Vercors
“Départ pour le Vercors suivant les ordres reçus du P.C. Régional.
Je deviens le chef départemental de cette région.”
Récit du Colonel GEYER LA THIVOLLET, repris par Gérard Galland
“Le Chant des Pionniers” interprété par : ??? |
Je reçois l’ordre de gagner la montagne. Je ne suis pas chaud. J’obéis. Les Cuirassiers vont rejoindre le Vercors. Je suis nommé chef départemental de cette magnifique région qui s’étend d’Ouest en Est entre la plaine de la vallée du Rhône et la route Napoléon, et du Nord au Sud, entre la vallée de l’Isère et celle de la Drôme.
Réunis une dernière fois dans la plaine, les chefs de peloton et les sous-officiers préparent le départ. Ce n’est pas simple car les avis sont divergents. Certains appréhendent la vie en montagne et désirent demeurer dans la plaine, tandis que d’autres manifestent leur joie, car ils sont persuadés que ce changement ne peut être que bénéfique pour tous les Cuirassiers. Ménageant les uns et les autres, je décide de conserver une antenne dans la plaine. Ce sera un petit noyau de cavaliers bien encadrés. Je leur donne la mission de continuer la filière de Lyon, de récupérer les jeunes recrues et de les acheminer vers le Vercors. Ces nouveaux suivront un stage d’épreuves, ce qui permettra de garder les éléments solides et de mieux les filtrer.
A cette époque, l’effectif de l’unité est à peu près celui d’un escadron. Le service auto s’est enrichi. La comptabilité est tenue par Giordan “Peugeot”, un de mes anciens, qui sait tenir une balance peu facile et en style télégraphique sur un minimum de papier. Du reste, par nécessité et prudence, il ne faut pas de papiers inutiles dans une unité totalement combattante. Les Cuirassiers sont rodés, autant par les actions menées contre eux par l’ennemi, que par leurs propres opérations offensives contre lui. L’encadrement s’est valorisé par l’expérience et par l’arrivée de bons cadres. Depuis des mois, on joue à cache-cache avec l’occupant dans une région qu’on aime et qu’on connaît bien.
La peine est grande de quitter ces forêts et tous ces habitants qui aiment “leurs soldats du maquis” comme ils disent. Après le “Berger” et Virieu, la maison Brenier et les gendarmes du Grand-Serre; il faut abandonner cette fois le père Mathieu qui guide, conseille et bouscule, parlant avec son coeur. Et puis madame Mathieu qui trouvait le moyen de faire la soupe pour tous et allait la leur porter avec sa fille Simone, admirable agent de liaison et de renseignements.
Les Cuirassiers peuvent partir; ils n’ont pas fait mentir leur devise. La preuve en est apportée par les cultivateurs qui ne font d’eux que des éloges. Ils donnaient ce qu’ils pouvaient et quand ils vendaient, ils faisaient toujours confiance à “leurs petits”. Ne prononcent-il pas ces mots qui résonnent: “Que va-t-on devenir ?” “qui va les remplacer ?”. Ils savent donc déjà que d’autres viendront. Ils ont la foi.
Tristesse du départ, mais satisfaction de sentir tant d’affection dans le coeur des habitants… Je sais maintenant que j’ai eu raison de répéter qu’une chevalerie doit naître dans le maquis et que le Cuirassier doit être un exemple; que son devoir est de protéger et de libérer et non pas d’oppresser et de piller. Maintenant il faut partir et penser que ces principes doivent être les mêmes dans la région où le destin envoie le 11ème Cuirassiers. Les dés sont jetés, C’est l’aventure et il n’est pas question de désobéir, même si j’en ai bien envie. “Alors, à cheval, en avant chargez…Le Vercors doit être sur le chemin de l’honneur”.
Il faut laisser la plaine pour la montagne après avoir fait disparaître toute trace de notre séjour dans la région. Les unités du 11ème s’apprêtent. A l’heure exacte, elles se trouvent au point de départ.
Pour atteindre le Royans au pied du Vercors, il vaut mieux éviter Romans-sur-Isère où se tient une garnison allemande dont on ne connaît pas les effectifs. Il est plus que nécessaire, il est même prudent de s’organiser pour éviter toutes les surprises que peut réserver l’allemand durant le déplacement du convoi.
Je décide donc d’éviter Romans en bifurquant à Peyrins, de gagner Saint-Nazaire et de grimper sur le plateau par les Grands-Goulets. Le convoi n’est pas très important et il est plus sûr de faire le déplacement en une seule fois, tous ensemble. Cette solution parait raisonnable pour les raisons suivantes: Si elle est osée, n’est-il pas préférable de risquer un déplacement unique, tenant compte des moyens qu’on a ? Dans un déplacement clandestin, il n’est pas indiqué de faire un convoi scindé en plusieurs petites unités car, si l’une passe sans être attaquée, il suffit qu’elle soit repérée pour que les ennuis retombent sur les suivants. Plusieurs itinéraires peuvent être empruntés évidemment, mais ici, il n’y a pas le choix. En outre les conducteurs n’ont pas de permis de conduire et les dépanneurs sont limités en nombre. En cas de panne, seule une action de masse peut permettre de surmonter les difficultés en utilisant tous les moyens dont on dispose. Ayant pesé le pour et le contre, je suis persuadé qu’il faut risquer tout en bloc, car, outre les ennuis matériels prévisibles, la force de “l’esprit cavalier” doit être prise en compte dans la balance.
Le 11ème Cuirassiers ne peut pas faire autrement que de quitter sa région en bon ordre. Ce faisant, il montre aux habitants, par sa tenue et sa discipline, qu’ils ont eu raison de l’aider et de l’aimer. Le régiment fait donc ses adieux à la population et à Dieu va ! Qui s’opposerait à une telle unité qui a la foi et a confiance en son destin ?
Evidemment, ce n’est pas sans mettre tous les atouts dans mon jeu que je prends le risque. Les cabines téléphoniques sont alertées, tout le personnel des P.T.T. est dans le coup. D’autre part, lorsqu’on se téléphone, on invente n’importe quoi dans les phrases desquelles on introduit des mots clefs permettant à notre correspondant de comprendre, et c’est curieux on se comprend toujours. Ce jour-là, les gendarmeries ne font aucune patrouille si bien que si on rencontre des gendarmes sur la route, il faut nous méfier.
Les adieux ont été faits. Le convoi est parti. Quelques cultivateurs, discrètement sont dans les buissons au bord de la route. Ils sont tout émus de savoir que “leurs pauvres petits” comme ils disent, s’en vont et qu’ils ne pensent pas les revoir un jour. Mais ils se consolent. L’idée de l’antenne qui reste dans le petit camp est excellente. Ils ne partent pas tous. Ce point sentimental nous a échappé au début, on ne croyait pas que les racines étaient si profondes.
Le contact est heureusement gardé. Le convoi part. Il est composé de huit motos, quatre camions, deux camionnettes, la voiture radio et de deux voitures légères. Il roule sur la route de Saint-Christophe-et-le-Laris à Romans-sur-Isère. Je suis en tête avec deux motocyclistes qui me précèdent pour éclairer et jalonner le circuit du convoi; deux autres ferment la marche. Les Cuirassiers sous pression, se pressent dans les véhicules. Dans ce climat de guérilla, ils sont prêts à intervenir à tout moment.
Le convoi fonce et bientôt, bifurquant à Peyrins, approche de Saint-Nazaire. Un motocycliste s’est arrêté; il attend la colonne qui le rejoint. Il se met au niveau de ma voiture que je pilote moi-même; il me rend compte qu’il a été arrêté à l’entrée du village par des gendarmes. Ces derniers lui ont demandé ses papiers. Il leur a répondu: “Demandez-les au patron qui vient derrière”. Ils ont regardé la route et vu le convoi. Sous l’oeil amusé du motard, ils ont enfourché leur bicyclette et sont partis sans insister. Le Cuirassier est tout heureux de faire ce compte-rendu rapide, puis donne les gaz et repart devant vers sa mission. Les gendarmes ne m’ont pas demandé les papiers.
