LA CHAPELLE-EN-VERCORS, mademoiselle REVOL, l’institutrice, n’écoutant que son courage, enfourche sa bicyclette et fonce prévenir les habitants de VASSIEUX-EN-VERCORS de l’arrivée probable et imminente des Miliciens. Cet acte courageux permettra aux habitants de faire disparaître rapidement des traces risquant de compromettre pas mal de monde.

Vers 16 heures, en camions, les Miliciens arrivent et encerclent immédiatement le village; ils mettent en batterie plusieurs mitrailleuses aux points stratégiques du bourg, tirent et entrent dans VASSIEUX sans ralentir. Ils giclent de leurs véhicules et, en un temps record, bloquent toute circulation à l’intérieur. Opération spectaculaire qui a pour but de terroriser la population.

Ils prennent tout de suite des otages parmi les premières personnes qui leur tombent sous la main et commencent à les interroger sur la présence des Maquisards et Résistants dans la région. Voyant arriver la soldatesque ennemie, les jeunes du village essayent de s’enfuir, mais, constatant que les Miliciens sont surexcités, ils craignent d’être impitoyablement abattus, et se rendent.

Ils sont arrêtés et le Lieutenant Milicien BERTIN les interroge. Ils sont une douzaine, la plupart de VASSIEUX, deux seulement ne sont pas du village. Ils sont emmenés devant une meule de paille où un peloton de Miliciens s’apprête à les fusiller. Voyant cela, n’écoutant que son courage, le valeureux abbé GAGNOL, Curé de VASSIEUX, intervient. Quelques instant plus tôt, il a réussi, lui et monsieur BERTHET, adjoint au maire, à forcer les barrages. Il plaide pour la libération des jeunes auprès du fameux Lieutenant de la Milice BERTIN. Il se porte garant du fait que ces jeunes sont bien de sa paroisse, et, pour appuyer ses dires, il citent leurs noms et prénoms. Ne voulant pas prendre la décision personnellement, le Lieutenant conduit les deux négociateurs à l’Inspecteur National de la Milice DAGOSTINI qui vient de s’installer avec son entourage à l’hôtel ALLARD.

L’abbé GAGNOL plaide une nouvelle fois, l’innocence de ses jeunes paroissiens et donne sa parole d’honneur que ceux-ci n’appartiennent pas, de prés ou de loin, à la dissidence.

Pour justifier cette arrestation totalement arbitraire, DAGOSTINI prétend que des coups de feu ont été tirés sur eux lors de leur arrivée à VASSIEUX. L’abbé GAGNOL lui certifie que se sont les Miliciens eux-mêmes qui ont tiré, et que, comme il peut le constater, il n’y a pas de dissident à VASSIEUX, ce qui était parfaitement exact à cette date et à cette heure-là.

“S’ils se sauvaient, c’est qu’ils n’avaient pas la conscience tranquille” dit DAGOSTINI.

“Quand ils ont vu les camions arriver à toute allure dans le village, ils vous ont pris pour des Allemands. Croyez-vous que les jeunes tiennent à tomber entre leurs mains ? Vous ne devez pas ignorer que ce sont toujours ou presque, les jeunes innocents, qui n’ont rien à se reprocher, qui sont les victimes toutes désignées des représailles. Regardez ce qui s’est passé AUX BARRAQUES, à ROUSSET en janvier 1944 et dernièrement à SAINT-JULIEN-EN-VERCORS !” lui répond l’abbé.

“Nous sommes bien renseignés, il y a des salopards dans VASSIEUX même” réplique DAGOSTINI.

Ainsi se poursuit une discussion pénible et. angoissante. Après une attente qui semble interminable et de nouvelles explications, l’abbé GAGNOL a gain de cause et obtient enfin la libération des jeunes de VASSIEUX. Malheureusement, les deux jeunes qui ne sont pas du village, ne sont pas relâchés et l’un d’eux, Polonais : SCHWARTZ, sera torturé à mort et expirera à VALENCE. Parmi les jeunes libérés, Aimé BONNEFOY, maquisard au C6, sera à nouveau arrêté et déporté.

