Lyon
Le 3 Septembre 1944, le 11ème Cuirassiers entre dans Lyon et participe à sa libération, suite à des combats sur les bords du Rhône. Les Cuirassiers sont en position sur la rive gauche, des armes automatiques expédient des rafales de balles traçantes de l’autre côté du Rhône.
A la suite de ces combats, le 11ème Cuirassiers rentre dans son quartier de la Part-Dieu qu’il a quitté 22 mois auparavant.
L’enthousiasme de la foule est délirant, les lyonnais acclament les maquisards descendus du Vercors.
Le chef de corps, le Commandant Geyer La Thivollet embrasse l’étendard du 11ème Cuirassiers qu’il a sauvé du déshonneur en Novembre 1942. Avec un grand sang-froid a réussi l’exploit de soustraire celui-ci à la barbe des troupes allemandes venant occuper le quartier de la Part-Dieu du 11ème Régiment de Cuirassiers.
L’étendard et sa garde vient prendre sa place pour une prise d’armes. Le 2ème escadron défilera devant l’étendard et le chef de corps du 11ème Cuirassiers.
Le 11ème Régiment de Cuirassiers défile sur la Place Bellecour avec les Forces Françaises Libres ainsi que quelques unités des Forces Françaises de l’Intérieur. Le Général de Lattre De Tassigny passe les troupes en revue dans une ambiance de joie indescriptible.
Après une entrevue du Commandant Geyer avec le Général Brosset, le 11ème Cuirassiers est intégré à la 1ère Division Française Libre (D.F.L.) en prévision de la suite des combats.
Ce régiment chargé d’histoire s’est défendu sans faillir, souvent au prix de la vie de ses soldats, restant fidèle à sa devise :
Toujours au chemin de l’honneur
LYON Septembre 1944
Récit du Commandant Barberot
Les tous premiers éléments de la 1ère Armée Française qui se présentent le 3 septembre 1997 (est-ce bien le 3 septembre ? La date ne figure pas dans mes notes) devant Lyon et vont pénétrer dans la ville sont : un peloton de Fusiliers-Marins sur jeeps que commande Stanislas Mangin et beau-frère du Général Brosset) que suit à courte distance le P.C. Radio du Régiment, puis, peu après, cinq chars légers que commandent l’Enseigne de Vaisseau Barnouin (code Santos) et l’E.V. Michel Bokanowski (code Tigre).
Les équipages, fusiliers-marins, appartiennent au 1 R.F.M., unité de Reconnaissance de la 1ere D.F.L. que commande le Général Brosset.
Ils n’ont pas trouvé devant eux la moindre résistance allemande.
C’est comme ça depuis Toulon et Marseille.
Les ravitaillements en essence et en munitions n’ont pas suivi le rythme de la retraite allemande. C’est pour ça que la plus grande partie de l’armée allemande a pu échapper aux armées lancées à ses trousses.
Ce n’est pas la faute de la 1ere D.F.L. et de ses avant-gardes si la remontée de la vallée du Rhône n’a pas été une poursuite forcenée mais a pris les allures d’une promenade de vacances.
Si le peloton de Stanislas Mangin est devant Lyon le 3 septembre, c’est qu’il a pu soutirer les dernières réserves d’essence du Régiment.
Le reste du Régiment et, en particulier les chars, gros mangeurs d’essence, ont du attendre d’être ravitaillés pour partir. Mais on sait par la radio qui accompagne les jeeps que le ravitaillement est fait, que ceux-ci ont roulé toute la nuit pour rattraper le temps perdu et qu’ils ne sont plus très loin.
On ne sait rien sur Lyon. Les renseignements sont vagues et contradictoires. Y a t’il à Lyon des troupes allemandes organisées avec chars, antichars et panzerfaust ? S’il en était ainsi le peloton de jeeps ne pèserait pas lourd.
Aussi Stanie Mangin avance-t-il avec la plus grande prudence.
C’est alors que surgit, venant de Lyon (et par où est-il passé pour que Stanie Mangin n’ait rien vu ?) le Général Brosset qui l’apostrophe en riant :
“Mais, qu’est-ce que vous attendez pour foncer ? Il n’y a rien devant. J’en viens. J’ai été prendre un verre de bière dans un bistro. Et pendant ce temps, vous jouez aux Peaux-Rouges et vous avez laissé sauter les ponts”.
C’est dans le style de Diego Brosset de courir aux avant-gardes et, cette fois-ci, de les dépasser.