Le 11ème régiment de Cuirassiers arrive dans le Vercors.
Le trajet s’effectue normalement. Saint-Eulalie et les Grands-Goulets sont en vue. Le 11ème Cuirassiers est au pied de la montagne. Il respire plus agréablement dans le froid. Beaucoup de ces hommes ne connaissent pas le Vercors et ce décor grandiose et sauvage les saisit. Ils se sentent dans une région faite pour leur combat.
L’hiver 1943-1944 est rude; il fait très froid et la montée sur le plateau devient difficile. Les routes verglacées sont dangereuses, non seulement parce qu’elles sont peu praticables, mais surtout en raison du manque d’expérience des conducteurs. Ils ont peu roulé et n’ont pas l’habitude de conduire en montagne.
Force est de nous approvisionner en essence pour pouvoir continuer la route. Ce ravitaillement en lubrifiant sera un bon exercice, car c’est l’occasion d’effectuer rapidement l’occupation d’une partie du village et de repartir aussi vite. Le carburant sera payé plus tard, on donnera un bon au pompiste pour qu’il se fasse rembourser le moment venu.
Le moral des Cuirassiers est excellent. Dans la montée, les ennuis commencent: Le Chevrolet , trop lourd, ne peut plus avancer, il patine plus que les autres, malgré le froid, les difficultés, les hommes sont détendus; le site leur donne l’impression qu’ils sont plus en sécurité que dans la plaine.
C’est à la nuit que le convoi arrive à Saint-Martin-en-Vercors. Physiquement fatigués par une expédition vraiment rude en fin de parcours, les Cuirassiers ne peuvent pas se reposer avant d’avoir camouflé avant le jour, les véhicules et le matériel.
A la ferme, devant laquelle le petit chemin des Combes aboutit, les habitants ouvrent leurs portes largement. Nous nous réfugions tous. Je me range à l’avis de la famille Reboulet. Elle veut que les hommes “mangent un peu et soufflent” avant de monter les véhicules par le chemin difficile. Il est très agréable de se trouver déjà chez des amis qui ont l’air de vous attendre alors qu’on arrive sans crier gare avec des mines plutôt patibulaires.
Madame Reboulet et son fils Léon, aidés par des Cuirassiers, s’affairent autour de la cuisinière pour préparer le repas de tout le monde. Après, le pénible travail reprend. La nuit se passe à grimper les camions et le matériel vers les Combes. Le repas très apprécié, a donné un coup de fouet sérieux aux hommes, ils avancent difficilement sur un sol verglacé; il est nécessaire de flanquer des couvertures sous les roues des véhicules pour pouvoir progresser mètre par mètre sur le sentier pour atteindre le nouveau camp. Que celui-ci leur paraît loin!….
Pendant les jours qui suivent, l’organisation et l’instruction sont menées de pair. Le P.C. s’installe à quelques centaines de mètres du camp des Combes.
C’est le 1er escadron de Roure qui occupe cette maison mise à la disposition de la Résistance par monsieur Fillet. La petite maison où j’ai installé mon P.C. appartient à monsieur Maréchal de Saint-Martin-en-Vercors. Elle est reliée par téléphone avec l’escadron Roure. Le site domine la grande coulée de Saint-Martin et protège les Cuirassiers.
L’ancien chef militaire départemental vient au rendez-vous prévu pour faire un tour d’horizon avec moi qui suis son successeur. Il m’expose la situation. Elle se résume ainsi: En zone Nord du Vercors, il existe deux camps d’une trentaine d’hommes chacun. En zone Sud, un autre camp du même effectif est installé au col du Rousset et enfin un petit élément qui se situe dans la forêt de Lente. Il y a bien aussi un groupe qui, dit-il “incommandable et très indépendant”, circule un peu partout et fait et va où il veut. En résumé, il y a quelques camps, quelque chose d’insaisissable et des compagnies qu’il sait être constituées, mais sur le papier. Ce sont les compagnies civiles. Des commandos relevant de l’autorité civile agissent dans les villes de Grenoble et de Romans. Les deux chefs, l’ancien et le nouveau, vont inspecter quelques unités et se séparent. Les consignes sont passées. Ils se souhaitent bonne chance.
Quelques jours plus tard, le chef civil vient prendre contact avec moi. Ainsi est faite la liaison qui permet de mettre au point les rôles respectifs et d’échanger des idées sur la manière d’organiser des actions futures. Il parait nécessaire de réorganiser et de mettre en valeur les forces qui semblent en avoir grand besoin. Comme j’ai deux fonctions: chef départemental et de commandant du 11ème Cuirassiers, je considère que ce dernier , avec sa centaine d’hommes, apportera un solide appoint à la mise en place de la nouvelle organisation que je suis résolu à mettre en place. J’expose mes vues désirant que toutes les parties parlent le même langage, insistant sur la mission qui m’a été confiée par le commandement de la région RI et sur les buts qu’il faut que j’atteigne. Le commandement de la région m’a nommé chef départemental pour faire l’unité du Vercors qui est situé à cheval sur les deux départements. Pour remplir cette mission, il est indispensable de fonctionner en équipes soudées. Il faut aller vite et cependant, il faut tout de même un minimum de temps pour s’organiser valablement.
Les événements paraissent se précipiter. Si je suis si pressant, c’est que, dans l’intérêt de la mission, je veux lutter contre lenteurs et incompréhension. Je juge que l’action doit être commune si on veut réaliser un agencement militaire qui se tient. Je désire voir sur le terrain les fameuses compagnies civiles qui figurent sur le papier. Le principe de l’unité d’action est adopté. Les bureaux travailleront en étroites liaison. Un pas vient d’être franchi, mais il est insuffisant. Les bureaux fusionnent, mais en réalité, ils ne font que se rapprocher. Cette lenteur à comprendre est néfaste car les événements, eux, galopent.
Sur le plan commandement, l’entente semble exister. Sur le plan militaire, plusieurs indices révèlent un certain malaise; le désaccord, sans être violent, est sensible. Pourtant il est logique qu’un chef désire voir les troupes qu’il est censé commander sur le terrain, comme il est naturel que les troupes connaissent le chef qui les commandera en cas de coup dur.
Cette question est un point de friction regrettable qui alourdit l’atmosphère. Cependant, il faut instruire les cadres et la troupe. Les combats de guérilla s’apprennent. L’évolution des armes et des munitions demande que les maquisards soient mis au courant des transformations survenues depuis leur service militaire et naturellement ceux plus jeunes, qui n’ont jamais été au service; car si certains ont déjà baroudé, il existe des éléments qui n’ont jamais fait le coup de feu. Il est indispensable de les instruire sans perdre de temps. Les cadres et la troupe ne doivent rien ignorer du feu et de la manoeuvre. “Goderville” comprend le problème et vient souvent en discuter avec moi. Il accompagne ses hommes qui viennent suivre l’instruction dans les camps du 11ème Cuirassiers. Malheureusement, j’estime que ce n’est pas suffisant; c’est une opération de masse qu’il faudrait faire. Je me pose la question de savoir pourquoi elle est systématiquement freinée.
Ces faits, bien que liés partiellement à l’histoire du régiment, méritent d’être précisés et devront être traités en d’autres occasions.
En ce mois de janvier 1944, l’effort se porte donc sur l’organisation du plateau que je mène de front avec la marche normale du 11ème Cuirassiers qui continue sur sa lancée. La liaison avec la plaine reste tout à fait valable. Elle fonctionne admirablement. Les recrues montent par le car qui est sous le contrôle des résistants. Toute personne suspecte est signalée et surveillée. Les effectifs augmentent. Ils peuvent être armés grâce aux nombreux parachutages reçus. En outre, des cadres solides venant du régiment, des chantiers de jeunesse, de différentes organisations nous ont rejoints par la filière de la plaine.
