LA VICTOIRE DE COLMAR
2 février 1945
RHIN ET DANUBE
2 février 1985
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La Bataille de Colmar
par le général de Lattre
Novembre 1944 ! Ce mois si froid et si sombre s’achève dans une atmosphère de victoire et apporte à l’Alsace un immense espoir. A l’issue d’une offensive foudroyante, préparée dans le plus grand secret et déclenchée à la surprise totale de l’adversaire, la 1ere armée française a forcé les défenses allemandes de la Trouée de Belfort, libéré Mulhouse, arraché à Hitler le Sud de l’Alsace et, la première de toutes les armées alliées, atteint le Rhin.
Au Nord, la VIIe armée américaine du général Patch franchit la Trouée de Saverne. Les blindés de la 2e division du général Leclerc qui en font partie se ruent victorieusement sur Strasbourg et délivrent la grande cité le 23 novembre.
Deux victoires chères entre toutes puisqu’elles ramènent enfin l’armée française, la France, dans son Alsace.
Mulhouse, Strasbourg, sont libérées, mais l’ennemi est encore à leurs portes. Il est au cœur de la province. Il occupe Colmar. Rien n’est fait tant qu’il reste quelque chose à faire. Nous voulons achever au plus vite “la libération de l’Alsace”. Nous voulons délivrer votre chère cité, la mettre hors de la zone des combats, à l’abri des angoisses. Nous avons aussi l’ambition de vous la rendre intacte…
Près de 400 000 hommes et plus de 1 000 canons. Presque toutes les forces françaises sont là, dans les rangs de 1ere armée, pour libérer Colmar et l’Alsace. Les sept divisions que j’ai amenées en Provence, la division Leclerc, la division de Paris du général Billotte, une partie de la 27e division alpine dont le gros monte la garde sur le front des Alpes qui est toujours sous ma responsabilité, quarante bataillons F.F.I. et des réserves générales de toutes armes.
Côte à côte, unies aux nôtres au cœur même de la bataille, les 100 000 Américains du 21e corps du général Milburn, la 3e D.I. du général O’Daniell, la 28e du général Cotta, la 75e division du général Porter, la 12e division blindée du général Allen, magnifiques divisions vers lesquelles se reporte aujourd’hui l’hommage de mon admiration et de mon infinie gratitude – Ce sera l’honneur de ma vie d’avoir pu les conduire à la victoire en ce jour de souvenir lumineux dont nous célébrons aujourd’hui l’anniversaire.
Fraternité d’armes – Témoignage éclatant de cette confiance et de cette compréhension réciproques, issues d’épreuves partagées.
J’ai sous mes ordres un corps d’armée et quatre divisions américaines, mais demain je placerai sous les ordres du général Milburn deux divisions françaises, la 2e blindée et la 5e blindée. Et pendant toute la bataille, je monterai chaque soir au poste de commandement du général Milburn pour mettre au point avec lui les plans du lendemain…
Voilà dix jours que la bataille est engagée – Dix jours d’efforts surhumains – Dix jours de sacrifices mais dix jours d’assauts enragés qui finissent par avoir raison de l’acharnement de l’adversaire. Les coups de boutoir ininterrompus des hommes de Monsabert et de Milburn au Nord, des hommes de Bethouart au Sud ont produit leur effet destructeur. La défense ennemie est démantelée. L’adversaire est acculé au repli ou à la destruction.
Le moment est venu de délivrer Colmar. L’ennemi, menacé sur ses arrières, paraît en plein désarroi. Et puis le temps passe. Je sais que les nazis ont préparé dans la cité d’importantes destructions que je veux à tout prix éviter. Dans un télégramme personnel que j’adresse au général Milburn, je lui demande de faire l’impossible pour occuper la ville dès le 2 février. Le général Milburn répond à mon appel. Lors de notre rendez-vous quotidien, le soir du 1er février, à Ribeauvillé, il me confirme qu’il entrera dans la ville par surprise dès le lendemain, 2 février, à l’aube.
Au lever du jour, les fantassins du 109e régiment américain sont aux portes de la ville ; derrière eux les blindés du général Schlesser. Chevaleresques, les Américains s’arrêtent, laissent aux chars français l’honneur d’entrer les premiers dans votre cité historique. Nos blindés y pénètrent en trombe. L’enthousiasme de votre magnifique et courageuse population est indescriptible. Toute la ville est dans les rues, méprisant le danger que lui fait encore courir la présence des Allemands dans ses murs. Minutes inoubliables pour ceux qui les vécurent.
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VIe GROUPE D’ARMEES
ETAT-MAJOR
A. P. 0. 24 – U.S. Army
P. C. le 9 février 1945.
ORDRE DU JOUR N° 2
aux troupes de la 1ere armée française
Vous élançant hardiment dans de violentes tempêtes de neige et sur un terrain difficile, vous avez par votre force et votre détermination, chassé l’ennemi de la plaine de basse-Alsace. Bien qu’il fût décidé, au prix d’énormes pertes en hommes et en matériel, à s’accrocher à son dernier espoir de reconquérir cette terre si riche en traditions, vous l’avez chassé de ses positions organisées et repoussé au-delà du Rhin.
Vous avez libéré la ville impériale de Colmar, dont le nom émaille les pages de l’histoire de France et qui est chère au cœur de chaque Français. Vous avez rendu l’indépendance à des milliers de citoyens d’un noble pays épris de liberté.
Au cours de cette opération difficile, vous avez capturé à l’ennemi 20 000 prisonniers ; vous lui avez tué et blessé nombre de soldats, et vous avez pris ou détruit d’importantes quantités de matériel. Par vos efforts combinés, vous avez de nouveau démontré au monde la solidarité sans égale qui unit les soldats français et américains. Vous avez le droit d’être fiers de la façon dont vous avez accompli cette tâche difficile.
Aux officiers et aux hommes des 1er et 2e corps d’armée français, au 21e corps d’armée américain, aux services de ces corps et de l’armée, je dis : “Vous avez bien travaillé”. Tous en avant, vers notre nouvelle tâche, plus déterminés que jamais à détruire les forces du mal !
Il n’y a plus devant vous que l’Allemagne et l’armée allemande. Vous avez infligé une défaite décisive à l’ennemi à l’Ouest du Rhin et l’avez chassé du sol de France. Il est étourdi, blessé et chancelant, mais il n’est pas encore abattu. C’est la tâche qu’il nous reste à mener à bien. Je vous crie : “Sus à l’Allemagne”.
Jacob L. DEVERS,
Lieutenant-général U.S.A.
Commandant le VIe Groupe d’armées.
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Message du général Glavany
Président de l’association Rhin et Danube
Quarante ans après la bataille de Colmar que l’on pourrait appeler la victoire d’Alsace et plutôt que de souligner tels ou tels mérites particuliers comme je le fais souvent dans un souci de vérité historique, je préfère aujourd’hui dégager deux leçons essentielles.
Colmar c’est d’abord pour moi le symbole de la fraternité d’armes franco-américaine, tout le 21e corps du général Milburn ayant été mis aux ordres de Jean de Lattre pour ce coup de boutoir final sur la terre de France. Contrairement à ce que l’on dit trop souvent les Français n’ont pas la mémoire courte et nous sommes allés en octobre 1984 aux U.S.A. manifester à nos anciens camarades des 3e, 28e, 75e division d’infanterie et 12e division blindée ce qui est encore et toujours un sentiment de reconnaissance pour l’aide inestimable apportée tant au réarmement de huit divisions françaises qu’à la délivrance de la France. Sur le front de la liberté les U.S.A. et la France seront toujours au coude à coude.
Je voudrais ensuite rappeler quelle place a toujours tenu l’Alsace dans nos cœurs et tout spécialement pour ma génération qui avait appris à lire dans le Tour de France par deux enfants. Durant quatre ans “Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine” était devenu une sorte d’hymne à la délivrance que nous n’entendions pas sans avoir les yeux humides ! Et c’est pour cela que tant des nôtres, métropolitains, pieds-noirs, tirailleurs et goumiers sont tombés. Et c’est pour cela que dans les nécropoles alsaciennes tant de croissants islamiques voisinent avec tant de croix blanches ! Je souhaite de tout mon cœur que la jeunesse d’Alsace ne l’oublie jamais.
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Citation à l’ordre de l’armée aérienne
Commandant : Marin la Meslée
Chasseur d’un prestige inégalé, doué des plus belles qualités du chef dont il était le type accompli, et qui faisait jaillir autour de lui, par son seul exemple, l’enthousiasme et l’ardeur en même temps qu’il forçait l’admiration de tous.
Impatient d’ajouter encore au palmarès éblouissant de ses vingt victoires, conduisait son groupe à la délivrance de l’Alsace lorsque, le 4 février 1945, il trouva à l’ennemi une mort glorieuse à la mesure de sa vie : en tête de la formation qu’il commandait.
Pur visage de l’aviation de chasse dont il était l’incarnation, il restera par ses vertus et par sa gloire, une des figures les plus éclatantes de l’armée de l’Air et un des héros les plus nobles de la nation.
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La plus noble fenêtre de Colmar
Le grand-père avait dû rentrer son drapeau et le cacher au fond du coffre le plus sûr. Le fils l’avait rendu à la lumière en novembre 1918. Aujourd’hui 2 février 1945 c’est la petite-fille qui a la charge de remplir la belle mission d’une famille fidèle.