Tout comme Rommel qui, après la chute de Tobruk en 1942, et la retraite accélérée de la VIIIe Armée, a trouvé que son groupe blindé de pointe, le groupe Kiehl (sur matériel pris à Tobruk) ne fonçait pas assez bite, s’est fait déposer auprès de lui en Fiescher Torch, est monté dans un char et nous est tombé sur le poil au moment où le 1er bataillon de Légion Etrangère, quittant le terrain d’aviation d’El-Daba, en toute arrière garde de la Ville Armée britannique (comment l’a-t’on su ? Par Rommel lui-même dans ses mémoires “La guerre sans haine”).
C’est aussi le style de Leclerc.
C’était aussi le style et la tradition des Maréchaux et Généraux de l’Empire : Desaix à Marengo, Larmes à Essling, Murât à Eylau…
Pour en revenir à l’algarade simulée de Diego Brosset, celui-ci est de mauvaise foi. Il sait très bien que sa Reconnaissance était à 200 kilomètres de Lyon quand les ponts ont sauté et que, cette fois-ci, ce ne sont pas les bouleversements américains qui les ont détruit (comme ils l’ont fait tout au long de la Vallée du Rhône), mais les Allemands eux-mêmes pour protéger leur retraite.
Stanie Mangin a donc repris avec entrain son avance.
Tous les ponts sur le Rhône et la Saône ont sauté sauf un, le pont de l’Homme de la Roche dont, selon les sources, un F.F.I., Joseph Laval, a pu désamorcer les charges d’explosif.
C’est par ce pont que les jeeps de Stanie Mangin passent pour s’engager dans la ville.
Le P.C. Radio les suit mais s’arrête de l’autre côté du pont, à l’écoute de la radio des chars et du Régiment.
Des civils, garçons et filles, accourent auprès du scout-car et bavardent avec l’équipage.
C’est alors qu’une mitrailleuse ouvre le feu, de haut en bas, sur le scout-car (celui-ci n’est protégé que latéralement par le blindage). Ce premier tir est heureusement mal ajusté : tout le monde s’est aussitôt planqué, l’équipage dans le fond du scout-car, les autres à l’abri derrière le blindage.
Le tir d’une autre mitrailleuse prend alors le scout-car par le travers. Cette fois-ci les balles passent près et l’une entaille, comme d’un coup de rasoir, sur toute la longueur, la peau du crâne de l’opérateur radio qui ne s’est pas assez enfoncé dans la voiture. Il reste derrière le véhicule un triangle de sécurité où s’entassent les civils, mon chauffeur et moi. Les balles, qui ricochent sur les pavés, explosent en mille fragments qui vont de piquer dans les jambes des filles. Celles-ci commencent à avoir peur.
C’est une situation un peu ridicule. Les mitrailleuses tirent sur nous du haut de la colline d’en face. Il est impossible de les situer et de leur répondre. D’ailleurs répondre à qui ? A des armes allemandes ? C’est peu probable si l’on en juge par le vide absolu de toute unité allemande que nous avons trouvé devant nous. Vraisemblablement des F.F.I. ou des F.T.P. qui ne connaissent pas tous les types de véhicules américains et ont du prendre notre scout-car pour une voiture allemande.
L’opérateur radio qui suit l’avance des chars sur la carte les harcelle pour qu’ils s’accélèrent au maximum et nous tirent du piège.
L’attente est, grâce à Dieu, de courte durée.
Les chars arrivent enfin conduits par Barnouin et Bokanowski. A peine apparaissent-ils que le tir des mitrailleuses s’arrête comme par enchantement.
C’était donc bien des groupes F.F.I. ou F.T.P. qui avaient pris le scout-car pour une voiture allemande. Portant des brassards tricolores, ils nous rejoignent sur le quai.
Il fait beau. Les hommes sont en bras de chemises et blousons américains. Les équipages des chars en combinaisons. L’enseigne de vaisseau, Bauche, grand maître des ravitaillements, se promène sur le quai en chemisette et short de la VIIIe Armée. Quelle heure est-il ? Je ne lai pas noté. L’ombre portée des hommes sur le sol est à peu près la même longueur que la taille de l’homme debout. Les spécialistes pourraient préciser au vu des photos que nous avons prises ce jour là, quelle était exactement l’heure de notre entrée dans Lyon.
Dès que les chars du premier peloton sont au complet, ils franchissent à leur tour le pont et pénètrent dans la ville. Je les dirige en jeep.
Comme on ne sait toujours rien, les chars avancent d’abord avec prudence, guettant les fenêtres, les portes et les toits. De temps en temps les mitrailleuses envoient de courtes rafales sur les points suspects. Elles restent sans réponse.
Les chars sont escortés des groupes F.F.I. et F.T.P. qui nous ont rejoint au pont et qui continuent à tirailler au petit bonheur, alors que les chars ont renoncé à leurs tirs de semonce.
Au fur et à mesure que les chars avancent vers le centre, notre escorte augmente. Les maisons se vident dans la rue et les habitants se précipitent pour acclamer les marins.