Des escadrons se forment et prennent vite les traditions du régiment qui cristallise autour de lui toutes les bonnes volontés. Son originalité attire. Les Cuirassiers ont troqué le cheval pour les skis. Dans la montagne, il faut bien se servir du seul moyen possible l’hiver. Sportivement, ils font leur devoir sans vouloir égaler, dans cette spécialité, les chasseurs alpins du 6ème B.C.A. Ceux-ci sont peut-être brillants à skis, mais ils seraient sans doute que de bien piètres cow-boys si on les hissait sur des chevaux.
Le P.C. du 11ème Cuirassiers est toujours installé à Saint-Martin qui est l’épicentre du Vercors. Ce village semble être le donjon de l’immense château, repaire fortifié de la résistance. Autour de ce bastion, la zone Nord et Sud. La zone Nord s’étend de la Goule Noire vers Grenoble. Elle a pour centres principaux: Villard-de-Lans, Méaudre, Autrans. La zone Sud s’allonge des Barraques-en-Vercors vers le col du Rousset qui domine le Diois. Le Trièves s’accrochera plus tard au Vercors. Dans la zone Sud dont les centres sont la Chapelle-en-Vercors, Vassieux-en-Vercors et de grandes forêts, celle de Lente et celle de la Domaniale. Au pied de Lente, le Royans avec Saint-Jean-en-Royans et Pont-en-Royans. L’accès du plateau ne peut se faire que par un nombre de routes réduit et par de petits sentiers qui, par les “Pas”, mènent sur le plateau du Vercors. Sur le plan militaire, il suffit de peu de monde pour interdire l’accès des Pas, mais étant donné leur nombre, le problème est tout autre.
En ce début de l’année 1944, le commandement de la zone Nord est sous les ordres de Ruettar, tandis que celle du Sud est répartie en territoires de chasse dans lesquels les unités occupent des points sensibles. Le commandant du 11ème Cuirassiers est le chef départemental du Vercors. Mon P.C. est donc installé à Saint-Martin et le 11ème, réparti par escadron. Ce régiment a gardé ses traditions et son esprit de corps. On parle de camp, mais le camp, c’est le peloton. Plusieurs pelotons forment un escadron commandé par un chef qui n’est pas toujours capitaine,. Il y a peu d’officiers. La résistance est obligée de faire lever ses propres chefs; c’est l’une de ses actions les plus méritoires. Elle rappelle le temps du petit caporal, des grognards de la Garde et des Marie-Louise de l’époque où Napoléon disait avec raison:
” On fait de grandes choses avec des gens peu instruits, encadrés par des chefs qui pigent, et qui croient en ce qu’ils font. ”
J’ai la chance d’avoir sous mon commandement de jeunes officiers et des Cuirassiers “fanas”, hommes vieux et jeunes ayant du caractère. Tous croient en la grandeur de la cause pour laquelle ils se battent. Ils sont simples, directs, volontaires. Dans ces conditions, tous les espoirs sont permis. Les plus nobles sentiments viennent toujours des âmes simples. Et puis, les carabiniers sont dans l’esprit de ces Cuirassiers qui sont dans le Vercors et qui continuent d’écrire: ” Toujours au chemin de l’Honneur “, dans une page de leur histoire que ce soit dans la montagne ou ailleurs.
Le 18 janvier 1944, l’alerte nous donne la certitude que la tranquillité n’est pas plus assurée dans la montagne que dans la plaine. Il y a pourtant une différence que tous ont sentie. Il nous semble que le terrain se prête mieux à la guérilla, qu’il est, par excellence, celui du maquisard. Ce milieu nous permet de risquer plus, tout en nous jouant plus efficacement de l’ennemi.
L’officier de renseignements, le Lieutenant François, rend compte qu’une voiture allemande est à la Chapelle. Elle est conduite par un chauffeur français requis. Quatre Allemands sont dans la voiture. Ce sont des personnalités. Le système d’alerte joue et les souricières fonctionnent. La voiture ne redescend pas dans la plaine. Le chauffeur est blessé ; deux Allemands sont tués et les deux autres sont faits prisonniers. Le conducteur requis est soigné à l’hôpital de Saint-Martin et décide de rester au maquis. Sa famille vient le rejoindre.
Les Allemands prisonniers, amenés à mon P.C., sont surpris de trouver une garde impeccable, de voir un local correct. Plus encore, en regardant le mur derrière mon bureau, ils découvrent le pavillon français sur lequel sont appliqués trois “France” : celle de 1870 avec l’Alsace en moins, celle de 1918 où l’Alsace a réintégré sa place dans la communauté française, et enfin, la troisième, celle de 1940, sans frontière avec seulement une flèche qui marque d’un trait énergique la direction de l’Est. Avant d’entrer dans mon bureau, le jeune Pierre Durand s’est empressé de leur dire de bien essuyer leurs pieds, tout simplement parce que le paillasson est enveloppé dans un drapeau à croix gammée de la feld-gendarmerie et qu’ils sont obligés de piétiner celui-ci avant d’entrer.
Ces détails, sans valeur avec le recul du temps, en avaient une très grande à cette époque d’humiliation nationale. Peut-être entretenaient-ils le moral et contribuaient-ils à garder une petite flamme d’espoir ?
le 20 janvier, soit deux jours après, une deuxième voiture monte par les Grands Goulets. Elle est signalée. Elle vient sans doute rechercher celle qui n’est pas redescendue. Quatre feld-gendarmes, reconnaissables à leur collier et plaque posée sur leur poitrine, sont chargés de cette mission. La souricière fonctionne. Il y a trois tués et un prisonnier.
Le 22 janvier, une colonne allemande doit être chargée d’enquêter sur la disparition de ces deux voitures car elle se promène sur le plateau. Le problème n’est plus le même et je demande que soit appliquée la tactique qui m’est chère: la tactique du vide. Je donne l’ordre d’évacuer les cantonnements de manière à faire croire à l’Allemand, qu’il n’y a absolument rien d’organisé dans le Vercors. Il faut laisser l’Allemand se promener à loisir.
Les camps du 11ème Cuirassiers appliquent intégralement les ordres que j’ai donnés. C’était sans compter sur le petit groupe incontrôlable dont l’ancien chef départemental m’avait prévenu qu’il était “incommandable”. Ce dernier groupe attaque le convoi ennemi. Par la suite, il s’est justifié en disant que le système des souricières faisait l’objet d’un ordre permanent et que c’est pour cette raison qu’il a, tout à fait logiquement, appliqué cet ordre. L’accrochage est sérieux. Un escadron du 11ème Cuirassiers va sur les lieux est intervient pour régler la question. Si les Allemands ont perdu cinq tués et une trentaine de blessés, le régiment perd un excellent officier en la personne du Lieutenant André Roure. Il tombe sur la colonne allemande qui se dirigeait vers La Chapelle. Il se fait tuer. Outre deux cavaliers du 1er escadron, Jacques et Louis Bouchier ont échappé miraculeusement à l’accrochage. Tous deux accompagnaient Roure dans sa mission.
En représailles, les Allemands brûlent le village du Rousset et des Barraques-en-Vercors avant de quitter le plateau. Il est regrettable que la nuit ne les ait pas surpris. Le brave Fabien Rey dit “Blaireau”, très aimé par les Cuirassiers, a fait, ce jour-là, un très bon travail. “Blaireau” est une figure emblématique du Vercors. Par ses renseignements, son dévouement exceptionnel, il a brillamment servi la cause qu’il défendait. De lui, les Cuirassiers disaient: ” Il est sourcier, poète et un peu sorcier”.
