Récits – Le camp d’Ambel

LE CAMP D’AMBEL

Historique du 1er Camp du Vercors : le C1
Témoignage du Président Pierre Brunet,
recueilli par A. Vincent-Beaume,
de la commission d’histoire de la deuxième guerre mondiale.

Pierre Brunet
Pierre Brunet

A la suite des articles de Pierre Dalloz, parus dans les numéros 19 et 21 du “Pionnier du Vercors”, il nous a paru important de faire connaître à tous les Pionniers — et autres lecteurs intéressés — l’histoire de ce premier maquis du Vercors, à Ambel.

 

Nous nous sommes naturellement adressés, pour cela, à notre camarade Pierre Brunet de Romans, et avec l’accord de M. A. Vincent-Beaume, nous publions aujourd’hui son témoignage, précieux entre tous.

Fait prisonnier en 1940, j’étais en captivité dans la citadelle de Laon (Aisne). Je m’en évadai en juin 1941 et revins chez moi à Pont-en-Royans.

Je revis alors souvent un de mes amis d’enfance, Pupin, qui pendant 4 ans avait été mon condisciple et mon voisin, En 1941, il tenait un café, rue du Polygone à Grenoble, mais venait souvent à Pont-en-Royans. Nous avions les mêmes sentiments vis-à-vis des occupants et vis-à-vis des autorités Vichyssoises. Pupin m’apprit que sous le nom de Mathieu, il était un des dirigeants du mouvement Franc-Tireur dans l’Isère. Il m’incorpora dans son mouvement en 1942, me fit connaître des camarades de ce mouvement dont le docteur Jacques Samuel de Villard-de-Lans, de son frère Simon, de Victor Huillier, etc. Ils me chargèrent d’organiser dans la région la distribution de journaux clandestins et de tracts.

Pendant l’été 1942, nous avons appris qu’à Saint-Jean-en-Royans, s’était constitué un groupement de résistants dépendant du mouvement Combat, dont le chef était M. Malossane, directeur d’école.

Nous sommes entrés en contact avec ce groupement et nous nous sommes promis de nous aider mutuellement et de nous communiquer nos informations.

La propagande résistante se faisait sans prendre beaucoup de précautions dans cette région favorable à nos idées. Mais dès le 1″ novembre 1942, le mouvement fut obligé de donner un coup de frein, des inspecteurs de la brigade spéciale d’Annecy étant venus enquêter au sujet de menées antinationalistes et de diffusion de tracts.

Quelques jours après la zone sud-de la France était occupée et le S.T.O. posa un grave problème.

Nous tînmes à ce sujet de nombreuses réunions. La propagande de Londres conseillant à ceux qui étaient désignés pour le S.T.O. de ne pas partir fut entendue, ainsi que celle que nous faisions dans la région. De Grenoble, de Romans, on nous signala de nombreux réfractaires et on nous demanda de les cacher.

On put en cacher quelques-uns dans les fermes, mais ce moyen était limité, d’autant plus qu’en cette saison les réfractaires pouvaient rendre que très peu de services. Nous pensions que là où nous pourrions en cacher beaucoup c’était dans les exploitations forestières. Pour abattre les arbres, pour le transport, etc., il fallait un personnel nombreux, difficile à contrôler parce que dispersé dans les bois. D’autre part, les réfractaires, en faisant preuve de bonne volonté, pouvaient gagner leur subsistance. Sur le conseil de Jacques et de Pupin, je sollicitai un emploi de sous-directeur à la société forestière exploitant la forêt d’Ambel.

Cette forêt appartenait à quatre propriétaires différents : Victor Huillier et Glaudas de Villaid-de-Lans, qui partageaient nos idées et étaient au courant de ce que nous voulions faire et de Gravier de Briançon et Guillet de Grenoble, qui ignoraient tout et qui d’ailleurs ne venaient jamais voir la forêt.

Je fus donc nommé sous-directeur de l’exploitation et chargé des questions matérielles : nourriture et logement du personnel, comptabilité, embauche. Le directeur était chargé de l’exploitation de la coupe. C’était un capitaine de réserve nommé Bourdeaux. Au début, nous l’avons tenu à l’écart de nos agissements, nous nous sommes même méfiés de lui. Mais, par la force des choses j’ai été obligé de le mettre au courant et il a accepté de participer à notre travail de planquage.