Bientôt, la rue est noire de monde. La foule en délire submerge les jeeps, grimpe sur les chars, s’agrippe aux poignées, aux panneaux, aux canons et aux mitrailleuses et transforme les chars, où les robes claires des jeunes femmes dominent, en chars de carnavals.
Littéralement aveuglés par ces grappes humaines, portés par le flot, les chars échouent sur la vaste esplanade de la place Bellecour.
La foule qui nous suit est en plein délire. Surexcités par l’ambiance, certains croient voir des Allemands ou des miliciens partout. Sur les toits, dans les embrasures des portes et des fenêtres.
Des rafales partent spontanément, tirées par les groupes F.F.I. ou F.T.P. qui nous accompagnaient. Aussitôt la foule s’éparpille comme une volée de moineaux, s’engouffre sous les porches et dans les maisons. On se jette à plat ventre, le nez sur le macadam, avec le réflexe de l’autruche qui se croit protégée en plongeant la tête dans le sable.
La pétarade s’amplifie place Bellecour. La poussière que soulève l’impact des balles frappant les murs fait croire à des départs de coups. D’autres prennent ces poussières pour cibles. Les balles se perdent et tombent ailleurs où des gens qui se croient visés ripostent à leur tour. Une partie de la ville se bat contre des fantômes.
La foule passe de la joie à la peur panique. Curieuse, enthousiaste et bon enfant, elle entoure les chars, puis subitement, au départ d’une rafale reflue en désordre et s’enfuit à toutes jambes dans toutes les directions Elle ressemble à ces vols d’étourneaux qui, effarouchés, basculent d’un coup dans leurs vols. La foule qui n’était que visages, mains tendues et drapeaux, devient une foule de dos et de jambes qui s’enfuient éperdus.
Elle laisse comme des épaves ceux qui ne peuvent pas suivre. Une photo montre la place Bellecour, les chars rangés en carré, un grand vide où gisent un homme affalé entre deux béquilles, des bébés abandonnés et au loin des jambes en fuite.
Les marins sont restées dans leurs machines. Ordre de ne pas bouger et tirer pour ne pas accroître la confusion. Quelques-uns ont été chercher des chaises, des sandwichs et des bouteilles de vin dans les bistros de la place. Les chars ont roulé toute la nuit. Les hommes sont ivres de fatigue et somnolent à côté des chars.
Mais la corrida ne s’arrête pas pour autant place Bellecour vers laquelle semblent converger des groupes F.F.I. de la région qui n’ont pas participé à la pétarade et réclament leur part. La guerre se poursuit contre des cheminées, des fenêtres ouvertes, des reflets sur les vitres.
Les mitraillades ne s’arrêtent que pour reprendre frénétiquement le moment suivant. Il suffirait d’un coup de coude malencontreux pour que les rafales de ces chasseurs de fantômes fauchent la foule.
Les équipages, d’abord amusés par cette ambiance de folie collective, finissent par être exaspérés par ce désordre.
Je fais porter par les chefs de chars l’ordre de cesser le feu à tous ceux qui arborent des galons sur la place, mais personne n’obéit à personne et les groupes échappent leurs officiers. Je menace de faire évacuer la place. Les moteurs des chars sont remis en marche.
Petit à petit la fièvre tombe.
Deux toutes jeunes filles qui étaient juchées sur les chars sont rentrées avec nous, insensibles à la panique générale. Elles rient avec nous des mitraillades.
Venez avec nous, dit l’une d’elle, je sais où l’on peut trouver du vin blanc et des confitures. C’était l’épilogue de notre entrée à Lyon, “Ville ouverte”.
Aussitôt après, nous parvient l’ordre de la Division de quitter Lyon et de nous installer dans les environs dans le petit village de Vencia.
Diego Brosset, lui, a pris possession de la ville.
Devant les badauds ébahis, il a gravi en jeep le grand escalier de l’hôtel de ville et c’est en jeep qu’il est entré, en conquérant, jusque dans la salle du consul. Il a aussitôt fait apposer des proclamations partout et marqué la ville du Sceau à Croix de Lorraine de sa Division.
Le 14 septembre (nous ne serons plus là), le Commissaire de la République, Yves Farge, recevra à Lyon le Général de Gaulle.
Au Général qui lui demande : – Où sont les Corps Constitués ?
Farge répondra :
– En prison, mon Général.
Plusieurs questions concernant la Libération de Lyon restent en suspens.
Et d’abord, celle-ci : Comment la Résistance qui était si active dans la région et avait fait que Lyon avait été considérée comme Capitale de la Résistance ? N’a-t’elle pas pu empêcher les Allemands de détruire tous les ponts, à l’exception de celui de l’Homme de la Roche.