Dés leur arrivée à VASSIEUX, les Miliciens se dirigèrent vers la maison d’André GIROUD, 40 ans, facteur; et l’obligèrent à les conduire à la ferme des CHAPOTIERS qui lui appartient et qui, lors des parachutages, a servi de logement au C12. Heureusement, ce jour là, elle est vide, car nous l’avons quittée depuis quelques temps déjà.

En même temps que les Miliciens investissent VASSIEUX, une autre colonne venant directement de LA CHAPELLE, monte vers le Col du ROUSSET par SAINT-AGNAN et ROUSSET-EN-VERCORS. C’est à cette colonne que “FILOCHARD” s’est heurté en revenant de sa mission chez André GIR0UD avec le courrier. La rencontre malencontreuse a lieu à la bifurcation prés du col. On sait comment il s’en est tiré en leur expédient deux grenades et en se repliant à travers bois pour rejoindre BELLIER, qu’il trouvera vide.

Les Miliciens arrivent à “LA MEME”, arrêtent aussitôt le PEPE et la MEME BORDAT, les frappent pour les faire parler. Ils savent que le C12 est dans les parages du Col du ROUSSET, mais semblent ignorer l’endroit exact; aussi s’acharnent-ils sur eux sans arriver à rien leur soutirer. Ce sont des patriotes à toute épreuve.

Sans aucune information pour localiser le C12, ils se dispersent tout autour dans la nature à sa recherche. Ils vont vers le col géographique, vers la cabane face au col et au-dessus de “LA MEME”. Ils cherchent, cherchent…. et pas de camp. Puis c’est le contact relaté plus haut avec les gars de “PAYOT”. Rendus furieux de n’avoir obtenu aucun résultat, excédés par l’accrochage qu’ils viennent d’avoir avec le C12, ils traînent par les pieds le PEPE et la MEME en dehors leur auberge et y mettent le feu ainsi qu’à l’annexe qui nous a si longtemps hébergés. Déterminés à les juger, ils les emmènent à VASSIEUX. La cabane du col brûle elle aussi; mais pas BELLIER. Les Miliciens ne l’ont pas encore découvert.

A la descente du CHATEAU, prés de VASSIEUX, les Miliciens arrêtent un camion de sable dont le chauffeur est “LOULETTE” (Paul ISTRE). Ce dernier transporte du courrier qu’il rapporte à VASSIEUX. Heureusement, il n’y a aucune lettre pour les Maquisards. Malgré tout, ils le gardent prisonnier.

A l’hôtel ALLARD, les Miliciens mènent la grande vie. Ils mettent à mal les modestes réserves, principalement la cave. Entre ripailles et beuveries, ils interrogent les habitants apeurés, les brutalisent pour obtenir d’eux des renseignements sur les Résistants et le nom de leurs chefs. Ils cherchent également à savoir où il y a des caches d’armes.

Dans l’espèce de tribunal qui siège au rez-de-chaussée de leur établissent les hôteliers reconnaissent une jeune femme qui a séjourné chez eux le mois précédent. Il s’agit de mademoiselle CHAMPETIER DE RIBES, la maîtresse de DAGOSTINI. Sous le couvert de tourisme, elle a sillonné la région, prenant de nombreuses notes, relevant le nom de tous ceux qui lui semblent suspects d’appartenir plus ou moins à la Résistance. D’ailleurs, elle a été envoyée en mission par DAGOSTINI lui-même. Elle se conduit de façon encore plus odieuse que les autres Miliciens qui, pourtant, ne sont qu’un ramassis de crapules sans foi ni loi et surtout sans aucun sens de l’honneur. Il fallait ne pas en avoir pour se mettre ainsi au service de l’ennemi et faire la guerre à ses compatriotes. Elle fait arrêter Henri BELLIER de LA-CHAPELLE-EN-VERCORS.

Lundi 17 Avril 1944 – Les Otages

Tous les otages sont enfermés à VASSIEUX dans deux cars sévèrement gardés, et le couvre-feu établi par la Milice de 20h à 7h au matin.