Je me mis en relation avec des organisations officielles à Romans, à Valence, avec des mairies, je me procurai des tampons et j’établis pour chaque réfractaire un jeu de papiers parfaitement en règle. Pour le ravitaillement, j’eus une entrevue avec M. Malossane de Saint-Jean-en-Royans, chef du mouvement Combat. Je le mis au courant de nos projets, il parut enchanté et immédiatement convoqua plusieurs de ses amis. Il leur demanda de se mettre à notre disposition et de nous aider au maximum dans la mesure de leurs moyens. Il me présenta à un boulanger, à un épicier, etc. A partir de ce moment, nous avons toujours travaillé en collaboration intime avec le groupe Combat de Saint-Jean-en-Royans.

Le personnel était logé à la ferme d’Ambel qui avait été aménagée en conséquence. Des bas-flancs sur 2 étages y étaient installés pour 60 personnes. Un dortoir plus important dans la grange permettait d’en coucher davantage. En février 1943, il y avait 85 hommes et nous pouvions en recevoir beaucoup plus. L’exploitation pouvait en effet occuper au moins 150 hommes.

Nous étions obligés, malgré tout, de prendre des précautions de sécurité. Les nouveaux arrivants pouvant ne pas avoir encore des papiers en règle, certains hommes pouvaient être recherchés personnellement. Le système d’alerte était simple. J’étais installé à Bouvante avec ma famille ainsi que cinq ou six hommes chargés de la réception des bois arrivant par le câble. Un interrupteur nous permettait de couper le courant arrivant à la ferme d’Ambel où la lumière électrique brillait perpétuellement dans la salle commune. En cas d’alerte, l’un de nous devait éteindre et rallumer trois fois. Les hommes d’Ambel devaient alors se rendre à des points qui leur étaient désignés.

Pour rejoindre Ambel les réfractaires n’y venaient pas directement. Nous avions organisé des filières que devaient suivre obligatoirement ceux, qui après une rapide enquête de camarades bien placés à Grenoble, à Saint-Marcellin, à Romans, à Valence, etc., étaient autorisés à rejoindre le camp. Les filières aboutissaient chez Louis Brun de Pont-en-Royans. Celui-ci, avec quelques amis, avait pour mission de nous les amener, après leur avoir fait traverser la Bourne en barque en leur faisant emprunter des itinéraires compliqués utilisant les sentiers et en évitant les routes.

Cependant avec l’hiver et les intempéries, la vie était difficile, les hommes étaient obligés de rester cloîtrés et inactifs. Le ravitaillement était difficile non seulement pour des questions de transport, mais parce que nous manquions d’argent.

Des colonnes d’Italiens circulant dans la plaine proche de notre région provoquèrent quelques alertes. Les hommes durent partir, en majeure partie, vers la maison forestière de Pré Grandu. Au bout de quelques jours, ils revinrent complètement exténués et découragés par la marche dans la neige molle et par le manque de ravitaillement. (Ils avaient parcouru environ 40 kilomètres en 10 heures).

Après de nombreuses discussions avec Jacques (Docteur Samuel), son frère Simon, Bourdeaux, nous avons décidé de modifier notre conception du planquage. dans les camps. Au lieu d’avoir dans un seul groupement un effectif important, nous avons jugé préférable d’avoir plusieurs petits groupements, plus maniables, plus faciles à cacher en cas d’alerte. Ceci devenait d’autant plus urgent qu’on nous annonçait de forts contingents de nouveaux réfractaires. Et surtout parce que les Italiens nous paraissaient être au courant de certaines choses concernant Ambel et semblaient se méfier. La dispersion immédiate ayant été décidée, j’ai dû faire une sélection pour ne garder que ceux qui étaient capables de travailler sur le chantier ou ceux qui étaient susceptibles de vite apprendre le métier. Ce personnel que j’avais gardé a constitué le premier camp du Vercors que l’on a appelé le C. 1.