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Message de monsieur Joseph Rey
Maire honoraire de Colmar
Notre vieille et belle ville a donc été libérée le 2 février 1945, rendue intacte à la population, à part quelques dégâts vraiment insignifiants.
J’ai rappelé très souvent aux citoyens de Colmar, lors de mon mandat de maire durant 30 ans, que nous devons cela à la volonté du maréchal Jean de Lattre de Tassigny, grand seigneur dans l’art militaire.
Ayant été absent de ma ville natale lors de cet événement historique, je la revoyais sans blessures lors de ma rentrée dans mon foyer le 26 avril 1945. Profondément ému d’avoir retrouvé ma famille et notre cité.
Ce 2 février 1985, nous commémorons le 40e anniversaire de notre libération et la fin des cauchemars que les habitants ont dû subir par un régime inhumain et abject.
Je tiens à cette occasion à redire ma profonde gratitude à Mme la maréchale de Lattre de Tassigny qui sera présente à cet anniversaire en souvenir de l’action magistrale et généreuse de son époux en rappelant à mes concitoyens ce qu’il disait lui-même : “c’est la grande fierté de ma vie d’avoir rendu libre et intacte aux Colmariens leur belle cité”.
Je vous invite, mes chers concitoyens,, à porter en ce jour vos pensées vers tous les soldats de la F armée française qui avaient participé à notre libération, vers ceux qui ont laissé leur vie, reposant dans la nécropole de Sigolsheim et aux survivants, avec notre profonde reconnaissance.
A Mme la maréchale qui perpétue par sa présence le souvenir de son époux et à tous les anciens de la Ire armée notre grande admiration et notre indéfectible amitié.
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Message de madame la maréchale de Lattre
Colmar, 2 février 1945, jour et date gravés au cœur de ceux qui ont vécu les heures de lutte, de sacrifices et de victoire.
Le général pouvait s’écrier : “Colmar, c’est tellement vous, c’est tellement nous !” et Hansi le remercier d’avoir retrouvé, grâce à lui et à ses soldats, “mon village”, heureux, libre et français.
Et puis, 2 février, jour de lumière, jour de libération, n’était-ce pas aussi, par une grande grâce du destin, son propre jour anniversaire !…
Quarante ans ont passé, presque deux générations ! Depuis la première fête commémorative, j’ai toujours été présente dans votre cité pour ces manifestations chargées d’une intransigeante fidélité et de tant d’affection. Elles ont renforcé nos liens, elles m’ont apporté soutien et réconfort… Citoyenne d’honneur de Colmar, comme le fut le maréchal, moi aussi j’aime Colmar !
Dans son message, M. Joseph Rey, maire honoraire, notre ami, exprime avec une délicatesse touchante l’attachement de la municipalité, manifesté en toutes circonstances, à la 1ere armée française depuis que le maire de la libération, Edouard Richard, lui conférait le droit de porter, dans son insigne, les armes de la ville.
Ces sentiments qui nous unissent intensément, votre maire, M. Gerrer, les incarne aujourd’hui avec la même générosité. Quarante ans – l’image aussi a quarante ans… mais elle évoque tant de bonheur, les sourires rayonnent de tant de joie sous les coiffes aux grands nœuds, qu’elle n’a pas vieilli et qu’elle peut encore illustrer cette belle devise que je dédie à la jeunesse d’Alsace et à travers elle, à la jeunesse de France :
“Deux choses ne doivent pas périr, la France et notre fidélité.”
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Mémorial
Colmar a été libéré le 2 février 1945 par le 109e régiment d’infanterie U.S. du colonel Rudder et le C.C. 4 (Combat Command) du général Schlesser de la 5e division blindée.
Prirent part à cette campagne d’Alsace :
– le 1er corps d’armée du général Béthouart ;
– le 2e corps d’armée du général de Monsabert ;
– le 21e corps d’armée U.S. du général Milburn.
Les divisions engagées étaient les suivantes :
– 2e division d’infanterie marocaine du général Carpentier ;
– 4e division marocaine de montagne du général de Hesdin puis du général Bondis ;
– 9e division d’infanterie coloniale du général Morlière ;
– 1ere division blindée du général Sudre ;
– 5e division blindée du général de Vernejoul ;
– 10e division d’infanterie du général Billotte ;
– 1ere division française libre du général Garbay ;
– 2e division blindée du général Leclerc ;
– 3e division d’infanterie U.S. du général O’Daniel ;
– 28e division d’infanterie U.S. du général Cota ;
– 75e division d’infanterie U.S. du général Porter ;
– 12e division blindée U.S. du général Roderick Allen.
La 3e division d’infanterie algérienne du général Guillaume assumait la défense de Strasbourg.
A toutes ces grandes unités étaient rattachés ponctuellement les éléments de réserve générale :
– les trois groupements de choc, le 1er régiment de chasseurs parachutistes, les commandos de France ;
– la 1ere brigade de Spahis ;
– les groupements de tabors marocains ;
– la 4e demi-brigade de chasseurs ;
– plusieurs régiments blindés de cavalerie ;
– un certain nombre de régiments et bataillons issus des forces françaises de l’intérieur et qui allaient trouver un peu plus tard leurs places au sein de la 14e D.I. du général Salan.
Deux mille cent trente sept soldats tombèrent dans ces combats, mille cinq cent quatre-vingt-cinq Français et cinq cent quarante-deux Américains.
Dans l’histoire de la 1ere armée française, le général de Lattre souligne combien furent, en particulier, meurtriers, face à un adversaire courageux et déterminé, les combats de Grussenheim pour le groupement tactique Vésinet de la 2e D.B. et les combats de Jebsheim-Durrenentzen pour les parachutistes, les “choc” et les “commando”.
Pur symbole des sacrifices de l’aviation française, le commandant Marin la Meslée, as aux vingt victoires, devait trouver la mort à la tête de son groupe de chasse le 4 février 1945 dans la plaine d’Alsace.
Et c’est à tous leurs camarades de combat tombés pour la libération de l’Alsace et de la France, que ces pages écrites à la gloire de la patrie sont dédiées, quarante ans plus tard, par les anciens de RHIN et DANUBE.
R. GLAVANY
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La victoire du “Rhin et Danube”
31 Mars 1945
– Avec quelques barques à rames et quelques bateaux à moteur, la 1ere Armée Française entreprend à l’aube le franchissement de vive force du Rhin à Spire et à Germersheim.
Trois semaines plus tard, le Danube est franchi par ses forces blindées dans la région de Tuttlingen, dans le même temps où Stuttgart, prise à revers par le gros de nos unités, tombe sous nos assauts concentriques.
Encore trois jours et c’est Ulm, ville d’Empire et seconde cité du Wurtemberg, sur laquelle flottent à nouveau nos couleurs nationales déjà plantées sur sa forteresse 140 ans plus tôt par les Soldats de la Grande Armée.
Au cours de cette poussée victorieuse de plus de 200 kilomètres à l’intérieur de l’Allemagne, la 1ere Armée Française a tourné et réduit les défenses de la ligne Siegfried en pays de Bade, mis définitivement Strasbourg à l’abri des canons allemands, réalisé l’encerclement de la Forêt Noire et anéanti la XIXe armée allemande qu’elle poursuivait depuis les côtes de Provence.
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Le franchissement du Rhin
Prise de Karlsruhe et de Pforzheim
Le prélude du franchissement
Lorsque, le 18 Mars, l’aile gauche de la 1ere Armée Française achève, en liaison avec les Américains, de libérer la dernière portion de la terre alsacienne encore aux mains de l’ennemi la frontière franco-allemande de LAUTERBOURG doit marquer le terme de son avance.
Suivant les ordres initiaux du Commandement Suprême, elle attendra, en deçà de cette limite, que l’effet des offensives alliées, plus au Nord, lui permette d’entrer à son tour en Allemagne.
Mais la 1ere Armée Française ne veut pas assister en spectatrice à l’envahissement de l’Allemagne d’outre-Rhin. Pour des raisons de prestige national, elle se doit de franchir le RHIN sensiblement en même temps que les unités américaines voisines.
Pour cela, il lui faut une base de départ convenable qui n’existe pas en ALSACE. Derrière le RHIN alsacien se trouvent, en effet, les puissantes organisations de la ligne Siegfried, elles-mêmes appuyées au massif de la FORET NOIRE. A la suite de démarches pressantes, le Général de LATTRE obtient l’autorisation de faire pénétrer ses forces dans le PALATINAT à la droite des Armées américaines. Il étend ainsi son champ d’action vers le Nord et dispose, face à la trouée de PFORZ¬HEIM, du créneau qui lui permettra de franchir le RHIN sans avoir devant lui le double obstacle du WESTWALL et de la FORET NOIRE.
Le temps presse, car les Américains doivent franchir le RHIN avant la fin mars. Sans attendre l’accord des Alliés, le Général de LATTRE commence à concentrer ses forces pour la manœuvre. Pendant que le 2e Corps d’Armée achève de liquider les résistances ennemies dans le PALATINAT, la 5e D.B. tout entière, la 2e D.I.M. et des éléments de Réserve Générale qui gardaient le front du RHIN en sont retirés et poussés, à partir du 22 Mars, au Nord de STRASBOURG.