Très tôt, les Miliciens partent en expédition sur le plateau de BEURRE. A COMBEMALE, ils s’accrochent avec la sizaine de “LA TRINGLE” du C12.

Comme ils n’ont pas assez de véhicules les Miliciens réquisitionnent Paul ISTRE et son camion pour effectuer des transports, sous bonne garde, de matériel et de ravitaillement destinés à leurs troupes. Il effectue les trajets entre VASSIEUX et SAINT-HILAIRE-DU-ROSIER, puis entre VASSIEUX et SAINT-NAZAIRE-EN-ROYANS.

Après de très nombreuses demandes, la Milice autorise enfin l’abbé GAGNOL à se rendre auprès des otages enfermés dans les deux cars. Il en reconnaît certains: Monsieur DOUCIN, préparateur en pharmacie et les gendarmes, tous de SAINT-NAZAIRE-EN-ROYANS; monsieur APPAIX Léopold, cafetier; monsieur BELLIER Henri, hôtelier; monsieur ROS Charles, huissier; monsieur REPPELIN, cafetier et quatre gendarmes, tous de LA-CHAPELLE-EN-VERCORS; le PEPE et la MEME BORDAT; les deux jeunes arrêtés la veille à VASSIEUX; plusieurs hommes de la famille PERRIAT; monsieur GENIN Gustave, chef de secteur à l’Energie Industrielle et bien d’autres qu’il ne connait pas.

En terrorisant la population, les Miliciens ont réussi à apprendre qu’il existe des grottes où des armes seraient cachée, dont celle où le C12 avait déposé provisoirement les deux premiers parachutages. Aux GRANGES, à VASSIEUX, ils arrêtent François BONTHOUX, cultivateur et frappent violemment son frère qui est couché. Ils exigent que les deux frères les emmènent à la grotte.

Devant leur refus, les brutalités recommencent, les coups pleuvent. Finalement, sachant que la grotte a été depuis longtemps complètement vidée des armes compromettantes, ils consentent à les y conduire. Naturellement, les Miliciens ne trouvent rien. Devant leur échec, de rage et en représailles, ils les enferment dans une porcherie nauséabonde, à clef et gardée…..Un peu plus tard, ils les emmènent chez REVOL à VASSIEUX, les forcent à éplucher des pommes de terre durant huit jours pour finalement les faire interner au FORT MONTLUC à LYON.

Le soir, les Miliciens partis pour BEURRE, rentrent à VASSIEUX. Le couvre-feu est toujours en vigueur.

Mardi 18 Avril 1944 – La Layette

Comme la veille, de nombreux Miliciens repartent à la recherche des Maquisards sur le plateau de BEURRE. Ils ratissent une vaste région allant du VEYMONT au GLANDASSE. Cette activité n’a pas empêché “PAYOT” d’effectuer une patrouille à la bergerie de COMBEMALE, avec des gars du C12. Elle n’a pas été brûlée par les Miliciens qui s’en servent, les abris étant rares sur le plateau. Ce qui est étonnant, c’est que, vu leur nombre, ils n’aient pas maintenu une garde à COMBEMALE. Ils ne rentrent que le soir à VASSIEUX.

Ayant appris que de nombreuses dénonciations ont été faites, l’abbé GAGNOL demande à plusieurs reprises à être reçu par DAGOSTINI.

La veille, les Miliciens ont appris l’existence d’une grotte appartenant à JUILLET, où des armes auraient été cachées. Dés le matin, réquisitionnant le Garde-chasse Aimé MARTIN, ils se rendent à la ferme JUILLET. Mais il y avait trois fermes JUILLET. Pour donner le temps nécessaire de prévenir Roger JUILLET, qui est le seul à avoir une grotte, le brave Garde Champêtre les emmène tout d’abord aux deux autres fermes. Lorsque enfin ils arrivent chez Roger JUILLET, ils découvrent la grotte qui ne révèle ni armes, ni parachutes. Depuis prés d’un mois, des armes avaient été enlevées par le C12 et montées à BELLIER. Seul, un lot assez important de layette et de sous-vêtements féminins jonche le sol. Faisant un tantinet de marché noir, le propriétaire avait stocké cette marchandise dans ce magasin de fortune. Pour se défendre, il prétendra que ce dépôt appartient aux Maquisards.