Je signale en passant que les autres chefs de camps du Vercors ont pu nourrir leur personnel grâce à des indemnités journalières qu’ils touchaient pour leurs hommes et grâce aussi à des services qui avaient été organisés pour l’ensemble des camps. Personnellement, je n’ai jamais reçu d’argent du trésorier des camps, ni bénéficié des services de ravitaillement. J’ai nourri mes hommes avec le prix de leur travail. Les fausses identités que je leur avais fabriquées me permettaient d’ailleurs de me procurer beaucoup de choses régulièrement. D’autre part, le travail étant préférable à l’oisiveté, le moral dans l’ensemble a été bon au C. 1.

Avant de terminer cette question du ravitaillement, je signale que je m’étais entendu avec M. Robineau de Grenoble qui avait un troupeau de bovins à Ambel. Il m’autorisait à faire abattre des bêtes pour la nourriture de mon personnel lorsque je ne pourrais faire autrement. C’est ainsi que j’ai eu les possibilités d’assurer le ravitaillement de mon personnel, en viande, pendant la clandestinité et ensuite pendant l’affaire du Vercors.

La ville de Saint-Jean-en-Royans a également profité de ce bétail après le verrouillage du Vercors.

Au printemps, pour des commodités de travail, le C. 1 avait quitté la ferme pour s’installer au centre du chantier, au Saut de la Truite, dans des baraques construites avec des rondins assemblés.

Cependant, malgré les promesses, nous ne recevions pas d’armes et l’impatience gagnait les hommes. S’ils trouvaient que le travail de bûcheron était bien car “il permettait de se planquer tout en gagnant sa croûte”, par contre ils auraient voulu apprendre à se battre, à utiliser l’armement moderne et même ils rêvaient de faire des coups de main. Je n’avais que deux vieux mausers à leur donner pour l’exercice et cela ne les intéressait plus. Je ne savais plus que répondre à leurs questions concernant les parachutages d’armement promis.

Enfin, en mai, nous apprîmes que plusieurs camps avaient été réunis dans la région de Méaudre et avec quelques fusils-mitrailleurs envoyés de Grenoble, on y donnait aux hommes les premières notions de tir et de service-en campagne. La nouvelle se répandit vite et fut accueillie avec joie.

Bourdeaux et Stéphen partirent assister à ces exercices. Stéphen était André Stéphen Valot, ingénieur forestier, spécialiste des câbles, qui avait été affecté à Ambel en février 1943. C’était un résistant àrdent et convaincu. Nous avons toujours travaillé en étroite collaboration.

Stéphen et Bourdeaux revinrent enthousiastes, mais les jours succédèrent aux jours, nous ne recevions ni parachutage ni armes. L’inquiétude et un certain malaise commençaient à nous gagner. Nous avions fait des promesses aux hommes et nous-mêmes arrivions à douter de tout et à envisager le pire.

L’été 1943 s’écoula sans incidents notables. Avec les occupants nous ne craignions pas grand chose d’ailleurs, nos ouvriers étant en règle. On ne pouvait rien reprocher à une honnête exploitation forestière.

Fin juillet 1943, Bourdeaux, Stéphen et moi assistons â une réunion de cadres des forces du Vercors. Y participent les chefs de camps, les chefs de zones et les cadres des compagnies sédentaires de Romans, du Royans, de Grenoble et du Plateau. Jacques nous présentera Rouvier (Le Ray) ex-capitaine du 159è Régiment d’Infanterie Alpine qui était nommé chef militaire du Plateau. Rouvier nous exposa notre rôle et notre mission. Aussi nous attendions l’armement avec plus d’impatience que jamais.

Enfin, un soir, fin 1943, un dimanche, j’entends la radio anglaise annoncer : “nous avons visité Marrakech… Je dis : ce soir”.

C’était le message annonçant notre premier parachutage. Je préparai aussitôt ma camionnette. Bourdeaux et Stéphen vinrent me rejoindre et nous partîmes. A Pont-en-Royans, nous apprîmes que la nouvelle était connue. Louis Brun, Fernand Gabayet, l’instituteur de Sainte-Eulalie, étaient déjà partis. Tout le long de la route nous recueillîmes des passagers et passâmes par les Goulets, les Barraques, Tourtre, où il fallut laisser la camionnette. A pied, nous escaladâmes la falaise du plateau d’Arbounouze. Des groupes de paysans, un groupe franc étaient déjà arrivés. Jacques dirigeait l’ensemble. Il était 10 heures. L’heure H était une heure du matin. Il faisait préparer le balisage avec des fagots bien secs préparés depuis longtemps. L’attente fut longue, les avions avaient du retard. Enfin ils arrivèrent. Jacques fit les signaux puis alluma les feux et les parachutes descendirent. A partir de ce moment, les parachutages se succédèrent. Non seulement ils apportèrent armes, munitions, explosifs, etc., mais le moral fut en hausse tant chez les hommes que chez les chefs.