Le 27 Mars, l’accord allié est obtenu. La zone de la 1ere Armée Française s’étend jusqu’à SPIRE. Bien que la concentration des forces ne soit pas achevée et que les moyens de franchissement soient incroyablement réduits – une partie de nos équipages de pont de Division blindée étant prêtée aux Alliés – le Général de LATTRE, conformément aux instructions du Général de GAULLE, décide de brusquer l’opération et fixe son déclenchement à la nuit du 30 au 31 Mars.
L’action sera menée par le 2e C.A. du Général de MONSABERT qui franchira le RHIN dans la région de SPIRE et de GERMERSHEIM. La 9e D.I.C. du Général VALLUY, encore en secteur dans la région de STRASBOURG, sera amenée à son tour aussi vite que possible et franchira à la droite du 2e C.A.
Le franchissement du RHIN
Le 31 mars avant l’aube, l’attaque se déclenche.
Deux franchissements sont lancés : l’un par la 3ème D.I.A. à SPIRE, l’autre par la 2e D.I.M. au Nord de GERMERSHEIM.
A SPIRE, en pleine nuit, à 2 heures 30, dans un silence absolu, sans aucune préparation d’artillerie, avec quelques mauvaises embarcations à rames, le groupe franc du 3e R.T.A. et une compagnie du 1er bataillon de ce régiment franchissent le RHIN sans coup férir. La surprise de l’adversaire est totale. Profitant de son désarroi, les tirailleurs s’enfoncent d’un seul trait de 4 kilomètres en terre badoise. Le reste du bataillon suit aussitôt, malgré l’ennemi qui se ressaisissant mitraille et bombarde les plages d’embarquement.
Vers GERMERSHEIM, l’attaque, ne se déclenchant qu’au lever du jour, est précédée d’une courte mais très brutale préparation d’artillerie. Une première vague du 4e R.T.M. traverse le fleuve et prend pied sur la rive ennemie. Mais les réactions de l’adversaire, alerté par notre tir d’artillerie, se font bientôt très violentes. Le 151e R.I. est bloqué sur la rive de départ, malgré de courageuses tentatives de franchissement. A midi, l’opération n’a que partiellement réussi. Elle est reprise en force au début de l’après-midi. L’artillerie et les tanks-destroyers du 2e Régiment de Dragons interviennent brutalement sur les casemates de berge ennemies. Avec leur appui, un bataillon du 151e R.I. parvient à traverser le fleuve dans le secteur du 4e R.T.M. et par une habile manœuvre de rabattement, enlève d’assaut les “bunkers” qui s’opposaient à son franchissement. Le reste du régiment commence aussitôt à passer le RHIN.
Au soir, quatre bataillons ont pris pied sur la rive Est du fleuve. La défense ennemie a été acharnée. Mais, grâce à l’habileté des dispositions prises, à l’ardeur et à la volonté de vaincre qui anime chefs et troupes, grâce aussi, ne l’oublions pas, à l’héroïsme et au magnifique esprit de sacrifice des propulsistes du 101e Régiment du Génie, renforcés par ceux des 17e Régiment et 211e Bataillon du Génie, deux petites têtes de pont sont ainsi conquises, l’une par la 3e D.I.A. à l’Est de SPIRE et l’autre par la 2e D.I.M. au Nord-Est de GERMERS¬HEIM.
Le 1er Avril, le franchissement se poursuit en force. Après de durs engagements, les deux têtes de pont sont réunies et n’en constituent plus qu’une seule, qui s’étend sur un front de 20 kilomètres. La pénétration en profondeur atteint la ligne GRABEN – BRUCHSAL ; l’autostrade FRANCFORT – KARLS¬RUHE est coupée.
Le 2 Avril, la 9e D.I.C. du Général VALLUY s’engage à son tour. Au lever du jour, le Groupement BURGUND comprenant le 21e R.I.C et des éléments du R.C.C.C. et du R.I.CM. aux ordres du Colonel LARROQUE, traverse le RHIN à LEIMERSHEIM, aidé par une action de rabattement de la 2e D.I.M. qui descend sur les arrières des blockhaus installés le long du fleuve
Ce nouveau franchissement réussit pleinement, malgré les réactions de l’artillerie ennemie, et au cours de la journée la liaison était réalisée entre la 9e D.I.C. et la 2e D.I.M. à LINKENHEIM.
La prise de Karlsruhe
Le 3 Avril, des forces de plus en plus nombreuses sont jetées à l’Est du Rhin. La pénétration en pays de Bade est considérablement approfondie et élargie. La 3e D.I.A. et la 2e D.I.M. marchent sur EPPINGEN et BRETTEN. La 9e D.I.C. atteint les faubourgs nord de KARLSRUHE.
Ce jour-là est ouvert, à SPIRE, le premier pont construit par le Génie. Le franchissement qui s’était effectué jusqu’ici par bateaux ou portières, va se poursuivre à un rythme accéléré.
Le 4 avril, peu avant midi, KARLSRUHE tombe entre nos mains, à la suite d’une opération étroitement combinée du Groupement VALLUY (9e D.L.C, 126e R.I., 81e R.I., 9e zouaves et IV/R.A.C.L.) qui attaque la ville par le Nord-Ouest et l’Ouest et de la 2e D.I.M. qui, renforcée du C.C. 4 de la 5e D.B., l’aborde par le Nord et l’Est.
De violents engagements ont lieu aux entrées de KARLS¬RUHE, barrées par des murs en béton. Le Groupement NA¬VARRE (3e R.S.M. – Groupement de Choc N° 1 et 20e B.C. A.) qui progresse en tête de la 2e D.I.M., et le Groupement LARROQUE (R.I.CM. et R.C.C.C.) qui marche en avant de la 9e D.I.C les démolissent au canon et font irruption dans la ville, bientôt suivis par l’infanterie.
Un groupe ennemi se défend farouchement dans la gare de KARLSRUHE située au Sud et en dehors de l’agglomération. Il faut plusieurs heures de dur combat mené par le C.C.4 et le Groupement NAVARRE pour réduire cette résistance
KARLSRUHE, capitale du pays de BADE, et 80 localités conquises par l’Armée Française, une tête de pont de 40 km. de large sur autant de profondeur, 100 blockhaus enlevés de vive force, 3.500 prisonniers et un important matériel capturé constituent le bilan des cinq premiers jours d’offensive.
La conquête de la Trouée de PFORZHEIM
Entre la FORET NOIRE et le massif de l’ODENWALD s’étend la trouée de PFORZHEIM, couloir naturel d’invasion de l’Allemagne du Sud qui s’ouvre sur les plateaux du WUR¬TEMBERG vers STUTTGART et le HAUT-NECKAR et permet de déborder la FORET NOIRE par le Nord.
C’est pourquoi, la tête de pont conquise, la 1ere Armée Française s’élance sans plus attendre à l’attaque de la trouée de PFORZHEIM
Dès le 5, la 3e D.I.A. et la 2e D.I.M., appuyées par les chars de la 5e D.B. du Général de VERNEJOUL, prennent pied sur les pentes qui dominent la plaine badoise et progressent en dépit de la résistance acharnée de l’adversaire qui cherche a défendre pied à pied le couloir.
Les nombreux centres de résistance doivent être successivement débordés puis enlevés.
Le 6 Avril, BRETTEN est atteint, tandis qu’une poussée en flèche des blindés du Colonel MOZAT (C.C. 5) nous porte sur le NECKAR vers LAUFFEN.
Plus au Sud, l’ennemi tente de nous arrêter dans le massif boisé du STROMBERG, mais les goumiers du 1er Groupement de Tabors Marocains et les tirailleurs de la 3e D.I.A. l’en chassent au prix de violents engagements.
Le 7 Avril, le 5e R.T.M. de la 2e D.I.M. arrive à l’ENZ et s’empare du poste de Radio-STUTTGART.
Le 8, le Groupement SCHLESSER (C.C. 4 – 8e R.C.A. – 151e R.I. – 4e R.T.M. et Groupement NAVARRE) enlève PFORZHEIM de haute lutte.
Un coup de main audacieux permet à des éléments du 5e R.T.M. et du C.C. 6 de conquérir une tête de pont au Sud de l’ENZ vers DURRMENZ. L’ennemi, dont la résistance s’est considérablement accrue, contre-attaque vigoureusement, mais nos unités conservent leurs positions au delà de la rivière.
Au Sud de KARLSRUHE, le Groupement du Général VAL¬LUY (9e D.I.C) a pu atteindre RUPURR et s’emparer d’ETTLINGEN après de durs combats. Les puissantes organisations de la ligne Siegfried, auxquelles s’appuie sa défense, consti¬tuent un obstacle redoutable et barrent à la 9e D.I.C le débouché dans le couloir entre RHIN et FORET NOIRE.
Entre temps, les unités du Génie de l’Armée et de la 1ere D.B. poursuivent avec la plus grande activité le lancement des ponts sur le Rhin : celui de GERMERSHEIM a été ouvert le 7 Avril, celui de MAXIMILIANSAU (KARLSRUHE) le sera le 9.
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L’anéantissement de la XIXème Armée Allemande
Le plan du Général Commandant la 1ere Armée Française
L’ennemi cherche, de toute évidence, à nous barrer les directions essentielles pour lui de STUTTGART et de KEHL.
Devant STUTTGART, il a massé quatre divisions, les 16e, 47e, 257e et 716e Divisions, qui attendent de pied ferme notre assaut frontal au débouché de PFORZHEIM.