Le Lieutenant André Roure était un excellent officier, plein d’idéal et d’enthousiasme. Jeune Saint-Cyrien, il était arrivé tout au début, dans le maquis du Grand-Serre. Il s’était immédiatement imposé à ses hommes par son allant et son courage. En premier lieu, soucieux du rôle social de l’officier, il était devenu très rapidement, un exemple pour eux. Il se faisait respecter par un escadron qui appréciait chez ce meneur d’hommes, les qualités rares de son caractère. Dur pour lui-même, bon pour les autres, mais exigeant et juste. Sa mort a frappé particulièrement son unité qui fera payer cher la perte de son chef.
Sur son carnet personnel, la grandeur de ses sentiments marque sa vie au point que l’on peut écrire qu’il était trop bien. Des hommes comme lui sont trop peu nombreux car ils sont exceptionnels.
Citons quelques unes de ses pensées:
“J’ai prié pour demander de saisir toute l’exigence et la grandeur d’âme, de sacrifice et de pureté de ligne de mon métier…Il n’y a pas de métier, il n’y a pas de vocation. On ne peut pas jouer sur tous les tableaux. Il faut porter en soi une image de sa destinée et lui obéir. Et qui dit choix, dit aussi risque et immolation… “.
“La question militaire doit toujours rester la préoccupation essentielle, avec la force d’âme du chef indifférent à la gloire. Le chef celui qui veut rester la merveille créée par Dieu et rachetée par Jésus. Le chef par opposition à la masse amorphe qui ne sait pas se maîtriser, est celui qui cherche les besoins de ses frères…”.
Et, en tournant un peu plus loin les feuillets de son carnet:
“Mon Dieu, descendez dans l’âme de mes petits gars: qu’ils comprennent votre amour et votre Force…Aidez-moi à les aimer avec clairvoyance, à faire d’eux des soldats capables de sacrifice, endurants à la peine, joyeux et bons camarades. Que l’effort ne soit pas pour eux une punition, mais un signe de volonté…. ”
Il suffit de lire ces quelques lignes pour bien situer Roure dans la catégorie de ceux qui ont le droit de devenir des chefs.
C’est Maurice Bourgeois qui remplace André Roure à la tête de son magnifique escadron. Alors que ce dernier était au 11ème Cuirassiers au quartier de la Part-Dieu à Lyon, jeune sous-officier, il préparait Saumur. C’est le genre de grognard de l’Empire qui prétend que ses hommes doivent être brisés, qui se rend compte qu’il ne peut pas le faire. Il est toujours cinq longueurs devant eux. C’est le “monsieur” qu’il faut pour un tel commandement au moment où l’ennemi devient très agressif partout et n’importe où, comme un chien enragé. La prudence doit redoubler, bien qu’il soit difficile de l’obtenir de la part de tous ces jeunes qui ne réfléchissent pas plus loin que “le bout de leur nez”.
Il faut que nous leur fassions dépenser leur énergie. Il faut qu’ils se dépensent tout en s’instruisant; que j’arrive à entretenir leur esprit combatif. Il faut les diriger, les canaliser par des coups de main bien préparés qui leur donnent l’occasion de se mesurer. L’accent est mis sur la recherche du renseignement, la précision de la mission et, par ce moyen, modérant leurs élans, on obtient l’équilibre indispensable pour accomplir des actions réussies.
De nombreux corps francs sont lancés dans la plaine. Ils sont de faible effectif et par conséquent très fluides et mobiles. Sortant de leurs repaires, ils attaquent loin des agglomérations par crainte de représailles sur la population, puis rentrent, la mission terminée. C’est ainsi que le 10 février 1944, une patrouille allemande effectuant une reconnaissance est anéantie. Elle a cinq morts et plusieurs blessés. Sur la route d’Auberive-en-Royans, une voiture de feld-gendarmerie a trois blessés et sa voiture détruite. Le but de la manoeuvre est de piquer comme des moustiques, puis de disparaître. De multiples opérations de ce genre, faites soit à courte, soit à longue portée, sont payantes. Le rendement est maximum et les volontaires sont de plus en plus nombreux à participer à ces commandos malgré les risques croissants qui ont pour effet de les stimuler. En fait, l’esprit offensif se développe à pas de géant. Ce devient une punition que de ne pas être désigné pour faire partie du coup de main prévu.
C’est en mars 1944 que le commandement de la région, basé à Lyon, prend la décision d’envoyer quelques officiers pour installer l’état-major régional dans le Vercors. Il choisit le village de Saint-Julien, ce que je ne trouve pas très heureux. L’état-major est en position avancée par rapport au cantonnement de l’escadron Bourgeois. Ce dernier n’est pas très éloigné de l’E.M., mais je juge dangereuse cette position, située en direction de la Goule Noire où passe la route qui va à Grenoble par Villard-de-Lans, Méaudre et Autrans, car elle n’a aucune protection. Pour cette raison, le 11ème Cuirassiers détache quelques hommes, composés des jeunes qui ont besoin de se roder, pour renforcer la sécurité propre du Q.G. Les Cuirassiers ont eu le même apprentissage à faire lorsqu’ils sont arrivés, tout confiants, dans un site qui donne l’impression de la sécurité totale, alors qu’elle est toute relative.
Les paysans de la région se plaignent très vite de certains “nouveaux”. Ils parlent trop disent-ils:
“Nous ne les connaissons pas et ils viennent chercher du ravitaillement pour le Q.G., mais qu’est-ce que sait le Q.G. ?”
Des ordres sont donnés en conséquence et tout rentre dans l’ordre très rapidement. On ne s’improvise pas maquisard. C’est un métier qui s’apprend; en outre, les Chasseurs arrivent, c’est le noyau du 6ème bataillon de Chasseurs Alpins que le commandant de Reyniès a décidé de reformer dans le Vercors. Il y a eu la sombre affaire de Malleval et la visite du commandant qui me confie son intention de reformer son bataillon. Il m’enverra les premiers et les autres rejoindront au fur et à mesure. Il est entendu qu’ils se colleront aux Cuirassiers. Ils sont sympathiques ces Chasseurs-Alpins. Ils ne sont qu’une quinzaine. Pour toute la logistique, l’instruction, il est entendu qu’ils seront provisoirement intégrés aux gars du 11ème Cuirassiers en attendant que leur bataillon s’étoffe. Malheureusement, celui-ci ne grossit pas vite et les Chasseurs-Alpins présents sont déçus de ne pas voir monter leurs officiers et leurs camarades; ils ont très vite envie de se faire Cuirassiers. Je m’y oppose et décide de leur donner la mission de peloton de protection de mon P.C. le début de cette section de Chasseurs-Alpins. Ces hommes seront bientôt sous le commandement d’un officier de valeur: le Lieutenant Chabal.
Le mois de mars se présente sous des aspects tragiques. C’est l’attaque par surprise du Q.G. régional due à une défaillance du service de renseignements. La voiture de liaison qui devait avertir le Q.G., s’est heurtée à une colonne allemande. Elle s’est fait mitrailler. Les agents de liaison n’ont pas pu prévenir le Q.G. et c’est le drame.
De très bonne heure, les troupes allemandes se ruent sur Saint-Julien tuant trois officiers d’état-major dont le capitaine Guigou et trois Cuirassiers du groupe de protection. Des civils sont torturés et fusillés. Le Q.G. brûle ainsi que quelques fermes. L’escadron Bourgeois donne l’alerte et mène une action retardatrice tandis que mon P.C. se déplace au-dessus des Goulets où je m’installe. La ferme du camp Bourgeois brûle. Le Q.G. Vercors saute. Les Allemands ont une dizaine de tués et de nombreux blessés. Le 11ème Cuirassiers déplore la mort de ses trois détachés au Quartier Général.
Je suis durement touché par la mort de Guigou avec qui, la veille, j’avais travaillé tard dans la nuit. Je lui avais proposé de rester avec moi à mon P.C. étant donné l’heure tardive; mais il avait refusé car il souhaitait partir à la pointe du jour pour Lyon et voulait terminer un travail avant de s’en aller. Les Allemands ont fait irruption et trois officiers de valeur disparaissent ainsi, laissant dans la tristesse profonde ceux qui ont apprécié leur courage et leur franche camaraderie.