DAGOSTINI est accompagné dans son expédition par sa sinistre égérie CHAMPETIER-DE-RIBES et par “MIREILLE PROVENCE”. Il questionne Roger JUILLET sur la date du parachutage et lui demande s’il avait prêté volontairement sa grotte. Il répond que, totalement étranger au parachutage, il a été obligé de prêter sa grotte, ce qui est la pure vérité. Il n’allait tout de même pas leur dire qu’il avait hébergé des gars du C12 lors des deux parachutages.

Au cours de la fouille des lieux, “MIREILLE PROVENCE” découvre un sac appartenant à “LA THUNE” qui n’a eu que le temps de s’éclipser à l’arrivée des Miliciens. Heureusement pour la famille JUILLET, ce sac ne contient pas d’armes.

Certains croyent que les JUILLET vont être fusillés. Il n’en est rien !! Heureusement pour eux ! DAGOSTINI n’a trouvé aucun matériel militaire et se contente de confisquer la marchandise à son profit purement et simplement.

La Presse Vichyssoise se gaussera de ces Maquisards qui font du marché noir avec des dessous féminins ! ! ! !

Pour donner suite aux demandes réitérées de l’abbé GAGNOL, vers 11 heures, DAGOSTINI, accompagné par BERTIN, se présente au presbytère où l’abbé les reçoit dans son bureau.

DAGOSTINI attaque tout de suite la conversation par les questions suivantes :

“Hier, on nous a signalé deux dépôts d’armes: L’un au hameau des GRANGES, l’autre chez JUILLET. Nous les avons trouvés et ramené le tout au village. Etiez-vous au courant ?”

L’abbé GAGNOL répond :

“J’avais entendu parler de celui du hameau des GRANGES, je ne savais pas où il était exactement. Vous conviendrez avec moi que ce n’est pas au curé du village de s’occuper de ces choses là; il se doit d’abord à ses paroissiens. Quant au dépôt qui serait chez Roger JUILLET, première nouvelle, vous me l’apprenez !? car je n’en ai jamais entendu parler.”

DAGOSTINI :

“On m’a remis une liste de dénonciations. Nous avons besoin de précisions. Cette liste comprend dix noms: Huit de VASSIEUX et deux de LA CHAPELLE.”

Bien évidemment le curé GAGNOL n’a aucune envie d’aider DAGOSTINI. En fait ce dernier est furieux de n’avoir obtenu que de si faibles résultats. Les Miliciens n’ont pas réussi à mettre la main sur un seul gars du C12 bien que ces derniers se soient maintenus au-delà de l’ordre de dispersion pour terminer de dissimuler les armes reçues. Ils n’ont pas récupéré d’armes et pourtant, ils ont eu des pertes. DAGOSTINI ne décolère pas et il devient très dangereux. Ils ont condamné à mort le PEPE et la MEME BORDAT. Messieurs MARTIN et JUILLET sont dans une situation précaire, presque désespérée. En effet, bien qu’ils n’aient aucune preuve, les Miliciens soupçonnent MARTIN de les avoir menés en bateau pour laisser le temps à JUILLET de déménager des armes stockées dans sa grotte.

Aussi, multiplient-ils les interrogatoires, sollicitent brutalement des témoignages, font des recherches sur le terrain et fouillent fermes et habitations.

L’abbé GAGNOL défend ses ouailles avec courage et acharnement. Il dit à DAGOSTINI:

“Si vous n’avez rien trouvé, c’est, peut être, parce qu’il n’y a jamais eu de dépôt d’armes à cet endroit. De toute façon, accuser de connivence des civils apeurés par des hommes en armes, de quelque bord qu’ils soient et les rendre responsables, alors qu’ils n’ont rien fait, c’est profondément injuste !!”

Harcelant le responsable Milicien, l’abbé GAGNOL réussit a faire libérer le PERE et la MEME BORDAT, ainsi que GIROUD que les Miliciens ont arrêté deux fois. Ils lui ont fait subir des sévices insupportables pour le faire avouer.