A l’entrée du couloir badois, deux divisions retranchées dans les organisations de la ligne Siegfried et solidement calées aux deux ailes par le RHIN et la FORET NOIRE nous interdisent toute progression vers le Sud.
Eh bien, puisque l’ennemi nous attend sur les grandes voies naturelles de pénétration, le Général de LATTRE portera son effort là où les difficultés de terrain rendent notre attaque improbable, à travers le massif de la FORET NOIRE.
Comment l’adversaire supposerait-il, en effet, que le Commandement français aurait la témérité d’engager ses colonnes dans cette longue suite de couloirs tortueux, de coupe-gorges, au milieu de cette immense surface forestière sombre et mystérieuse, hérissée de rochers, dont la menace semble capable, à elle seule, de protéger le vieux sol allemand.
Evidemment, une telle manœuvre ne peut être tentée que parce que le Commandement a une confiance absolue dans la vigueur physique, la souplesse, l’endurance, la valeur manœuvrière de ses troupes et dans la volonté résolue de surmonter immédiatement tous les obstacles qui anime chefs et soldats.
Aussi, engageant droit au Sud à travers la FORET NOIRE le gros de ses forces, le Général Commandant la 1ere Armée Française gagnera la région de FREUDENSTADT. Par cette manœuvre, il compte tout d’abord tourner les défenses de la ligne Siegfried sur le RHIN, dégager STRASBOURG de toute menace et ouvrir cet axe capital de communications qui passe par STRASBOURG, indispensable au développement ultérieur de son action.
D’autre part, en portant ses gros dans la région de FREUDENSTADT, véritable plaque tournante, le Général de LATTRE s’établira au centre même du dispositif ennemi qu’il séparera en deux groupements, bientôt deux tronçons isolés, celui des défenseurs de STUTTGART et celui des troupes qui tiennent le RHIN et le Haut DANUBE.
Alors, projetant ses forces par un large enveloppement sur les arrières de l’ennemi pour lui couper toute retraite et pour jeter le désarroi dans son esprit et dans ses rangs avant même de l’assaillir, il attaquera de toutes parts chacun des deux tronçons en portant le coup décisif dans le dos même de l’adversaire.
C’est donc de FREUDENSTADT qu’un premier groupement d’attaque se précipitera au Sud de STUTTGART pour prendre à revers les quatre divisions qui défendent la place face au Nord et face à l’Ouest.
C’est également de FREUDENSTADT qu’un autre groupement foncera sur le DANUBE de SIGMARINGEN et de DONAUESCHINGEN et en saisira les passages. Le DANUBE atteint, ce groupement éclatera lui-même en deux directions : une partie se dirigera sur la frontière suisse pour isoler les défenseurs de la FORET NOIRE ; l’autre, dévalant le long de la vallée du DANUBE par la rive Sud jusqu’à ULM, se placera derrière les forces ennemies du JURA SOUABE pour leur barrer la retraite vers le Sud et les écraser contre les troupes françaises et alliées qui arrivent du Nord.
C’est ainsi que le filet tendu le long du DANUBE devra parachever la capture finale des restes de la 19e Armée susceptibles d’avoir échappé à l’encerclement de STUTTGART et de la FORET NOIRE.
Tel est le plan conçu par le Général de LATTRE. Ce plan, les troupes de la 1ere Armée Française vont le réaliser d’une façon fulgurante.
Conquête préalable de la position centrale de FREUDENSTADT et dégagement de STRASBOURG
Dès le 7 Avril, la gauche du Groupement VALLUY et la droite du 2e C.A., opérant en liaison étroite, s’enfoncent dans la FORET NOIRE en direction de HERRENALB – FREUDENSTADT.
Vont-elles retrouver ici l’âpre lutte des VOSGES ? Les souvenirs de l’automne passé hantent les esprits, mais ces réminiscences ne parviennent pas à entamer l’ardente détermination des Chefs et des Troupes.
Malgré les difficultés inouïes du terrain, ses escarpements, ses taillis et ses futaies indéfinies, malgré les obstructions que l’ennemi a accumulées en reculant pas à pas, la FORET NOIRE s’ouvre et cède, devant l’élan de nos troupes, la ténacité de leur effort et l’intelligence de leur manœuvre.
C’est que l’adversaire farouche de la FORET VOSGIENNE, celui de LONGEGOUTTE, de CORNIMONT, du HAUT DU FAING, d’ORBEY et du NOIRMONT est resté là-bas au delà du RHIN sous les sapins de la montagne ou dans la neige des vallées des VOSGES.
Ainsi au début même du printemps, les Divisions de la 1ere Armée Française recueillent le bénéfice des souffrances endurées et des sacrifices consentis au cours de cette longue, âpre et décevante bataille d’usure, dans ces jours ternes et mornes d’un automne et d’un hiver incléments.
Ce 7 avril donc, coloniaux de la 9e D.I.C. et chars de la 1ere D.B. prennent pied sur les contreforts Nord de la FORET NOIRE. Les positions fortifiées de STUPFERICH, PALMBACH, LANGENSTEINBACH et ITTERSBACH, farouchement défendues, sont enlevées par le C.C. 2 renforcé d’éléments d’infanterie.
Le 10 Avril, les combats redoublent d’intensité ; mais HER¬RENALB et le carrefour de MORSBRONN, au cœur même du massif forestier, sont arrachés à l’ennemi par le C.C. 2 et le 2e Groupement de Tabors marocains. Simultanément, l’infanterie de la 9e D.I.C. appuyée par le 5e R.C.A., s’empare de FRIOLSHEIM et commence à se rabattre vers RASTADT.
Le lendemain, tandis que le Groupement SCHLESSER se dirige vers la haute vallée de l’ENZ, les éléments du Groupement VALLUY qui opèrent en FORET NOIRE accentuent leur conversion vers l’Ouest, descendent dans la vallée de la MURG. Le C.C. 2 et l’Infanterie s’emparent de GERNSBACH, OTTENAU et GAGGENAU, et, le 12 Avril, occupent par surprise l’importante agglomération de BADEN-BADEN.
Cette audacieuse manœuvre porte ses fruits. Des le 11 Avril, des indices de décrochage ennemis sont décelés au Sud de KARLSRUHE. Le 12 au matin, le Groupement VALLUY attaque de front au Sud d’ETTLINGEN, rompt le dispositif ennemi et progresse d’un bond jusqu’à RASTADT dont il s’empare après une lutte sévère. Dans la soirée, il pousse jusqu’à OOS, où il effectue la liaison avec celles de ses forces qui, venant de la montagne, ont enlevé BADEN-BADEN et viennent de prendre le carrefour de LICHTENTHAL âprement défendu par l’adversaire.
La chute de RASTADT marque l’effondrement du système défensif ennemi en plaine de BADE et les blindés du Groupement VALLUY, suivis au plus près par l’infanterie, s’enfoncent d’un seul trait entre RHIN et FORET NOIRE.
Le 13, sa progression vers le Sud est de 25 kilomètres. Le 14, il s’empare de BUHL et parvient à quelques kilomètres au Nord de KEHL.
Le 15 Avril, un nouveau bond de 30 kilomètres est effectué. KEHL est conquis en liaison avec des éléments de la 14e D.I. du Général SALAN, qui franchissent le RHIN à STRAS¬BOURG ; OFFENBOURG est occupé et nos avants-gardes ne sont plus qu’à courte distance de LAHR.
Ainsi STRASBOURG se trouve dégagée de toute menace et les canons lourds d’OBERKIRCH, qui bombardaient la ville, se taisent et tombent entre nos mains. La construction sur le RHIN, de ce pont qui doit donner à notre offensive des possibilités accrues et accélérer son rythme, est aussitôt entreprise.
Le 16 Avril, journée mémorable dans l’histoire de STRAS¬BOURG, la ville vraiment délivrée cette fois, accueille avec les transports d’un enthousiasme profond, ému et vibrant le Général Commandant la 1ere Armée Française, qui, pour mieux affirmer sa victoire, rentre dans la cité, venant d’ALLEMAGNE, par la porte de KEHL.
Les forces du 1er Corps d’Armée du Général BETHOUART (1ere D.B. – 4e D.M.M. – 14e D.I. et 1ere Brigade de Spahis) sont groupées à STRASBOURG à l’occasion de cette solennité. Le Général de LATTRE les passe en revue. Ce rassemblement dissimule, sous les apparences d’une prise d’armes, la concentration de cette masse d’attaque qui, par surprise et d’un seul bond, sera deux jours plus tard sur le Haut NECKAR.
Entre temps, les forces du 2e C.A. poussent en FORET NOIRE sur FREUDENSTADT. Le 13, le massif de KALTENBRONN, de 1000 mètres d’altitude, est enlevé et dépassé. Le 14, la haute vallée de l’ENZ avec WILDBAD sont dégagés. Le 15, l’important carrefour de BESENFELD est conquis à la suite d’âpres combats, tandis qu’une partie de la 2e D.I.M. et de la 5e D.B. commence à s’infléchir vers le Sud-Est en direction de NAGOLD et de HORB.
Le 16 Avril, les C.C. 4 et C.C. 5 poussent sans désemparer entre MURG et ENZ et, le 17 Avril, ils s’emparent de villes de HORB et de NAGOLD. FREUDENSTADT, clef de la manœuvre, est enlevée par le Groupement NAVARRE (3e R.S.M.-8e R.C.A. – 20e B.C.A. – II/151e R.I.) groupement de tête de la 2e D.I.M., à la suite d’une action d’artillerie remarquable d’efficacité.