Les Allemands quittent le plateau après avoir marqué le bétail qu’ils ont l’intention de venir chercher. On ne sait pas quand, peut-être le jour suivant ? C’est inquiétant. Les parachutages sont de plus en plus fréquents. Les Cuirassiers sont de plus en plus rodés et suivent avec un intérêt croissant les différentes phases des opérations, depuis la réception du message jusqu’au parachutage. Le message correspondant au terrain passe généralement le matin à 11 heures. Il est confirmé le soir, ce qui veut dire qu’il aura lieu dans la nuit. Les équipes sont à pied d’oeuvre sur le terrain. Tout est prêt vers minuit. C’est l’attente avec une impatience qui grandit. L’espoir est source d’enthousiasme. Il est plus grand lorsque la lune est au rendez-vous. Cette situation favorable permet une préparation plus rapide des feux et les équipes de protection sont plus vite en place. Les porteurs de torches électriques sont à leur emplacement, tandis que d’autres font des tas de brindilles à proximité des emplacements des feux pour les alimenter rapidement à la dernière minute. Le soir en question, les avions sont en retard. La nervosité gagne les hommes qui ne cachent pas leur déception.
Je vais à ski de l’un à l’autre porter la bonne parole en espérant moi-même que nous entendrons bientôt le ronflement sympathique des moteurs. Cinq avions doivent venir ce soir. Enfin, voilà le premier qui fait rapidement un tour de reconnaissance du terrain. Les feux s’allument. Fonçant d’une équipe à l’autre, glissant sur mes planches tout en regardant le ciel, je cogne contre un tas de bois ramassé pour l’entretien des feux qui font naître des ombres dansantes, et je m’étale de tout mon long dans la neige; au moment où, cloué au sol, l’avion largue en chute libre des paniers de chaussures. Il me semble que je suis devenu une cible à atteindre. Je suis admirablement encadré si j’en juge par les impacts que font les paniers de “godasses” dans la neige. Cette situation est sans conséquence; elle serait plutôt amusante malgré la peur rétrospective. L’avion disparaît dans la nuit. Les autres suivent et le parachutage s’effectue avec précision et célérité. Le matériel est ramassé. Les containers sont transportés sur un traîneau attelé à un cheval que la famille Reboulet a mis à la disposition des Cuirassiers. Ce véhicule est conduit par le fils Léon, qui est maintenant un Cuirassier à part entière.
Le jour de l’attaque du Q.G, le message est passé à la radio. La situation est inquiétante car si les Allemands reviennent le lendemain, il faut avoir le temps de cacher le matériel. D’autre part, dans le cas où ils demeureraient sur le plateau, il n’y a aucune possibilité de faire annuler l’opération. Dans ce cas, il faudrait défendre ce qui tombe du ciel. Il faut souhaiter que les avions ne largueront rien puisque nous serons dans l’impossibilité de baliser le terrain. Après une dure journée, alors que la nuit tombe, l’inquiétude renaît; l’esprit des maquisards est tendu. Des patrouilles sont envoyées aux renseignements. Elles rapportent la certitude que l’ennemi est reparti à Grenoble. Malgré tout, il faut être très prudent car ce dernier a prévenu qu’il reviendrait pour ratisser le terrain et prendre le bétail qu’il a fait marquer.
Le message est confirmé. Le parachutage se fera donc. Ironie du sort, le message est libellé: “Les cavaliers sont toujours là”. Effectivement, ils seront là quoi qu’il arrive; malgré tout, ils espèrent que l’opération n’aura pas lieu en raison de l’insécurité qui règne. Si l’état d’alerte est de règle, le terrain de Saint-Martin ne sera pas balisé et le contact ne sera pas pris avec le leader du “squadron” des avions: il prendra alors la décision d’aller parachuter son matériel sur un autre terrain, prévu dans ce cas de figure.
L’inquiétude grandit au fur et à mesure que le temps passe. Elle augmente quand, de retour de Saint-Julien, où se sont déroulés les atrocités du matin précédent, j’exprime mon angoisse. Je suis persuadé que les avions parachuteront, que le terrain soit balisé ou pas, car le Q.G., le camp des Combes et le chalet du P.C. brûlent toujours et sont sur une même ligne. Le pilote leader s’étonnera du manque de liaison par signaux, mais parachutera malgré tout en prenant ces incendies comme signes l’autorisant à déclencher l’opération de largage. Il faut le prévoir, d’autant plus que le terrain habituel n’est situé qu’à quelques centaines de mètres de ces incendies.
L’attente est nerveusement pénible. Toutes les mesures sont prises pour que le matériel soit enlevé malgré les difficultés imposées par les circonstances. Le risque doit être couru. Il faut souhaiter que le vent aidant, les containers ne se posent pas dans le village de Saint-Martin, dominé par ces trois incendies qui représentent la hauteur du triangle de balisage.
Le parachutage s’effectue avec énormément de chance. Non seulement le vent nous est favorable, mais les parachutes poussés par lui, se rangent à portée de chargement, le long de la route allant de Saint-Martin à Saint-Julien-en-Vercors. Le ramassage et l’évacuation du matériel est sérieusement simplifié. Les équipes travaillent toute la nuit; cette dernière s’est rapidement écoulée en accomplissant ce tour de force. L’Allemand peut remonter et ratisser le coin, il ne trouvera pas trace du parachutage. La chance est bonne quand elle est au rendez-vous. Les Cuirassiers l’y ont trouvée ce soir-là, car les avions ont réussi un parachutage dans un “mouchoir de poche”.
L’opération est terminée, les unités regagnent leurs cantonnements respectifs tandis que l’escadron Bourgeois, dans l’obligation d’abandonner le sien, s’installe dans la forêt de Lente. Le P.C. trouve asile à la ferme Gauthier, puis au Rimet; excellent observatoire dominant le Royans et bien placé pour les liaisons intérieures. J’ai toujours le petit groupe de Chasseurs Alpins. Ils ne sont encore qu’une quinzaine de soldats fidèles qui ont pour mission d’assurer la protection rapprochée de mon P.C. Nous avons aussi au P.C. un groupe de Cuirassiers comprenant les agents de liaison et les chauffeurs. D’autre part, l’escadron Bourgeois n’est pas très éloigné de mon P.C.
De petits postes sont installés comme sonnettes. La sentinelle la plus proche du P.C. est sur un rocher qui domine la vallée. C’est un ancien qui s’appelle Amadéo del Postal dit “Montanet” qui est en faction. Il signale un bruit insolite dans le brouillard du matin. Je bondis vers son poste avec quelques officiers et hommes du P.C.
“Montanet” vient de tirer une rafale sur une masse sombre qui fonce dans le brouillard. Cette masse est à peine à la hauteur du rocher où il se tient en sentinelle. C’est un avion allemand sur lequel il a tiré. Craignant une méprise regrettable, je le lui fais préciser. Mais le Cuirassier est formel, il a bien vu la croix gammée sous les ailes. Il n’a pas le temps de me donner de plus amples explications, une explosion se fait entendre dans le lointain. J’entraîne immédiatement un commando avec moi pour aller vérifier les dire de “Montanet”. Nous trouvons les restes d’un appareil allemand. Nous en avons la certitude car la croix gammée est visible. Le corps déchiqueté du pilote est mis dans un manteau. Sur ses papiers que nous avons trouvés dans sa veste de vol, nous trouvons indiqués, son nom, son âge et son ordre de mission. Il est très jeune et déjà pilote. Il avait pour mission de ramener seul cet appareil. Il a dû s’égarer et quitter la vallée du Rhône pour venir se perdre dans le Vercors, à basse altitude et dans le brouillard. Il s’est écrasé contre les falaises. On constate des impacts de balle sur la carlingue démolie. “Montanet” l’a donc touché, mais volant à si basse altitude, il ne pouvait que se fracasser contre le rocher. Nous enterrons ce jeune pilote à l’endroit où l’avion s’est abîmé, dans la forêt de Lente. Il a droit aux honneurs militaires et nous inscrivons sur une croix de fortune ces mots: “Inhumé par les soins de la Résistance française”.