Et comment les Allemands ont-ils pu quitter Lyon en bon ordre sans être inquiétés ?
Il est certain que l’évacuation rapide, d’un coup, des troupes allemandes qui occupaient Lyon et les ponts sur le Rhône et la Saône sautant, d’ordre du commandement allemand, pour couvrir le repli des troupes, a pris de court le commandement F.F.I. de la Zone, Colonel Bayard, et que rien n’avait transpiré des intentions du commandement allemand avant que l’exécution de ses ordres ait commencé.
C’est ce qui ressort de l’ordre en date du 1er septembre du Colonel Bayard qui prescrit le nettoyage des résistances allemandes et précise que “l’assaut final ne devra être lancé qu’avec beaucoup de prudence, en cas seulement où les efforts tentés pour obtenir la reddition de l’ennemi n’aboutiraient pas.”
Les formations F.F.I. qui, le 2 septembre, en exécution de cet ordre, convergent sur Lyon et dont l’une d’entre elles, notamment, forte de 2000 hommes, constate qu’elle n’a trouvé devant elle ni obstacle ni résistance, avant d’atteindre les faubourgs de la ville, n’auront ni attendu d’obtenir la reddition de l’ennemi ni à lancer un assaut final et ne trouveront devant elles qu’une “ville ouverte” vide de tous occupants.
Que ces hommes, issus de la Résistance, F.F.I. ou F.T.P., se soient sentis frustrés de n’avoir pas pu participer par les armes à la libération de Lyon, c’est certain.
Le courage n’est pas en cause.
Nous retrouverons nombre d’entre eux dans les rangs de la D.F.L. et chez les Fusiliers-Marins.
J’en témoigne aussi pour ces hommes réorganisés en 11ème Cuirassiers-Vercors qui fut en Novembre affecté à la 1ere D.F.L. et mis sous les ordres, chaque escadron lié à son homologue marine, du 1er Régiment de Fusiliers-Marins.
Ils nous arrivaient rééquipés hâtivement avec les moyens du bord, insuffisamment dotés en armement, en liaisons radio et autres et qui n’avaient que leur courage à offrir
L’entente immédiate qui s’établit entre ces hommes qui, pour la plupart, n’avaient que 20 ans et ceux de la France Libre, comblait ces lacunes. Tous comprirent que nous partagerions avec eux les moyens dont nous étions abondamment pourvus.
Ils s’illustrèrent à nos côtés tout au long de la dure Campagne des Vosges : à Rouge Goutte, Gros Magny, Rougement-le-Château.
Pour parler d’eux, c’est à ce que j’ai dit et écrit sur eux 20 à 30 ans plus tôt que je me reporte. Je n’en change pas un mot.
“Ces garçons qui viennent du Vercors ont tellement envie de montrer qu’ils sont à la hauteur de leurs aînés, ils ont tant de confiance en nous qu’ils baignent dans un climat d’héroïsme absolument inconscient”.
La preuve nous en est donné à Rouge Goutte.
Que s’est-il passé ?
Au-delà du village que nous venons d’occuper, dont il me reste en mémoire l’image de trois soldats allemands foudroyés sur le muret qui entoure l’église, sans avoir eu le temps de tirer leurs panzerfaust, les chars de pointe butent sur une large coupure de la route battue par les tirs de mitrailleuse et par un canon de (qui va être détruit quelques instants plus tard, mais ceci est une autre histoire).
Les champs autour de la route sont inondés et impraticables.
Je demande à l’aspirant du 11ème Cuir qui est là d’envoyer une reconnaissance pour juger de l’importance de la coupure. Des bulldozer du Génie viendront la combler pendant la nuit.
L’aspirant revient et rend compte.
Incidemment je demande :
Vous n’avez pas eu trop de difficultés ? Ca s’est bien passé ?
Après une seconde d’hésitation :
Non, pas bien. Nous avons eu deux tués et quatre blessés.
Il ajoute rapidement :
-Mais nous avons ramené tout le monde.
Je sursaute :
-Vous êtes fou. J’ai demandé ces renseignements sur la coupure mais pas le prix de six personnes. Quand je vous donne un ordre, c’est à vous de voir s’il est exécutable ou non.
Que dire ? C’est à moi de leur donner des conseils de prudence et je n’y ai pas pensé : les fusiliers marins étaient habitués.
On ne s’étonne pas que je les décrive à l’époque :
“Magnifiques et sublimes Marie-Louise du Gaullisme. Ils ont tous vingt ans à peine et sont éperdus de gloire et d’héroïsme”.
Voilà qui compense l’amertume des bras vides de gloire à Lyon.
Roger Barberot
Lieutenant de Vaisseau des Fusiliers-Marins