Pendant ce temps, la 3éme D.I.A. entreprend une opération visant à dégager les débouchés Sud de PFORZHEIM. La position de PFORZHEIM, nœud de communications important, carrefour de routes et confluent de vallées, est capitale. L’ennemi est décidé à tenir à tout prix la plateforme boisée qui s’étend au Sud de la ville et qui domine toutes nos positions.
L’action de la 3ème D.I.A se déclenche le 16 avril : elle consiste en une manœuvre en tenailles destinée à faire tomber le massif du HAGEN-SCHIESS. Le 1er G.T.M (Groupement LEBLANC) attaque d’Ouest en Est au Sud de NEUENBURG et le 4ème R.T.T. (Groupement CHEVILLON) du Nord au Sud à partir de MUHLACKER.
Après deux jours de violents combats, les deux groupements réalisent leur jonction dans la région de WURM. La 716e V.G.D. allemande est anéantie et les routes qui, de PFORZHEIM, se dirigent vers le Sud et l’Est sont ouvertes.
La phase préliminaire du plan du Général de LATTRE s’achève.
La première bataille de destruction : STUTTGART
Alors le Général Commandant la 1ere Armée Française déclenche aussitôt les actions décisives qui aboutiront, au cours de trois batailles de destruction, à l’anéantissement total de la 19e Armée allemande.
Le 18 Avril, il lance, à partir d’HORB et de NAGOLD, la 5e D.B. suivie de la 2e D.I.M. par la vallée du NECKAR, sur REUTLINGEN et ESSLINGEN au Sud de STUTTGART: la ligne ROTTENBURG – HERRENBERG est atteinte.
Ordre est donné de marcher de jour et de nuit : il ne faut plus laisser à l’ennemi une seconde de répit.
Le rythme s’accélère. Le 19, le massif boisé du SCHONBUCH est débordé par le Sud et les villes de TUBINGEN et de REUTLINGEN tombent entre nos mains. Simultanément, au nord, la 3e D.I.A., qui a déclenché son attaque sur le front de l’ENZ, approche de LEONBERG.
Le 20 Avril, l’investissement de STUTTGART s’accomplit. La 5e DB. et la 2e D.I.M. débouchent de la région boisée de BOBLINGEN, GROTZINGEN, au Sud-Ouest et au Sud de STUTTGART. A l’Ouest, la 3e D.I.A. atteint LEONBERG. Les forces de la 7e Armée U.S. atteignent alors à l’Est du NEC¬KAR la région de WAIBLINGEN, à 15 kilomètres au Nord-Est de STUTTGART.
Le 21 Avril, journée décisive sur l’ensemble du front, le C.C. 4 du colonel LECOCQ et le C.C. 6 du colonel de LAVIL-LEON, attaquant par le Sud, entrent dans STUTTGART, traversent la ville d’un seul élan jusqu’à sa lisière Nord, aux acclamations de nombreux prisonniers et déportés libérés.
Les quatre divisions adverses toujours au Nord et à l’Ouest de la cité, surprises par cette attaque à revers, se retournent en partie contre l’assaillant. Refoulées par l’attaque frontale de la 3e D.I.A. du Général GUILLAUME et rejetées sur la 5e D.B., elles refluent dans l’agglomération et cherchent à s’ouvrir un passage vers le Sud.
On se bat à bout portant. Fantassins, canonniers, artilleurs des F.T.A. font le coup de feu pour refouler ces colonnes qui cherchent à passer à travers les mailles de notre dispositif. Le P.C. du C.C. 6 est encerclé et attaqué par des automoteurs. Une charge héroïque des Half-tracks de la Légion le dégage. Notre volonté de vaincre l’emporte sur l’énergie du désespoir, et les groupes ennemis, refoulés dans un espace toujours plus restreint, sont bientôt faits prisonniers.
Au Sud et à l’Ouest de STUTTGART, d’autres éléments cherchent aussi à se frayer une voie et se jettent dans la forêt du SCHONBUCH. Pressés par les goumiers des 1er et 4e Groupements de Tabors Marocains, ils essaient de gagner le NECKAR de TUBINGEN. Mais là encore, le Général de LINARES avec sa 2e D.I.M. contient leur poussée, puis les encercle et les capture.
La deuxième manœuvre de destruction: LA FORÊT NOIRE
En même temps se déroule la bataille d’encerclement de la FORET NOIRE.
Dès le 15 Avril, le Général de LATTRE, ne laissant qu’un mince rideau de troupes sur le RHIN au Sud de STRAS¬BOURG, a fait passer le 1er C.A. du Général BETHOUART sur la rive Est du RHIN. Franchissant en masse le fleuve à STRASBOURG, sitôt finie la grandiose prise d’armes du 16 Avril, les forces du 1er C.A. (1ere D.B. et 4e D.M.M.) ont gagné, le 17 et le 18, la région de FREUDENSTADT, tout en dégageant la transversale STRASBOURG – FREUDENSTADT.
Le Général commandant la 1ere Armée Française les lance aussitôt sur le DANUBE. Le 19, le NECKAR est franchi au Sud d’HORB et SULZ est pris. Le 20 Avril, une poussée de 30 kilomètres amène la 1ère D.B. à ROTTWEIL et aux abords de BALINGEN. Le 21 Avril, après avoir pris VILLINGEN et SCHWENNINGEN, nos blindés atteignent le DANUBE sur un front de 60 kilomètres. Plusieurs ponts sont conquis intacts par surprise. DONAUESCHINGEN, TUTTLINGEN et SIGMARINGEN sont enlevés, tandis qu’en direction du lac de Constance nos pointes de blindés (C.C.2) entrent dans STOKACH.
Un groupement blindé (Groupement LEBEL), composé d’éléments de reconnaissance et de tanks destroyers (1er R.S.A.R., 4e R.S.M., 19e B.C.P. et 2e Dragons), se dirige aussitôt vers la frontière suisse, tout en laissant des éléments au débouché en plaine des vallées de la FORET NOIRE, pour en interdire la sortie.
Le 21 au soir, il atteint la frontière suisse de SCHAFFOUSE et cerne ainsi les défenseurs de la FORET NOIRE. Elargissant son action vers l’Est, il dépasse STOCKACH le 22 avril et enlève CONSTANCE le 26 avril, après de durs combats pour forcer les approches de la ville.
Rejoignant au plus vite ce groupement blindé, la 4e D.M.M. renforce le mince barrage déjà tendu par ce dernier sur le versant oriental de la FORET NOIRE.
Le 18e Corps d’Armée S.S. avec ses quatre divisions et une nombreuse artillerie automotrice sont pris au piège dans le massif.
Va-t-il résister sur place ou capituler ? L’adversaire ne se résoud pas à subir sur place son destin.
Regroupant sous le couvert des forêts leurs forces un instant désorientées, des chefs énergiques, décidés à rompre nos lignes et à passer, forment le dessein d’attaquer vers VILLINGEN pour s’ouvrir la route de la retraite.
Le 26 Avril, par surprise, en plusieurs colonnes, les divisions du 18e C.A. S.S., appuyées par des automoteurs, suivies de longues files de véhicules, débouchent brusquement de la forêt et cherchent à rompre le barrage dressé devant eux.
Deux groupes d’Artillerie, le I/R.A.C.L. et le II/64, sont un moment cernés par le flot ennemi, luttent à découvert, se défendent à bout portant et réussissent à rejeter l’ennemi, lui causant des pertes très lourdes. Le 1er bataillon du 1er R.T.M. se met en hérisson dans le village d’AASEN, bloque le gros de la colonne adverse et contraint l’assaillant à se disperser devant lui, pendant que des éléments du 2eme Dragons, à BALD DURHEIM et à PETERZELL, brisent ses plus violents assauts. L’artillerie agit alors à plein. Grâce à une manœuvre de feux concentriques de 7 groupes d’artillerie, l’ennemi est décimé partout où il se présente : des centaines d’équipages détruits, plusieurs milliers de chevaux errants, une nombre considérable de cadavres ennemis attestent l’action primordiale de l’artillerie dans l’échec de la contre-attaque allemande du 26 avril dans la région de VILLINGEN.
Entre temps, le Général Commandant la 1ere Armée Française fait affluer sur les lieux du combat et met à la disposition du Général BETHOUART, commandant le 1er C.A., de nouvelles unités prélevées sur la 5e D.B., la 14e D.I. et la 3e D.I.A. L’aviation du 1er Corps Aérien Français intervient également dans la lutte : elle apporte une aide extrêmement efficace à nos combattants, pourchasse et traque l’adversaire qui tournoie.
En ces heures, l’esprit de solidarité entre troupes de toutes armes et de toutes Divisions de notre Armée se manifeste avec éclat. Bientôt, grâce à la détermination de nos troupes et à la coordination des efforts de tous, l’ennemi est cerné et anéanti dans la région de VILLINGEN : 15.000 prisonniers sont ainsi capturés par le 1er C.A. Le 18e c.A. S.S. et ses quatre Divisions n’existent plus. Seuls subsistent encore quelques groupes ennemis qui, refoulés dans la montagne, y errent et seront capturé? quelques jours plus tard au cours des opérations de nettoyage
Simultanément, en plaine de BADE, et dans la FORET NOIRE, la 9éme D.I.C. presse de front l’adversaire, dont les communications sont déjà coupées
Le 21 Avril, précédée du C.C. 3 du Général CALDAIROU, elle s’empare de FRIBOURG et prend pied dans le KAYSERSTUHL ; VIEUX-BRISACH est occupé à la suite de l’action du 3e Groupement de Choc, qui traverse le RHIN par surprise ; le 22 Avril voit nos forces à MULHEIM ; le 23 à ISTEIN et le 24 enfin à la frontière suisse de LORRACH.