Cet événement a seulement rompu le calme revenu. L’instruction est reprise. “Goderville” vient de plus en plus à nos séances de formation de cadre avec des jeunes susceptibles de faire des gradés. A la fin du stage, un examen de chef de peloton ou de section est prévu. Un brevet est délivré par une commission normalement constituée aux jeunes satisfaisant aux questions d’un examen très sérieux. Mais ces stages ne ralentissent pas les actions habituelles. Les patrouilles, les missions de liaison, de reconnaissances et de renseignements continuent. Elles restent très actives et permettent de maintenir le moral et l’esprit combatif des Cuirassiers. Yves Beeseau est toujours volontaire pour toutes les missions. Il rapporte souvent de précieux “tuyaux”. C’est ainsi, qu’un jour, il nous avertit de l’existence à Romans d’un camp de prisonniers Russes. Il précise que ce sont des Cosaques et que ceux-ci ont leurs chevaux avec eux. Au dire de son ami Paul qui est en rapport avec ces prisonniers, ils désireraient rejoindre le maquis. Ils seraient au moins une trentaine à ce que dit Paul. Yves me demande la faveur d’aller vérifier cette information. Je lui donne carte blanche pour tirer cette affaire au clair.
Il part immédiatement pour Romans. Quarante huit heures plus tard, il est de retour sur une magnifique cavale baie brune. Avant que je puisse l’interroger, il me dit:
“Elle est à vous, je suis heureux de vous l’offrir, je vous en fais cadeau.”
Et il me raconte l’histoire, son histoire, qui tient plus du roman que du simple compte-rendu.
Arrivé à Romans, il a pris contact avec Paul. Il a été convaincu; il a la certitude que trente neuf Russes sont détenus prisonniers par les Allemands et gardés à Romans. Ils ont leurs montures, car on sait que tout bon Cosaque ne se sépare jamais de son cheval. Alors, Yves va sur les lieux pour observer et se rendre compte. C’est un magnifique cavalier; en outre il monte remarquablement, il est très attiré par les chevaux. Il le prouve. Se trouvant aux écuries où les Russes travaillent sous la surveillance des Allemands, il pense qu’il a la possibilité de pénétrer dans celles-ci, d’y aller au culot et de faire comme il le dit lui-même “un coup fumant”. Il entre délibérément en brandissant son colt à la main en hurlant:
“Mes hommes sont dehors, que personne ne bouge ni n’appelle !” Puis son regard se porte sur une jolie jument, il ajoute: “Sellez celle-là !”
Ce qui se fait très vite: Un sur les poignées, puis deux en selle, il sort des écuries, traverse Romans et gagne rapidement le Vercors. Tout heureux, il arrive au Rimet offrir son cadeau. Bien sûr, il est félicité, mais autant semoncé. Je pardonne toujours. J’oublie quelquefois. Yves est doublement pardonné. Il a fait un exploit si simplement, qu’on est obligé de reconnaître qu’il a rempli sa mission mieux que prévu.
Mais il n’est pas satisfait. A juste titre, il considère que sa mission n’est qu’à moitié remplie. Il prétend être certain des renseignements qu’il détient: Les Russes veulent absolument faire partie de la Résistance Française. Aussi demande-t-il à remplir la seconde partie de celle-ci, qui consiste à libérer les Cosaques.
“Si vous m’accordez la permission de redescendre, je vous ramène tout le monde.”
Je lui donne mon accord et il repart pour la ville. Quelques jours se passent. C’est normal. Il faut lui laisser le temps. Le délai semble raisonnable et personne ne s’en inquiète. Enfin, il revient. Il est fort désappointé. Il est accompagné par un jeune officier Russe, le Lieutenant Serge. L’opération est un échec. Il a manqué de peu réussir sa mission. On ne saura jamais si c’est un malheureux concours de circonstances ou si les Allemands ont éventé l’affaire; mais cette explication parait peu crédible. Il est plus vraisemblable que ceux-ci ont décidé de changer normalement les prisonniers Cosaques de leur camp. Le hasard doit être le seul responsable de l’échec de Yves.
En effet, sans crier gare, le détachement a été embarqué dans un train qui a quitté Romans. Yves, alerté, s’est précipité à la gare et a assisté impuissant au départ du convoi. L’officier Russe l’a aperçu sur le quai. Il s’est jeté au bas de son wagon. Il a rejoint Yves et le maquis du Vercors avec lui.
Le Lieutenant Serge est un garçon sympathique. De ce jour, il intègre le 11ème Cuirassiers. Il ne quittera celui-ci qu’en Alsace pour rejoindre son pays. C’est un beau baroudeur; son départ ne se fit pas sans regrets. La camaraderie du feu avait fait son oeuvre. Pour l’instant, il est au Rimet. Yves a le privilège de me le présenter. Soudain, nous le voyons se précipiter au cou de la belle jument baie que Yves tient par la rêne; lui prodiguer une affection désordonnée, l’appelant “EMMA”. C’est ainsi que nous connaîtrons le nom de la jument que Yves nous a amenée quelques jours avant. Serge nous apprend aussi que son propriétaire n’était autre que le Général et qu’elle avait participé aux combats de Stalingrad. Yves n’est pas peu fier du choix qu’il a fait. Cette jument est vraiment très belle et “Boucaro” n’est plus seul. Cet épisode se déroulait fin mars 1944.
L’échec de Yves Beeseau est bien dû au hasard. Nous apprenons par un agent de renseignements que les Allemands s’apprêtaient à enlever les chevaux de Bayanne, suivant de quelques jours le transfert des Cosaques. Yves est hors de lui; il veut absolument les arracher aux mains des ravisseurs. Pour accomplir cette mission, il trouve de bons arguments: “Il nous faut beaucoup de chevaux pour faire des liaisons plus rapides avec bien moins de fatigue.”
Finalement, il part et revient avec six chevaux harnachés qui seront effectivement très utiles pour les liaisons. En récompense il a reçu le cheval de son choix. Lui affecter un cheval d’armes est la plus belle récompense qu’on puisse lui donner.
Depuis le début de l’année, la vie du 11ème Cuirassiers est marquée par de multiples aventures survenues à l’un ou a l’autre; si bien que l’ont peut en remplir un recueil. J’en citerai quelques unes, prises au hasard.
Peu de temps avant de quitter le camps des Combes, le Cuirassiers de faction conduit un prêtre à mon P.C. Celui-ci veut à tout prix se renseigner sur le maquis. Je le reçois. Il me dit qu’il est curé d’un petit village, qu’il estime que son devoir est de rejoindre les camps où on a besoin de lui.
Ses supérieurs hiérarchiques le lui ont interdit parce que, d’après eux, il n’y a que des “voyous” dans ces camps. Il vient se rendre compte par lui même avant de prendre sa décision ferme. Dans la clandestinité, tout le monde est suspect, même quand un monsieur porte la soutane. Cependant, à priori, j’accorde toujours ma confiance à un prêtre. Je lui prête des skis et l’invite à visiter le camp des Combes avec moi, afin de lui montrer l’escadron le plus proche. De loin, les visiteurs que nous sommes, peuvent apercevoir une garde qui se forme comme à l’habitude pour me rendre les honneurs. L’inspection de la garde est passée et la visite du cantonnement commence sous les yeux émerveillés du prêtre qui s’entretient avec les uns et les autres.
La sympathie est réciproque et le prêtre affirme qu’il sera de retour dans trois jours, qu’on le veuille ou non.