Vers cette époque, nous reçûmes la visite d’officiers alliés venus reconnaître le Vercors. Un lieutenant américain, des fusiliers Airborne, Michigan, qui se fait appeler Jean-Pierre et le capitaine Thackthwaite, de l’armée britannique dont le pseudo est Procureur et que l’on surnomme Proc. Leur inspection dans notre secteur dura toute une journée.

En début de l’hiver 1943-1944, il y avait un mètre de neige sur Ambel. Les travaux avaient dû y être interrompus. Nos équipes étaient descendues dans la plaine où nous avions un certain nombre de coupes exploitables par tous les temps. Tous les jours je faisais la navette entre les différents chantiers pour les ravitailler.

C’est à ce moment que le capitaine Thivollet du 11ème Cuirassier fut chargé de commander l’ensemble des camps du Vercors. Il remplaçait le commandant Rouvier qui avait été désigné pour diriger les maquis de la Chartreuse. Le capitaine Thivollet, lors de l’occupation de zone sud en novembre 1942, avait organisé un maquis dans le nord de la Drôme avec des officiers, des sous-officiers et des cavaliers du 11ème Cuir. Il rejoignit le Vercors fin décembre 1943.

Au début de février 1944, Bourdeaux fut appelé à Grenoble et resta près d’une semaine absent. A son retour, il me convoqua à Saint-Jean-en-Royans ainsi que Stéphen. II nous avisa que l’exploitation ayant été vendue, nous changions de patron. Les Allemands qui avaient besoin de bois de gazo pour leurs véhicules, de bois de coffrage pour leurs chantiers avaient acheté l’affaire. Stéphen et moi qui ne voulions pas travailler directement pour les boches, après une minute de stupeur, réagîmes fortement.

Il nous expliqua alors l’affaire. Huillier avait été arrêté et déporté. Glaudas ayant peur, cherchait à se débarrasser de l’affaire. Quant aux deux autres propriétaires, cela leur était bien égal pourvu que la vente fût avantageuse. Bref, les Allemands avaient acheté et étaient devenus propriétaires. Il avait vu alors Jacques, Clément, Mathieu, Rouvier, qui, après avoir examiné la situation lui avaient donné l’ordre de rester. Leurs arguments étaient les suivants :

1- Si nous abandonnons, d’autres prendront la place, ce qui pourra être un grave danger pour l’affaire Vercors.

2- Notre départ mettra les boches en défiance. En y regardant de plus près, qu’est-ce qu’ils trouveront ?

3- S’ils installent à Ambel une organisation allemande que faudra-t-il faire ? Pour la noyauter, il faudra y faire entrer des hommes à nous.

La première surprise passée, la réflexion venue, nous comprîmes que c’était le mieux à faire. Le côté aventureux de l’affaire nous apparaissait même avec tout son aspect séduisant : tromper le boche, ruser avec lui, stériliser son travail, préparer des coups durs dans l’exploitation, etc. Et puis, faire payer des réfractaires par les Allemands était assez amusant.

Nous reprîmes donc le travail et quelques jours après je fis la connaissance du colonel Nolle, des services industriels de la Wehrmacht. Il parlait bien le français, aimait la bonne chère et le Châteauneuf-du-Pape et était très affable. Mais son caractère changea vite car les chariots s’embourbaient, les essieux se rompaient, les roues se brisaient, etc. Le câble du bac traversant l’Isère avait été rompu trois fois en un mois. Les traces de scie sur l’acier étant évidentes, “les terroristes” avait dit Nolle. D’un air désolé nous avions approuvé et Stéphen lui avait demandé 2 mitraillettes pour faire garder le bac pendant la nuit. “Oui, pour qu’ils vous les prennent, lança-t-il avec un regard rancuneux, je ferai mettre des mitrailleuses au bac, mais avec des soldats allemands”.