Remontant ensuite le cours du RHIN le long de la frontière suisse, tout en nettoyant la partie Sud de la FORET NOIRE, sa 9e D.I.C. réalise, le 26, sa jonction avec la 4e D.M.M. du Général de HESDIN.
La bataille de destruction de la FORET NOIRE s’achève : les prisonniers se comptent par dizaines de milliers, cinq Généraux sont capturés.
L’ultime manœuvre d’anéantissement: ULM
En même temps, partant du triangle stratégique de STOCKACH – ENGEN – TUTTLINGEN, la 1ere D.B. du Général SUDRE, avec le C.C. 1 du Colonel GRUSS et le C.C. 2 du Colonel LEHR, s’épanouit au Sud du DANUBE en un large éventail pointant à la fois vers ULM, MEMMINGEN et KEMPTEN pour interdire à tout élément ennemi de se ressaisir sur le plateau au Sud du DANUBE, et pour bloquer au Nord du fleuve les forces adverses du JURA SOUABE devancées dans leur retraite.
En deux jours, nos chars parcourent 150 km., s’emparant de tous les passages sur le fleuve rencontrés au cours de leur avance, prennent BIBERACH le 23 Avril et, le 24 Avril, à midi, le C.C. 1 hisse nos couleurs sur ULM, la vieille forteresse d’Empire, 140 ans après les soldats de la Grande Armée.
Ainsi, les forces ennemies qui occupent le JURA SOUABE sont prises à revers. Bientôt pressées par la 2e D.I.M., renforcée du C.C 5, et aussi par les blindés de la 7e Armée U.S., elles tentent de s’échapper vers le Sud. Mais la ligne du DANUBE, solidement tenue par la 1ere D.B., résiste à toutes leurs attaques.
Le 24, au soir, le C.C. 5, parti en flèche de REUTLINGEN, réalise à SIGMARINGEN sa liaison avec le 1er D.B. Lès lors, la poche ennemie du JURA SOUABE est coupée en deux. A partir du 25, les groupes ennemis qui errent dans le JURA SOUABE sont successivement éliminés et, le 28 Avril, les derniers restes de la 19e Armée allemande sont à leur tour anéantis.
Une autre manœuvre d’ULM, exécutée cette fois par l’Ouest de la place, mais renouvelant néanmoins celle de NAPOLEON le 20 Novembre 1805, et consommant, elle aussi, la destruction totale d’une armée ennemie, vient de s’accomplir.
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Ainsi, en quatre semaines, la 1ere Armée Française a franchi d’un même élan ces deux fleuves si évocateurs de nos gloires militaires: Le RHIN et le DANUBE.
Durant ces quatre semaines, l’ennemi totalement surpris par l’audace, l’imprévu et l’incessante variation des directions d’attaque, par la hardiesse et la rapidité des poussées enveloppantes, n’a pu trouver à aucun moment la possibilité de se ressaisir.
Des neuf divisions qu’il opposait à nos forces, aucune n’a pu échapper à la capture ou à la destruction.
Deux Etats conquis: BADE et WURTEMBERG ; le puissant bastion fortifié de la FORET NOIRE enlevé et démantelé; plus de 90.000 prisonniers, dont sept généraux ; un matériel considérable capturé; la 19e armée allemande, poursuivie depuis les côtes de PROVENCE, enfin détruite en totalité : tel est le bilan des 25 jours de campagne en terre allemande.
Après la victoire du “RHIN et DANUBE”, à nouveau impatiente de lendemains glorieux, la 1ere Armée Française voit se profiler à l’horizon les cimes des ALPES AUTRICHIENNES et BAVAROISES.
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Message du Général de Gaulle
Le Président du Gouvernement Provisoire de la République a adressé au Général de LATTRE, le 23 avril, le message suivant :
“Félicitations pour magnifiques résultats obtenus”
Général de GAULLE.
Message de M. Diethelm, Ministre de la Guerre
M. Diethelm, Ministre de la Guerre, a envoyé au Général de Lattre le télégramme suivant que le Commandant en Chef de la 1ere Armée Française est heureux de porter à la connaissance de tous:
“Je reçois avec une profonde émotion et une grande fierté la nouvelle de l’avance foudroyante de votre Armée: Stuttgart et Fribourg occupés, les rives du Danube, si chargées d’héroïsme et d’histoire, atteintes et dépassées. Vos troupes et leurs chefs renouvellent ainsi les succès qui ont fait la gloire de l’Armée Française. Transmettez à tous mes plus affectueuses et chaleureuses félicitations pour ces nouveaux triomphes.”
DIETHELM
Félicitations de M. Winston Churchill
Le Premier Ministre Britannique a adressé au Général de Gaulle le télégramme suivant :
“Veuillez accepter mes félicitations pour la prise d’Ulm par les armes françaises. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir transmettre au Général de Lattre de Tassigny et à ses braves Soldats mon admiration pour leurs prouesses et leurs succès”
WINSTON CHURCHILL.
Communication officielle du 22 avril 1945
Stuttgart enlevée de haute lutte, le Danube franchi sur un front de plus de 60 kilomètres et Sigmaringen conquise, la frontière suisse atteinte, Fribourg occupée, d’importantes forces ennemies encerclées en Forêt Noire, plus de 10.000 prisonniers, tel est le résultat obtenu par la 1ere Armée Française sous le commandement du Général de Lattre dans la journée au 21 avril 1945.
Cette seule journée récompense la 1ere Armée Française des efforts qu’elle a fournis depuis son débarquement sur les côtes de Provence.
Communication officielle du 23 avril 1945
Au lendemain de sa victoire décisive, la 1ere Armée Française achève la liquidation des résistances ennemies, tronçonnées et encerclées. Ayant brisé le centre adverse au sud de Freudenstadt, la 1ere Armée Française a scindé la 19e armée allemande en deux masses ; l’une concentrée devant Stuttgart, l’autre dans le sud de la Forêt Noire et le long du Rhin ; puis, le 21 avril, ayant investi Stuttgart, elle est passée à l’attaque décisive, simultanément face à l’est et face au sud pour la destruction de ces deux puissantes fractions.
Le deuxième Corps, sous les ordres du Général de Monsabert, surmontant la dure résistance des quatre divisions ennemies qui s’accrochaient opiniâtrement autour de la ville, s’emparait de la capitale du Wurtemberg, agglomération de 800.000 âmes, au prix d’une lutte âprement disputée.
Au sud, le premier Corps d’Armée, sous les ordres du Général Béthouart, fonçant d’une traite vers le Danube et la Frontière Suisse, s’emparait de Rottweil et de Donaueschingen, et coupait la retraite aux défenseurs du Rhin, tandis que le groupement Valluy, les refoulant en Plaine Badoise et à l’intérieur de la Forêt Noire, enlevait ce même jour Fribourg-en-Brisgau.
En ce moment, entre Neckar et Haut-Danube, dans les forêts à l’ouest de Stuttgart et dans la boucle du Rhin, l’investissement des restes adverses qui résistent désespérément se resserre d’heure en heure. Sigmaringen largement dépassée, nos blindés accentuent leur progression vers l’est.
La pointe nord du lac de Constance est atteinte et nous bordons la Frontière Suisse autour de l’enclave de Schaffhouse.
Communication officielle du 24 avril 1945
Les Troupes Françaises sont entrées dans Ulm ce matin 24 avril. Au sud du Danube, nos Unités étendent rapidement leur emprise sur les plateaux du Wurtemberg méridional. En Plaine de Bade, le succès d’un franchissement de vive force à Kembs a permis à notre Infanterie de poursuivre vigoureusement son avance le long du Rhin et de parvenir à proximité immédiate de Bâle.
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LA LIBÉRATION DE MULHOUSE
Première étape : L’arrivée des Français à Mulhouse
Après plusieurs jours de durs combats dans la trouée de Belfort, la 1ere Armée Française que commande le Général DE LATTRE DE TASSIGNY brise dans la région de Delle (1), le 19 novembre 1944, le dispositif de défense allemand.
S’engouffrant dans la trouée, les blindés français courent au Rhin qu’ils atteignent le soir même du 19, à Rosenau (2) puis sans arrêt se dirigent, le 20, sur Mulhouse,
Comme s’enflamme une traînée de poudre, la nouvelle se répand dans Mulhouse, au cours de la soirée du 20 novembre «Les Français sont là».
L’événement attendu si longtemps se réalise !
Les blindés français sont sur le canal, autour de la gare, ils sont à Brunstatt, à l’Ile Napoléon (3).
Le 21 novembre, la libération s’accomplit; la bataille fait rage autour des casernes où l’ennemi tente en vain de résister, La Doller est bordée par nos soldats sur son cours dans Mulhouse,
Les Mulhousiens, surpris, émerveillés, osant à peine croire encore à la fin si brusque du cauchemar n’en témoignent pas moins leur joie, Le drapeau tricolore apparaît partout aux fenêtres.