Afin d’être bien compris de la population et qu’elle sache bien qu’il ne plaisante pas, DAGOSTINI fait apposer des affiches rappelant les sanctions pour ceux qui ne se plieraient pas aux ordres de la Milice:

AVIS à la POPULATION

“Avant demain 11 heures, tout dépôt d’armes trouvé entraînera pour les voisins immédiats les sanctions suivantes :
– Les hommes et jeunes gens seront fusillés;
– Les femmes et les enfants seront emmenés;
– Les maisons seront incendiées.
Signé : DAGOSTINI”

Au rez-de-chaussée de l’hôtel ALLARD où est installé le pseudo “tribunal” de la Milice, interrogatoires et brimades se succèdent sans interruption.

DAGOSTINI, le Lieutenant BERTIN, CHAMPETIER-DE-RIBES ainsi que d’autres chefs de la Milice dont DUGE DE BERNONVILLE et la MIREILLE, se relayent et s’acharnent sur ceux qui leur semblent les plus suspects: DOUCIN, le pharmacien de SAINT-NAZAIRE-EN-ROYANS; EZINJEARD, facteur à OMBLEZE. MIALLY, cultivateur à UPIE.

La tension est telle ce soir là, qu’un Milicien est tué par un autre Milicien qui le prend pour un Maquisard.

A la demande de la Résistance, monsieur Jules MARTIN, cultivateur au hameau de LA MURE, prés de VASSIEUX, avait autorisé le stockage dans sa grange, de chaussures, pantalons et capotes récupérés dans un dépôt de l’armée d’armistice. Tout ce matériel se trouvait entreposé dans une grange lui appartenant au Col de PRONCEL, tout prés de LA MURE.

L’abbé GAGNOL ayant eu connaissance de ce dépôt, ira prévenir Jules MARTIN qu’il vaut mieux le déclarer immédiatement à la Milice car il a été dénoncé. L’abbé, encore une fois, a entièrement raison, car les Miliciens auraient trouvé le dépôt, se seraient empressés d’effectuer des représailles sur la population.

Monsieur MARTIN rejoint VASSIEUX en bicyclette et prévient la Milice à l’hôtel ALLARD; mais, le temps pour les Miliciens d’arriver sur les lieux en camion, la plupart des effets ont été dispersés dans les bois.

Mercredi 19 Avril 1944 – Mrs GIROUD et BELLIER Torturés

A VASSIEUX, suite à dénonciations, de nombreuses personnes sont arrêtées. Pour affligeantes qu’elles soient, ces dénonciations ne sont que les conséquences de l’affolement et de l’appréhension d’être pris comme otage par les Miliciens.

C’est un jour sombre pour deux concitoyens du VERCORS. En effet, la Milice saisit le courrier à son arrivée à VASSIEUX et découvre des lettres destinées à des Maquisards et adressées “chez monsieur André GIROUD”. Aussitôt DAGOSTINI le fait, à nouveau, arrêter et atrocement torturer pour le faire parler. N’y étant pas parvenus, ils le jettent presque inanimé dans le car. Cette fois-ci, l’abbé GAGNOL ne peut rien pour lui et a l’impression que les Miliciens se méfient aussi de lui.

Trônant parmi les “juges” de la soit-disante “Cour Martiale”, la maitresse de DAGOSTINI, mademoiselle CHAMPETIER DE RIBES, prend un plaisir sadique à interroger et martyriser les prisonniers, complètement nus. C’est ainsi que monsieur BELLIER, ayant été convaincu d’avoir aidé la dissidence en mettant à la disposition du C12 son chalet du plateau de BEURRE, est assis de forcer sur un poêle porté au rouge et atrocement brûlé.

Jeudi 20 Avril et Vendredi 21 Avril 1944

Le martyr des otages continue. Comme les jours précédents, la Milice poursuit ses interrogatoires, pille de nombreuses fermes et maltraite de plus en plus de personnes. La prétendue “Cour Martiale” siège sans discontinuer. A la CIME DU MAS, une maison est incendiée. Ils libèrent monsieur ROS, huissier à LA-CHAPELLE-EN-VERCORS.