Le 16 avril, les forces du maintien de l’ordre, milice et G.M.R, au total environ un millier d’hommes vint explorer le Vercors. La région d’Ambel fut particulièrement fouillée. Grâce à mes papiers allemands, je pouvais heureusement circuler à motocyclette dans la région et je pus prendre des mesures pour cacher le personnel. J’avais été alerté par un coup de téléphone venant de Bouvante, les hommes avaient eu largement le temps de se réfugier dans les bois. Les G.M.R. et les miliciens étaient montés à Ambel par la route du Pionnier, ils avaient saccagé les baraques, mais sans toucher au matériel forestier puisqu’il appartenait aux Allemands. Ensuite, ils étaient montés à la ferme, avaient trouvé nos cachettes d’armes, et de munitions et ils avaient mis le feu aux bâtiments dont il ne restait que les murs noircis.

Ambel
De G. à D. : Le Commandant Fayard, Mme Brunet Denise et une fille, Mme Fayard et sa fille, Lieutenant Brunet Pierre et sa fille.

Après ces événements, Nolle, devenu plus prude et plus méfiant nous convoquait, Stéphen et moi, à Saint-Hilaire à l’hôtel Brun. Il était toujours accompagné de deux hommes, un Belge et un Français, et avait toujours une mitraillette à portée de sa main.

Un jour, Nolle faisait grise mine car l’exploitation ne rendait pas : les lames de scie cassaient avec une régularité désespérante, les camions étaient en panne, etc. La mitraillette à sa portée et tenant à la main son parabellum, il dit : “Ça ne va pas. Il faut que cela finisse. Nous ne vous payons pas pour organiser le sabotage. Nous savons ce que vous faites”. Stéphen et moi nous regardâmes, comprenant que nous avions été dénoncés. Je dis : “Je suis Français, j’ai des sentiments français, mais nous ne sommes ni des saboteurs, ni des terroristes. Vous nous payez pour travailler, nous travaillons. C’est tout”.

Nolle se calma et dit : “N’en parlons plus. Mais il faut que le rendement augmente”.

Stéphen lui dit qu’alors il faudrait davantage de monde et que la Werbestelle lui faisait des difficultés. Nolle lui dit qu’il y mettrait bon ordre et en effet nous pûmes embaucher tant d’hommes que nous voulûmes et la Werbestelle nous envoya toutes les cartes que nous lui demandâmes sans faire la moindre observation.

Le 6 juin, nous accompagnons, Stéphen et moi, Nolle à Valence pour chercher la paye des ouvriers qui se fait le 8 ou le 9. Nolle est d’excellente humeur. En passant à Romans, nous apprenons la nouvelle du débarquement. “Il y assez longtemps que nous attendions ce jour-là” dit Nolle.

Nous allons à la banque, puis passons à la Werbestelle, et enfin à la Feldkommandatur. Nolle monte seul. Nous n’avons jamais été admis ici. Tout à coup Nolle nous hèle : “Venez”. Pas très rassurés, nous entrons.

Le Hauptkommandant Major Scherf nous reçoit. Il dit : “C’était prévu. Tout est prévu. Le mur de l’Atlantique est solide”.

Un planton apporte un pli. Les maquis de la région d’Annonay ont pris la ville. On demande des renforts. Le major donne des ordres. Il paraît soucieux. “Il y a beaucoup de terroristes dans le Vercors ? lui demande Nolle.

– Oui, beaucoup, Nous allons nous en occuper”.

Sur la carte, il explique son plan et parle d’aviation. Stéphen leur dit : “II ne faudrait tout de même pas qu’on bombarde Ambel”.

A la demande du major, il trace un trait sur la carte indiquant la région à ne pas bombarder.

En rentrant, nous trouvons des ordres de mobilisation et Stéphen et moi rejoignons les positions qui nous sont assignées. Nous sommes tous deux incorporés dans le bataillon Fayard (Bourdeaux) avec le grade de lieutenant. Je participai alors à l’affaire du Vercors et après la libération de la région, je fis campagne avec le 11ème Cuir, comme chef du service auto, jusqu’à l’armistice.

Pour compléter l’historique du premier camp du Vercors, recueilli pour la Commission d’Histoire de la Résistance, voici quelques précisions au sujet de ce camp.