Deux jours après, il est de retour. Il a revêtu la tenue de tout le monde et présente ses papiers: “J’ai décidé de venir avec vous envers et contre tout. Je suis officier de réserve, confiez-moi un peloton; je serai prêtre à l’occasion.” Et il continue en multipliant les arguments comme s’il craignait de ne pas obtenir une réponse favorable: “Je suis capable de dire à un vilain, repends-toi, de l’assommer avec mon crucifix et de lui dire la messe des morts.”
L’abbé Georges Magnet dit “Gaston” eut son peloton à condition qu’il dise la messe tous les dimanches. Il commanda magnifiquement un des pelotons de l’escadron Bourgeois jusqu’aux combats pour la libération de Bourg-de-Péage où il tomba glorieusement le 27 août 1944 à la Maladière.
Le 11ème Cuirassiers a eu le bonheur de trouver des prêtres de la trempe de “Gaston” dans la personne de Fernand Gagnol, curé de Vassieux-en-Vercors; de Tessier, curé de Saint-Martin-en-Vercors; de Vincent, curé de Corrençon. Ils ont apporté à tous ceux qui, loin de leur famille et suivant leurs principes religieux, désiraient trouver un soutien moral; le seul que le prêtre puisse apporter. Tous les Cuirassiers assistent à la messe dominicale du père “Gaston” dite dans la forêt, n’importe où, croyants ou incroyants sont présents tous les dimanches tout simplement par conviction ou pour lui faire plaisir. Il ne serait pas impossible que plusieurs d’entre eux soient devenus inconsciemment des fidèles par la suite.
Le père “Gaston” a quitté sa soutane qu’il a accrochée tant bien que mal dans sa hutte. Pour qu’elle ne soit pas trop froissée et à la poussière, il a confectionné un cintre, et après l’avoir recouverte, il a pu la surprendre à la branche d’un arbre. Un jour, je passe à l’escadron Bourgeois pour donner des instructions avant de partir à Lyon. Je rencontre “Gaston” et, en plaisantant je lui dis que s’il laisse sa soutane à l’abandon, elle tombera en ruine; il devrait la mettre dans la naphtaline pour plus de sûreté. Il me rétorque alors: “Evidemment, elle ne sert pas à grand chose en ce moment, mais elle peut avoir son utilité pour, par exemple, un agent de liaison.” Il la plie, la place dans une valise et, sans attendre mon acquiescement, met la valise dans le coffre arrière de la voiture qui part en direction de Lyon.
Le trajet se fait sans incident. Arrivé au rendez-vous clandestin à Lyon, la valise devient encombrante. La voiture dans laquelle je suis monté, conduite par un G.M.R., devant accomplir une autre mission, si je ne veux pas que cette satanée valise soit perdue définitivement, je suis obligé de la prendre avec moi. Ainsi, je me rends compte très rapidement, qu’au lieu d’être une gêne pour moi, elle constitue un alibi extrêmement utile pour accomplir ma mission car j’ai moins de risques d’être arrêté et suspecté. Tout compte fait, cette valise me donne une certaine contenance. Je prends contact avec la liaison comme à l’habitude, suivant des signes conventionnels bien établis. Je demande à mon contact:
“Où allons-nous pour discuter ?”
“Je crois qu’il serait bon d’entrer dans l’église et de discuter à genoux, comme si nous priions.” me répond mon contact.
Sans perdre de temps, nous pénétrons dans l’église dans laquelle habituellement, je ressens un calme bienfaisant. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas; je ne suis pas tranquille et propose alors ma solution qui est adoptée. J’entre dans le confessionnal et l’agent s’assoit à la place du pénitent qui vient se confesser. C’est mieux ainsi. Dans ce coin sombre, c’est plus rassurant qu’au milieu de l’église où l’on croit être seul avec l’impression désagréable que quelqu’un vous épie sans qu’on le voie.
La discussion est rapide; mais il est nécessaire que je donne directement des ordres à un second agent de liaison resté à l’extérieur de l’église. Je demande donc à l’agent qui vient de se confesser, d’aller dire à ce dernier de venir à confesse à son tour. Il doit me donner les coordonnées du rendez-vous de l’après-midi qui doit avoir lieu sur les quais du Rhône. Le scénario se déroule normalement. Le premier agent de liaison s’en va tandis que le second entre et vient se confesser. Mission accomplie; il part et j’attends qu’il franchisse la porte pour quitter les lieux. C’est alors que l’incident survient; au moment de sortir, l’agent a un mouvement de recul; il rentre précipitamment et se jette dans la confessionnal tout essoufflé. On pourrait l’être à moins:
“On est fait dit-il, il y a plusieurs voitures de la Gestapo devant la porte.”
“Quel âge as-tu ?”, lui dis-je
“Quinze ans ” me dit-il d’une voix à peine audible
“Alors, tu as des chances de t’en sortir, mais va-t’en calmement sans te presser d’une façon excessive.”
“Oui, mais vous ?”
Ce jeune homme est angoissé pour nous deux.
“Ne t’inquiète pas, file ! ” est ma réponse.
Ces quelques mots du gosse créent le bon réflexe; la soutane va servir à quelque chose. Dans une telle circonstance, il est fort agréable de pouvoir passer aussi rapidement une soutane, même lorsqu’on n’en a pas l’habitude. Il y a malgré tout un problème; le père “Gaston” est beaucoup plus grand que moi et je suis obligé de faire un bien gros pli au niveau de la ceinture. La large ceinture cache les plis; je parais un peu plus rondouillard. La valise est abandonnée dans le confessionnal puis, tranquillement, je me dirige vers la porte ne sachant pas que faire de mes mains. J’arrive finalement à les loger, celle de droite dans la manche de gauche, celle de gauche dans la manche droite. Je sors de l’église le plus naturellement du monde tandis que les hommes de la Gestapo entrent et fouillent les lieux. C’est une sensation bizarre que de se retrouver pieusement déguisé dans une rue principale de Lyon. J’ai quand même eu très chaud et c’est avec un “ouf” de soulagement que j’arrive chez un camarade pour m’y réfugier. Il s’étonne un peu de ma tenue, puis il se remet comme on dit dans la capitale des Gaules; Il faut repartir de chez mon camarade pour remplir ma mission sans perdre de temps. Ce n’est que bien plus tard que j’ai appris que j’étais personnellement recherché. La Gestapo avait dû être renseignée du lieu de contact dans l’église. Elle m’avait vu entrer et ne m’avait pas vu ressortir.
La soutane du père “Gaston” m’a sans doute sauvé la vie; tout au moins, elle a permis de me tirer d’une situation embarrassante.
Il ne faut pas croire que l’on se rende compte sur le moment de la gravité d’une situation lorsqu’elle se rétablit heureusement. Quand l’histoire s’écrit avec le recul du temps, les acteurs ont peur rétrospectivement.
Au moment de l’action, le patriote, l’homme de l’ombre met toute sa foi et sa passion dans l’ambiance de la clandestinité. Celle-ci est imprévue, déroutante et parfois inconsciente. D’autre part, elle sourit à tous ceux qui voient une complice dans la nuit au point de prendre plaisir à fréquenter les couloirs sombres ? Toutefois, ce patriote n’a pas droit à l’erreur, il lui faut un parfait équilibre, car il faut voir juste dans l’action et sur le terrain. Dans le creuset des liaisons dangereuses, le résistant fait ses premières armes. C’est à ce moment qu’il se forge pour les combats de l’ombre que la guérilla lui imposera. C’est une dure école de chef car ce sera à lui de porter son projectile sur l’objectif, de le faire exploser où il veut et quand il veut. Imprévision…Non!, Réflexes…Oui , avec un gros coefficient de chance. Certains diront que c’est du “pot”, d’autres de la “baraka”.
La chance est un facteur indispensable.
Il faut donner quelques exemples pour apporter la preuve que la chance compte beaucoup. Au cours d’une liaison à Lyon où je me rends à la convocation du Q.G. régional, la chance a joué au maximum.