Le couvre-feu est toujours en vigueur.

Samedi 22 Avril 1944 – Sermon de l’abbé GAGNOL

Sans doute, effrayé par les menaces écrites sur les affiches que DAGOSTINI a fait placarder un peu partout, monsieur Paul MARCEL demande à là Milice de faire une perquisition, en sa présence, dans la ferme qui lui appartient et qui est inhabitée toute l’année à l’exception des mois d’été. En fait, il craint que les Miliciens n’y découvrent des traces de passages de Maquisards et ne l’en rendent responsable. Il doit espérer que son geste l’épargnera, lui et ses biens.

Ils n’y trouvent ni armes, ni munitions; mais ils brûlent malgré tout la ferme. Le propriétaire, présent, ne peut sauver le moindre objet. Pour justifier cet acte arbitraire, les Miliciens montrent des cartouches qu’ils prétendent avoir trouvées à l’intérieur et affirme qu’on leur a tiré dessus; ce qui est entièrement faux.

A l’aube de ce 22 Avril, des Gardes- Mobiles occupant le monastère au CHAFFAL, sont encerclés par les hommes de BOURGEOIS et doivent se rendre.

Au matin, les Miliciens embarquent André GIROUD et Aimé BONNEFOY. Ils les enferment dans une pièce de l’hôtel de madame MARTIN à LA-CHAPELLE-EN-VERCORS.

Le soir, les Franc-gardes sont de retour d’opérations sur le plateau de BEURRE, seuls, ceux partis pour OMBLEZE ne sont pas rentrés.

Ont été condamnés à la déportation par le pseudo tribunal de DAGOSTINI :

– Aimé BONNEFOY, Maquisard du C6, qu’ils ont arrêté le 16 Avril à VASSIEUX.
– Germain HOURDE et Eugène BERNARD, deux Maquisards du camp de d’OMBLEZE.
– Ernest DIEBOLD et Pierre REVOL, Résistants capturés le 17 Avril à ROMANS.
– Marius KUFFER, Résistant capturé à SAINT-NAZAIRE-EN-ROYANS, lui aussi le 17 Avril.

Eugène BERNARD et Ernest DIEBOLD ne reviendront pas vivants de DACHAU, où ils seront déportés.

Aimé BONNEFOY et André GIROUD sont transférés de l’hôtel de madame MARTIN à l’hôtel BELLIER par les G.M.R. Là, les Miliciens torturent sauvagement André GIROUD essayant de connaître le nom de ses chefs. Ne voulant rien dire, il est mis dans un état pitoyable. Ils l’ont tellement frappé, qu’il est ramené inconscient, par ses bourreaux, à l’hôtel MARTIN.

A VASSIEUX, les Miliciens ont demandé à l’abbé GAGNOL de célébrer une messe pour leurs camarades tués au cours des opérations contre le C12 sur le plateau de BEURRE.

Environ deux cent Miliciens sont présents à la grand Messe de 10 heures 30.

Ecœuré par leur conduite des jours précédents, l’abbé GAGNOL décide de dire à ceux-ci ce qu’il a sur le coeur. Nous reprenons mot pour mot ce qu’il a écrit lui-même:

Allocution de l’Abbé GAGNOL

“Mes frères, c’est d’abord à vous, mes paroissiens de VASSIEUX que je m’adresse pour vous demander le calme et la confiance, malgré les choses pénibles, douloureuses, qu’il nous a été donné de voir, surtout cette nuit…..
Maintenant, messieurs les Miliciens, c’est à vous que je parle. Je vous parle à double titre: Comme Français et comme prêtre.
Comme Français, je pense que je puis le faire, puisque mon frère et mon beau-frère sont tombés au cours de l’autre guerre pour la défense du pays.
Comme prêtre, c’est mon devoir, au nom de la morale chrétienne que je représente et que vous prétendez défendre. En effet, un article de votre code, le treizième je crois, est le suivant: Pour la défense du christianisme.
Or, messieurs, le christianisme vous demande le pratique de la justice et de la charité. Or, la justice et la charité ont été violées d’une façon formelle, tous ces jours-ci, par vous.
Appelez-vous justice et charité tel acte accompli à telle heure dans telle maison, sur telle personne ? (ici, énumération de tous les faits que j’avais notés).
Appelez-vous justice et charité, l’incendie sans preuve aucune ou du moins suffisante, de telle ou telle maison ?
Messieurs, vous prétendez que vous venez pour réprimer le terrorisme. J’ai la douleur de vous déclarer et de vous apprendre que vous êtes les premiers terroristes que nous rencontrons ici. Vous prétendez que vous venez pour pacifier les esprits, vous préparez la révolution, vous manquez votre but.
Vous vous prétendez les défenseurs du christianisme ? Savez-vous ce que c’est le christianisme ? Je ne le crois pas. Permettez-moi de vous l’expliquer…….

La “cour martiale” de DAGOSTINI, après un simulacre de jugement, condamne à mort trois personnes, André DOUCIN, Casimir EZINGEARD et Paul MIALLY.

L’abbé GAGNOL est averti à 15 heures 15 que les trois hommes vont être fusillés et demandent à le voir. Ils sortent de la salle de tortures et sont très éprouvés physiquement et aussi moralement. Les Miliciens ne laissent qu’un petit quart d’heure au brave abbé pour confesser les trois martyrs. Comme s’il s’agissait de criminels, ils font apporter de l’hôtel ALLARD trois petits verres d’alcool et des cigarettes pour les condamnés.

Les trois patriotes sont exécutés à 16 heures 15 et sur ordre de la Milice inhumés sans cercueil dans une fosse commune. Entre-temps DAGOSTINI quitte VASSIEUX avec les frères BONTHOUX et les autres otages qu’il emmène à LA-CHAPELLE-EN-VERCORS.

A VASSIEUX, furieux, à la suite des remontrances que l’abbé GAGNOL a fait à leur égard dans son sermon, des Miliciens vont dans la nuit frapper à la porte du presbytère. On a l’impression qu’ils ont attendu le départ de DAGOSTINI pour se venger du prêtre. Ils se mettent à tambouriner dans la porte du presbytère. Heureusement, celle-ci est solide et résiste.

L’abbé GAGNOL, gardant son sang froid, ne tombe pas dans le piège. Il crie fort à sa mère très âgée:

“Maman, n’ouvre pas !”

Devant la détermination du prêtre, les Miliciens n’insistent pas et se replient en silence.

Lundi 24 Avril 1944 – Lyon

Sans aucun regret et malgré tout ce qu’ils ont fait subir à leurs compatriotes pendant les huit jours écoulés, durant lesquels ils ont semé la terreur, la désolation, dans toute la région, persuadés sans doute, qu’ils ont anéanti définitivement toute Résistance, les Miliciens quittent VASSIEUX à 17 heures, en chantant, au grand soulagement de la population.

A la CHAPELLE, tous les otages sont regroupés et embarqués dans des cars à destination de Lyon, où ils sont d’abord dirigés sur le petit dépôt de SAINT-JEAN, puis enfermés à la prison de SAINT-PAUL pour enfin aboutir au FORT de MONTLUC. Là, nouveaux interrogatoires et nouvelles brimades.

Madame GIROUD parvient à informer un concitoyen de VASSIEUX, monsieur Elie BERTHET, chef des surveillants de la prison de SAINT-JOSEPH, de ce qui vient de se passer. Celui-ci, grâce au médecin, réussit à faire transférer André GIROUD et les frères BONTHOUX de MONTLUC à l’infirmerie de SAINT-JOSEPH où ils sont parfaitement soignés. Déclarés intransportables par le docteur, tous les trois ne sont pas déportés comme tous les autres à DACHAU. Ils retrouveront la liberté quand LYON sera libéré.

Quant a Paul ISTRE, les Miliciens ne découvriront jamais qu’il était en réalité le “LOULETTE” qu’ils recherchaient activement alors qu’ils l’avaient réquisitionné pour les servir. Une fois les “opérations anti-terroristes” terminées, ils le laissent repartir avec son camion.