Ce même jour 21 novembre, Altkirch est également libérée (4).
Mais l’ennemi s’est ressaisi. Il se maintient dans les faubourgs de Mulhouse, à Lutterbach, à Pfastatt, à Bourtzwiller. La libération de Mulhouse n’est pas encore complète.
La ville se trouve en première ligne. Pendant deux mois, les habitants vont vivre, jour et nuit, dans le bruit des canons; à plusieurs reprises, la cité aura même à subir les coups de l’artillerie allemande.
Deuxième étape : Le dégagement de Mulhouse
Le 20 janvier 1945, la 1ere Armée Française engage la bataille de Colmar. Les combats se raniment autour de Mulhouse, d’où part l’attaque sur le flanc sud de la « poche» ennemie.
Les blindés, les tirailleurs marocains, les marsouins combattant sous une violente tempête de neige assènent à l’ennemi les coups les plus violents, surmontent sa défense dans les bois de Nonnenbruch autour des mines de potasse (5) et dégagent largement tout le nord de Mulhouse (6), puis, la rupture du dispositif ennemi étant achevée, font leur jonction le 4 février, à Rouffach et à Sainte-Croix-en-Plaine, avec ceux qui viennent de libérer Colmar.
Le 9 février, l’ennemi est définitivement rejeté au-delà du Rhin, à Chalampé (7).
La 1ere Armée Française a délivré l’Alsace.
Le 10 Février, Mulhouse en fête acclame le Général DE GAULLE et ses libérateurs.
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La Tragédie de la Brasserie de Lulterbach
Pendant 60 jours 1500 personnes vécurent dans les caves de la Brasserie qui se trouvent à 17 m sous terre.
Il y eut plusieurs décès et deux femmes devinrent mère avec l’aide d’un médecin.
Peu avant la Libération les Allemands vinrent chercher 60 hommes appartenant au Volkssturm.
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LYON
3 Septembre 1944
Récit du Lieutenant de Vaisseau Barberot
Les tous premiers éléments de la 1ère Armée Française qui se présentent le 3 septembre 1997 (est-ce bien le 3 septembre ? La date ne figure pas dans mes notes) devant Lyon et vont pénétrer dans la ville sont : un peloton de Fusiliers-Marins sur jeeps que commande Stanislas Mangin et beau-frère du Général Brosset) que suit à courte distance le P.C. Radio du Régiment, puis, peu après, cinq chars légers que commandent l’Enseigne de Vaisseau Barnouin (code Santos) et l’E.V. Michel Bokanowski (code Tigre).
Les équipages, fusiliers-marins, appartiennent au 1er R.F.M., unité de Reconnaissance de la 1ere D.F.L. que commande le Général Brosset.
Ils n’ont pas trouvé devant eux la moindre résistance allemande.
C’est comme ça depuis Toulon et Marseille.
Les ravitaillements en essence et en munitions n’ont pas suivi le rythme de la retraite allemande. C’est pour ça que la plus grande partie de l’armée allemande a pu échapper aux armées lancées à ses trousses.
Ce n’est pas la faute de la 1ere D.F.L. Et de ses avant-gardes si la remontée de la vallée du Rhône n’a pas été une poursuite forcenée mais a pris les allures d’une promenade de vacances.
Si le peloton de Stanislas Mangin est devant Lyon le 3 septembre, c’est qu’il a pu soutirer les dernières réserves d’essence du Régiment.
Le reste du Régiment et, en particulier les chars, gros mangeurs d’essence, ont du attendre d’être ravitaillés pour partir. Mais on sait par la radio qui accompagne les jeeps que le ravitaillement est fait, que ceux-ci ont roulé toute la nuit pour rattraper le temps perdu et qu’ils ne sont plus très loin.
On ne sait rien sur Lyon. Les renseignements sont vagues et contradictoires. Y a t’il à Lyon des troupes allemandes organisées avec chars, antichars et panzerfaust ? S’il en était ainsi le peloton de jeeps ne pèserait pas lourd.
Aussi Stanie Mangin avance-t-il avec la plus grande prudence.
C’est alors que surgit, venant de Lyon (et par où est-il passé pour que Stanie Mangin n’ait rien vu ?) le Général Brosset qui l’apostrophe en riant :
“Mais, qu’est-ce que vous attendez pour foncer ? Il n’y a rien devant. J’en viens. J’ai été prendre un verre de bière dans un bistro. Et pendant ce temps, vous jouez aux Peaux-Rouges et vous avez laissé sauter les ponts”.
C’est dans le style de Diego Brosset de courir aux avant-gardes et, cette fois-ci, de les dépasser.
Tout comme Rommel qui, après la chute de Tobruk en 1942, et la retraite accélérée de la VIIIe Armée, a trouvé que son groupe blindé de pointe, le groupe Kiehl (sur matériel pris à Tobruk) ne fonçait pas assez bite, s’est fait déposer auprès de lui en Fiescher Torch, est monté dans un char et nous est tombé sur le poil au moment où le 1ere bataillon de Légion Etrangère, quittant le terrain d’aviation d’El-Daba, en toute arrière garde de la Ville Armée britannique (comment l’a-t’on su ? Par Rommel lui-même dans ses mémoires “La guerre sans haine”).
C’est aussi le style de Leclerc.
C’était aussi le style et la tradition des Maréchaux et Généraux de l’Empire : Desaix à Marengo, Lannes à Essling, Murât à Eylau…
Pour en revenir à l’algarade simulée de Diego Brosset, celui-ci est de mauvaise foi. Il sait très bien que sa Reconnaissance était à 200 kilomètres de Lyon quand les ponts ont sauté et que, cette fois-ci, ce ne sont pas les bouleversements américains qui les ont détruit (comme ils l’ont fait tout au long de la Vallée du Rhône), mais les Allemands eux-mêmes pour protéger leur retraite.
Stanie Mangin a donc repris avec entrain son avance.
Tous les ponts sur le Rhône et la Saône ont sauté sauf un, le pont de l’Homme de la Roche dont, selon les sources, un F.F.I., Joseph Laval, a pu désamorcer les charges d’explosif.
C’est par ce pont que les jeeps de Stanie Mangin passent pour s’engager dans la ville.
Le P.C. Radio les suit mais s’arrête de l’autre côté du pont, à l’écoute de la radio des chars et du Régiment.
Des civils, garçons et filles, accourent auprès du scout-car et bavardent avec l’équipage.
C’est alors qu’une mitrailleuse ouvre le feu, de haut en bas, sur le scout-car (celui-ci n’est protégé que latéralement par le blindage). Ce premier tir est heureusement mal ajusté : tout le monde s’est aussitôt planqué, l’équipage dans le fond du scout-car, les autres à l’abri derrière le blindage.
Le tir d’une autre mitrailleuse prend alors le scout-car par le travers. Cette fois-ci les balles passent près et l’une entaille, comme d’un coup de rasoir, sur toute la longueur, la peau du crâne de l’opérateur radio qui ne s’est pas assez enfoncé dans la voiture. Il reste derrière le véhicule un triangle de sécurité où s’entassent les civils, mon chauffeur et moi. Les balles, qui ricochent sur les pavés, explosent en mille fragments qui vont de piquer dans les jambes des filles. Celles-ci commencent à avoir peur.
C’est une situation un peu ridicule. Les mitrailleuses tirent sur nous du haut de la colline d’en face. Il est impossible de les situer et de leur répondre. D’ailleurs répondre à qui ? A des armes allemandes ? C’est peu probable si l’on en juge par le vide absolu de toute unité allemande que nous avons trouvé devant nous. Vraisemblablement des F.F.I. ou des F.T.P. qui ne connaissent pas tous les types de véhicules américains et ont du prendre notre scout-car pour une voiture allemande.
L’opérateur radio qui suit l’avance des chars sur la carte les harcelle pour qu’ils s’accélèrent au maximum et nous tirent du piège.
L’attente est, grâce à Dieu, de courte durée.
Les chars arrivent enfin conduits par Barnouin et Bokanowski. A peine apparaissent-ils que le tir des mitrailleuses s’arrête comme par enchantement.
C’était donc bien des groupes F.F.I. ou F.T.P. qui avaient pris le scout-car pour une voiture allemande. Portant des brassards tricolores, ils nous rejoignent sur le quai.
Il fait beau. Les hommes sont en bras de chemises et blousons américains. Les équipages des chars en combinaisons. L’enseigne de vaisseau, Bauche, grand maître des ravitaillements, se promène sur le quai en chemisette et short de la Ville Armée. Quelle heure est-il ? Je ne lai pas noté. L’ombre portée des hommes sur le sol est à peu près la même longueur que la taille de l’homme debout. Les spécialistes pourraient préciser au vu des photos que nous avons prises ce jour là, quelle était exactement l’heure de notre entrée dans Lyon.
Dès que les chars du premier peloton sont au complet, ils franchissent à leur tour le pont et pénètrent dans la ville. Je les dirige en jeep.
Comme on ne sait toujours rien, les chars avancent d’abord avec prudence, guettant les fenêtres, les portes et les toits. De temps en temps les mitrailleuses envoient de courtes rafales sur les points suspects. Elles restent sans réponse.
Les chars sont escortés des groupes F.F.I. et F.T.P. qui nous ont rejoint au pont et qui continuent à tirailler au petit bonheur, alors que les chars ont renoncé à leurs tirs de semonce.