Mon amitié avec Pupin (Mathieu) durait depuis notre plus jeune âge, puisque Pupin Mémé venait passer toutes ses vacances à Pont-en-Royans, chez une tante qui tenait un bureau de tabac en face de la maison de mes parents. Il appelait d’ailleurs mon père Pépé Paul.

Plus tard, nous nous retrouvions au parti socialiste S.F.l.O.

J’étais secrétaire de la section de Pont-en-Royans et je faisais partie de la commission exécutive du département avec les députés Hussel, Buisset, Dr Martin, Boissieux, Berthet, Pupin, etc.

Ensuite je me présentai aux élections cantonales. Mémé Pupin est venu m’aider à faire ma campagne, il m’a accompagné dans deux ou trois pays.

Si je vous dit ceci, et pourquoi le cacherions-nous, c’est avec le parti socialiste que ce premier camp a démarré. Bien entendu, nous acceptions tout le monde, du moment qu’un jeune était à cacher, nous ne regardions pas son étiquette politique, seuls quelques communistes nous ont quittés pour aller rejoindre les FTP., c’était leur droit.

Notre regretté camarade Brun de Pont-en-Royans et le frère de Jacques étaient allés reconnaître le terrain d’Ambel. Je n’ai jamais dit que j’étais le premier chef des maquis de France : ceux qui t’ont dit et écrit, ce sont Jacques dans sa proposition pour ma Légion d’honneur ; notre regretté président Chavant dans une lettre qu’il adressait au Ministre des anciens combattants pour appuyer la proposition de Jacques Malossane lors de l’inauguration du monument d’Ambel, le livre de Vallot (lieutenant Stéphen) “Vercors premier maquis de France”.

Quant aux dates c’est difficile de les fixer. Lorsque les cheminots de Grenoble sont arrivés au camp, nous avions déjà des jeunes qui travaillaient avec les câbleurs et les bûcherons, car il est bien certain qu’il y eut une préparation, fausses cartes d’identité, tampons de villes, etc.

Ce qui me fixe le mieux, c’est le jour où j’ai demandé à Malossane de nous aider. Il me fixa une réunion avec des amis du parti socialiste, Gabayer Testoud, Juge, Berthet (Molaire), tué à la prise de Romans. Malossane me dit qu’il faudrait tenir cette réunion à 18 h 50, lorsqu’il n’y aura plus de gosses à l’école, c’est donc au 2è étage de l’école, où il était directeur, que s’est tenue cette réunion, donc inévitablement c’était avant les grandes vacances.

Il serait bon dans cette entreprise de citer quelques noms, ne serait-ce que pour leurs enfants, leur famille.

Les réfractaires qui venaient de Grenoble ou de la région arrivaient par les cars Glénat, mais surtout par les cars Huillier, dont toute cette famille s’est dévouée sans compter et ont payé de leur vie.

Ils étaient centralisés à Pont-en-Royans. Là, notre regretté camarade Louis Brun, Fernand Bellier, Ferlin, François et j’en oublie, les prenaient en charge et presque tous ont été hébergés, nourris gracieusement par M. et Mme Michel qui tenaient une ferme au-dessus de Pont-en-Royans, que l’on appelait “Au Paradis”.

Ensuite, Ferlin avec sa barque leur faisait traverser la Bourne pour éviter le pays, ensuite il nous fallait des relais. A Sainte-Eulalie, c’était l’instituteur M. Gabayer; à Saint-Laurent, c’était M. Bonnet, le maire, qui me présenta à la Supérieure du Couvent des sourds et muets. C’est d’ailleurs elle qui, avec l’aide de Mme Eynard de Saint-Jean, confectionna et broda le fanion du 14è B.C.A. que nous devions remettre à Fayard. Ce fanion se trouve au musée de la Résistance de Romans.

A Saint-Jean-en-Royans, le relais qui était aussi le P.C. de Fayard, se trouvait au café Eynard ou Mme Nini Eynard a rendu à la Résistance d’innombrables services, sans se soucier de ce qui aurait pu lui arriver.

La route pour Ambel passait ensuite par Bouvante-le-Bas. Là encore, M. et Mme Marius Béguin, restaurateurs, nous servaient de relais et de lieu d’hébergement s’il le fallait. Eux aussi ont risqué leur vie pour notre noble cause.