Au fur et à mesure que les chars avancent vers le centre, notre escorte augmente. Les maisons se vident dans la rue et les habitants se précipitent pour acclamer les marins.
Bientôt, la rue est noire de monde. La foule en délire submerge les jeeps, grimpe sur les chars, s’agrippe aux poignées, aux panneaux, aux canons et aux mitrailleuses et transforme les chars, où les robes claires des jeunes femmes dominent, en chars de carnavals.
Littéralement aveuglés par ces grappes humaines, portés par le flot, les chars échouent sur la vaste esplanade de la place Bellecour.
La foule qui nous suit est en plein délire. Surexcités par l’ambiance, certains croient voir des Allemands ou des miliciens partout. Sur les toits, dans les embrasures des portes et des fenêtres.
Des rafales partent spontanément, tirées par les groupes F.F.I. ou F.T.P. qui nous accompagnaient. Aussitôt la foule s’éparpille comme une volée de moineaux, s’engouffre sous les porches et dans les maisons. On se jette à plat ventre, le nez sur le macadam, avec le réflexe de l’autruche qui se croit protégée en plongeant la tête dans le sable.
La pétarade s’amplifie place Bellecour. La poussière que soulève l’impact des balles frappant les murs fait croire à des départs de coups. D’autres prennent ces poussières pour cibles. Les balles se perdent et tombent ailleurs où des gens qui se croient visés ripostent à leur tour. Une partie de la ville se bat contre des fantômes.
La foule passe de la joie à la peur panique. Curieuse, enthousiaste et bon enfant, elle entoure les chars, puis subitement, au départ d’une rafale reflue en désordre et s’enfuit à toutes jambes dans toutes les directions Elle ressemble à ces vols d’étourneaux qui, effarouchés, basculent d’un coup dans leurs vols. La foule qui n’était que visages, mains tendues et drapeaux, devient une foule de dos et de jambes qui s’enfuient éperdus.
Elle laisse comme des épaves ceux qui ne peuvent pas suivre. Une photo montre la place Bellecour, les chars rangés en carré, un grand vide où gisent un homme affalé entre deux béquilles, des bébés abandonnés et au loin des jambes en fuite.
Les marins sont restées dans leurs machines. Ordre de ne pas bouger et tirer pour ne pas accroître la confusion. Quelques-uns ont été chercher des chaises, des sandwichs et des bouteilles de vin dans les bistros de la place. Les chars ont roulé toute la nuit. Les hommes sont ivres de fatigue et somnolent à côté des chars.
Mais la corrida ne s’arrête pas pour autant place Bellecour vers laquelle semblent converger des groupes F.F.I. de la région qui n’ont pas participé à la pétarade et réclament leur part. La guerre se poursuit contre des cheminées, des fenêtres ouvertes, des reflets sur les vitres.
Les mitraillades ne s’arrêtent que pour reprendre frénétiquement le moment suivant. Il suffirait d’un coup de coude malencontreux pour que les rafales de ces chasseurs de fantômes fauchent la foule.
Les équipages, d’abord amusés par cette ambiance de folie collective, finissent par être exaspérés par ce désordre.
Je fais porter par les chefs de chars l’ordre de cesser le feu à tous ceux qui arborent des galons sur la place, mais personne n’obéit à personne et les groupes échappent leurs officiers. Je menace de faire évacuer la place. Les moteurs des chars sont remis en marche.
Petit à petit la fièvre tombe.
Deux toutes jeunes filles qui étaient juchées sur les chars sont rentrées avec nous, insensibles à la panique générale. Elles rient avec nous des mitraillades.
“Venez avec nous”, dit l’une d’elle, “je sais où l’on peut trouver du vin blanc et des confitures”.
C’était l’épilogue de notre entrée à Lyon, “Ville ouverte”.
Aussitôt après, nous parvient l’ordre de la Division de quitter Lyon et de nous installer dans les environs dans le petit village de Vencia.
Diego Brosset, lui, a pris possession de la ville.
Devant les badauds ébahis, il a gravi en jeep le grand escalier de l’hôtel de ville et c’est en jeep qu’il est entré, en conquérant, jusque dans la salle du consul. Il a aussitôt fait apposer des proclamations partout et marqué la ville du Sceau à Croix de Lorraine de sa Division.
Le 14 septembre (nous ne serons plus là), le Commissaire de la République, Yves Farge, recevra à Lyon le Général de Gaulle.
Au Général qui lui demande :
“Où sont les Corps Constitués ?”
Farge répondra :
“En prison, mon Général.”
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Plusieurs questions concernant la Libération de Lyon restent en suspens.
Et d’abord, celle-ci : Comment la Résistance qui était si active dans la région et avait fait que Lyon avait été considérée comme Capitale de la Résistance ? N’a-t’elle pas pu empêcher les Allemands de détruire tous les ponts, à l’exception de celui de l’Homme de la Roche.
Et comment les Allemands ont-ils pu quitter Lyon en bon ordre sans être inquiétés ?
Il est certain que l’évacuation rapide, d’un coup, des troupes allemandes qui occupaient Lyon et les ponts sur le Rhône et la Saône sautant, d’ordre du commandement allemand, pour couvrir le repli des troupes, a pris de court le commandement F.F.I. de la Zone, Colonel Bayard, et que rien n’avait transpiré des intentions du commandement allemand avant que l’exécution de ses ordres ait commencé.
C’est ce qui ressort de l’ordre en date du 1ere septembre du Colonel Bayard qui prescrit le nettoyage des résistances allemandes et précise que “l’assaut final ne devra être lancé qu’avec beaucoup de prudence, en cas seulement où les efforts tentés pour obtenir la reddition de l’ennemi n’aboutiraient pas.”
Les formations F.F.I. qui, le 2 septembre, en exécution de cet ordre, convergent sur Lyon et dont l’une d’entre elles, notamment, forte de 2000 hommes, constate qu’elle n’a trouvé devant elle ni obstacle ni résistance, avant d’atteindre les faubourgs de la ville, n’auront ni attendu d’obtenir la reddition de l’ennemi ni à lancer un assaut final et ne trouveront devant elles qu’une “ville ouverte” vide de tous occupants.
Que ces hommes, issus de la Résistance, F.F.I. ou F.T.P., se soient sentis frustrés de n’avoir pas pu participer par les armes à la libération de Lyon, c’est certain.
Le courage n’est pas en cause.
Nous retrouverons nombre d’entre eux dans les rangs de la D.F.L. et chez les Fusiliers-Marins.
J’en témoigne aussi pour ces hommes réorganisés en llème Cuirassiers-Vercors qui fut en Novembre affecté à la 1ere D.F.L. et mis sous les ordres, chaque escadron lié à son homologue marine, du 1ere Régiment de Fusiliers-Marins.
Ils nous arrivaient rééquipés hâtivement avec les moyens du bord, insuffisamment dotés en armement, en liaisons radio et autres et qui n’avaient que leur courage à offrir
L’entente immédiate qui s’établit entre ces hommes qui, pour la plupart, n’avaient que 20 ans et ceux de la France Libre, comblait ces lacunes. Tous comprirent que nous partagerions avec eux les moyens dont nous étions abondamment pourvus.
Ils s’illustrèrent à nos côtés tout au long de la dure Campagne des Vosges : à Rouge Goutte, Gros Magny, Rougement-le-Château.
Pour parler d’eux, c’est à ce que j’ai dit et écrit sur eux 20 à 30 ans plus tôt que je me reporte. Je n’en change pas un mot.
“Ces garçons qui viennent du Vercors ont tellement envie de montrer qu’ils sont à la hauteur de leurs aînés, ils ont tant de confiance en nous qu’ils baignent dans un climat d’héroïsme absolument inconscient”.
La preuve nous en est donné à Rouge Goutte.
Que s’est-il passé ?
Au-delà du village que nous venons d’occuper, dont il me reste en mémoire l’image de trois soldats allemands foudroyés sur le muret qui entoure l’église, sans avoir eu le temps de tirer leurs panzerfaust, les chars de pointe butent sur une large coupure de la route battue par les tirs de mitrailleuse et par un canon de (qui va être détruit quelques instants plus tard, mais ceci est une autre histoire).
Les champs autour de la route sont inondés et impraticables.
Je demande à l’aspirant du 11ème Cuir qui est là d’envoyer une reconnaissance pour juger de l’importance de la coupure. Des bulldozer du Génie viendront la combler pendant la nuit.
L’aspirant revient et rend compte.
Incidemment je demande :
“Vous n’avez pas eu trop de difficultés ? Ca s’est bien passé ?”
Après une seconde d’hésitation :
“Non, pas bien. Nous avons eu deux tués et quatre blessés.”
Il ajoute rapidement :
“Mais nous avons ramené tout le monde.”
Je sursaute :
“Vous êtes fou. J’ai demandé ces renseignements sur la coupure mais pas le prix de six personnes. Quand je vous donne un ordre, c’est à vous de voir s’il est exécutable ou non.”
Que dire ? C’est à moi de leur donner des conseils de prudence et je n’y ai pas pensé : les fusiliers marins étaient habitués.
On ne s’étonne pas que je les décrive à l’époque :
“Magnifiques et sublimes Marie-Louise du Gaullisme. Ils ont tous vingt ans à peine et sont éperdus de gloire et d’héroïsme.
Voilà qui compense l’amertume des bras vides de gloire à Lyon.
Lieutenant de Vaisseau Barberot