Puis après, c’était Bouvante-le-Haut. Les réfractaires écrivaient toujours tard dans la nuit, je les recevais à mon domicile, une petite maison que m’avait louée M. Noël Allier. Ce denier fut un de mes premiers confidents : il hébergeait en attendant le jour les maquisards, nous leur donnions à manger. Au petit jour, nous les accompagnions à Ambel. Voici le chemin de croix terminé, ils étaient à l’abri et affectés soit à des bûcherons, soit à des câbleurs. A la ferme d’Ambel, surtout au début, il fallait qu’il y ait une certaine discipline. Je nommai donc un responsable, un homme déjà mûr, ayant la tête sur les épaules, ce fut notre camarade René Robert de Romans, actuellement président des Déportés et internés de Romans et Bourg-de-Péage. Je l’ai vu dernièrement, il m’a dit que c’était au début octobre 1942.

Je m’excuse de ne pouvoir citer tous ceux qui nous ont aidés dans notre tâche, qu’ils veuillent bien m’en excuser.

Mais il n’était pas possible de parler du camp d’Ambel, sans nommer au moins ceux qui ont fait beaucoup, avec tous les risques qu’ils encouraient.

Avant que les premiers chefs du camp d’Ambel soient disparus, il était bon d’en expliquer le fonctionnement et dire un grand merci à ces collaborateurs qui nous ont été d’un grand secours et que par ces quelques lignes, leur famille, leurs enfants, soient fiers de leurs parents. C’est le moindre hommage que nous pouvons leur rendre.

Bien entendu, sur Grenoble, Villard, Romans, Valence, etc., beaucoup ont oeuvré pour notre cause, mais il ne m’est pas possible de les citer tous et surtout parce que nous étions bien cloisonnés dans notre région. Nous n’étions que très vaguement au courant des autres secteurs de résistance.

Pour authentifier ces quelques lignes, je citerai comme témoins nos camarades Jacques, le lieutenant Vallot (Stéphen) mon collaborateur immédiat, Fernand Bellier et notre ami de la première heure M. Noël Allier de Bouvante-le-Haut.

Ensuite, l’historique du capitaine Vincent complète cet exposé. Je voudrais tout de même dire que, pour ceux qui ne comprenaient pas pourquoi nous avons continué, même après la vente aux Allemands, cette situation nous a permis de camoufler le maximum de réfractaires. Fayard reçut l’ordre de Jacques de se retirer et de se consacrer uniquement à la formation des compagnies civiles du Royans et de Romans. Vallot et moi-même, décidèrent de dire aux Allemands que Bourdeaux était malade. Tout a bien marché et je touchais tous les mois le salaire de Fayard que je lui remettais. Il travaillait donc pour la Résistance en étant payé, par les Allemands.

Cette situation me permit de faire de faux papiers, feuilles de paie, etc., à Jacques, signés par les Allemands. Par exemple je lui fis une carte d’identité sous un autre nom, accompagnée de feuilles de paie signées par les Allemands. Comme profession : cuisinier, ce qui lui permit de circuler librement.

Par la suite, après le verrouillage du Vercors, nous devions mettre à l’abri notre famille. C’est donc dans une cabane de bûcherons cédée gracieusement par M. Béguin, père de notre camarade André Béguin de Romans que nous purent cacher Mme Bourdeaux (Fayard), Mme Berthet et sa fille (Molaire) et ma femme et mes deux filles.

Après avoir vécu caché et sans manger pendant huit jours, nous avons rejoint Romans, Lyon, les Vosges, l’Alsace et l’Allemagne.

Notre contrat se terminait au moment où l’ennemi était de l’autre côté de nos frontières.

Un grand regret cependant. Ceux qui ont continué la lutte après la prise de Romans, Grenoble, Lyon, etc. sont rentrés dans leur foyer et n’ont pu se voir attribuer la Médaille de la Résistance, car lorsque nous sommes revenus, il y avait forclusion.

Même Jacques n’a pas la Médaille de la Résistance !!!

Ambel 1
Les 3 Mousquetaires d’Ambel : Brunet (Lt Pierrot), Bourdeaux (Fayard) et Valot (Lt Stephen)