Le voyage s’était déroulé sans histoire jusqu’à Lyon où notre voiture arrive et se range à l’angle de la rue Emile Zola et d’une petite rue perpendiculaire. Nous descendons du véhicule, le jeune maquisard et moi-même. Pour atteindre l’immeuble dans lequel nous avons rendez-vous, nous sommes obligés de marcher un bon moment car, bien sûr, nous ne nous sommes pas arrêtés juste devant lui. Au Q.G., nous montons au premier étage pour entrer dans l’appartement? Nous constatons que tout a été fouillé et saccagé.
“Vilain temps, filons !” criai-je.
Nous descendons quatre à quatre les marches de l’escalier et bondissons jusqu’à la voiture tandis qu’un homme court dans notre direction. Heureusement la voiture démarre immédiatement et nous roulons sur les chapeaux de roues. Il faut que nous attendions jusque dans l’après-midi pour aller sur les quais du Rhône, afin de renouer avec la liaison de rattrapage. Nous sommes à l’heure au rendez-vous où l’agent de liaison nous attend :
“Etes-vous allés au Q.G. ce matin ?”, nous demande-t-il;
“Oui !”, lui répondis-je.
Il semble incrédule:
“Ce n’est pas possible; à quelle heure êtes-vous passés ?”
“A neuf heures, neuf heures quinze…”;
“La Gestapo y a établi une souricière. Elle a cravaté plusieurs agents de liaison “.
Et de nous expliquer que chaque fois qu’un résistant montait à l’appartement du Q.G., il le laissait monter et le cueillait lorsqu’il redescendait.
Nous sommes montés, mon maquisard et moi, jusqu’à l’appartement. Constatant le désordre qui régnait dans la pièce, nous sommes redescendus vivement, comprenant la situation. Dans la rue, l’homme qui court après nous est un agent de la Gestapo qui a eu la riche idée de quitter provisoirement son poste pour satisfaire un besoin pressant. Quelques minutes de chance nous ont permis d’échapper à l’inévitable rafle. C’est sur les quais que l’agent de liaison m’apprend que je suis grillé à Lyon et que l’ordre a été donné à toutes les polices françaises et allemandes de me capturer “mort ou vif”.
On ne se méfie jamais assez; parfois est pris qui veut prendre. Voici un second exemple de la chance, qui aurait été assez amusant, s’il n’avait été aussi dangereux.
Au cours d’une réunion clandestine à Lyon, je saisis une belle occasion au vol. L’un des participants à cette réunion, un chef de maquis me dit avoir des cartouches de fusil-mitrailleur, mais aucun fusil-mitrailleur. Il désire avoir quelques mitraillettes détenues par le 11ème Cuirassiers. Le marché est conclu, les cartouches seront échangées contre des mitraillettes. Pour effectuer ce marché, les questions de détail sont réglés: Lieu, jour et heure sont fixés.
A quelques jours de là, je me fais conduire en voiture à la gare, chargé de deux valises contenant des mitraillettes. Je me rends à Lyon. Le voyage s’effectue sans incident, mais arrivé à Lyon à la gare de Perrache, le nez collé à la vitre de mon compartiment, je vois les Allemands fouiller les bagages des voyageurs avant leur sortie, pendant que d’autres attendent l’arrêt du train, probablement pour y monter et contrôler les papiers. Il n’est pas question que je reste dans mon compartiment en attendant que ça se passe. Après avoir hésité, poussé par les événements, je descends du wagon. Je repère une vieille dame semblant peiner à transporter deux grosses valises paraissant très lourdes. Je me décide à lui proposer mes bons services. La bonne dame est ravie et accepte ma proposition avec empressement et gratitude.
Les Allemands ne fouillent pas toutes les valises, à choisir entre une femme âgée et un quelconque voyageur, il choisiront ce dernier; en tout cas, c’est ce que je pense. Malgré tout, je ne suis pas très fier d’employer une telle méthode si éloignée de mes principes, je sur assailli de remords, mais je dois agir vite.
Dans cette ambiance d’incertitude menaçante, le quai parait bien long quand on est obligé de le suivre pour arriver à la sortie. Grâce à Dieu, on se retrouve devant la gare sans avoir été fouillé. A cet endroit, les mailles du filet sont plus larges. Très normalement, l’échange s’effectue. Je jette un coup d’oeil circulaire, et, poussé par le remord sinon par la honte d’avoir agi contrairement à la règle qui guidait jusque-là ma conduite, je dis à la vieille dame:
“J’ai des excuses à vous faire, car si les Allemands avaient vidé les valises que vous transportiez pour moi, vous auriez certainement eu beaucoup d’ennuis “.
Répondant soudain avec une voix masculine tout en regardant de gauche à droite, la dame me répond:
“Vous en auriez eu aussi mon bon monsieur, si les Allemands avaient ouvert les vôtres. Si ce sont des armes que vous m’avez fait transporter, moi je vous ai confié des obus de mortier. ”
Puis, il poursuit:
“Tu es chic de me mettre au courant; on aurait eu l’air fin tout à l’heure si nous avions été fouillés. Je répète, tu es un chic type de t’être excusé ainsi; moi, je ne l’aurais pas fait. Allons boire un pot “.
La rencontre de deux combattants de l’armée de l’ombre ne peut être que fugitive. Nous nous séparons. Nous ne nous reverrons jamais plus. Nous représentons un échantillon d’hommes inconnus qui se dévouent pour la même cause. Je suppose que nos marchandises très spéciales sont bien arrivées à destination. Quant aux mitraillettes que j’apportais, elles ont fait des heureux chez les Cuirassiers.
Le 11ème Cuirassiers est toujours au Rimet et dans ses environs. De ce lieu de cantonnement partent des commandos spécialisés dans le renseignement. Ceux-ci se perfectionnent afin d’être totalement opérationnels dans les plus brefs délais. Les contacts avec les autorités civiles de la plaine sont étroits, particulièrement avec celles du Diois.
En avril 1944, un gendarme de la brigade de la Chapelle-en-Vercors vient à mon P.C. me prévenir que le sous-préfet de Die désire me rencontrer absolument dans les délais les plus brefs; il sera au col du Rousset chez Madame Jeanne Bordat dite “La Mémé Bordat” ; qu’il attendra toute la nuit s’il le faut. Du Rimet, il y a une trotte, il ne me sera pas possible d’y être avant deux heures du matin, et encore si la neige est bonne. Le message doit être d’importance pour que le sous-préfet se dérange à cette heure, pour qu’il envoie une liaison à n’importe quel prix. Il est vrai que chaque fois que les Allemands ou les Miliciens montent une opération punitive contre le maquis et qu’il le sait en temps voulu, il ne manque pas d’accourir pour nous prévenir, ce qui nous permet de nous préparer. Le sous-préfet et moi, nous envisageons minutieusement tous les scénarios possibles.
Le jour de l’attaque, monsieur le sous-préfet Lambris est le premier à essayer de tromper l’ennemi en l’entraînant dans une direction où il est sûr qu’il n’y a pas de maquisards, à l’exception du petit groupe qui a reçu mission de faire diversion. Il attire l’ennemi sur sa trace lui donnant l’impression qu’il est bien sur la piste d’un camp de maquisards en déroute. Ce courage simple, seuls les Cuirassiers qui l’approchent, peuvent apprécier l’héroïsme sans gloire du sous-préfet de Die.
Nous avons été prévenus à temps que la milice montait une opération d’envergure contre le maquis du Vercors. Ce jour-là, mettant à fond la tactique du vide que j’ai toujours préconisée, les camps se dispersent. A mon avis, cette tactique est la seule valable, mais elle n’est pas partagée par tout le monde. Pourtant, c’est à ce prix, celui de l’expérience et du bon sens que le Vercors restera intact pour le jour “J”. Agir autrement, c’est compromettre l’organisation même alors qu’elle est en plein développement.
Ne dois-je pas lutter contre ces hommes sous pression qui veulent à tout prix “faire quelque chose”?
Personnellement, je considère qu’une initiative maladroite peut tout gâcher; le long de la route allant de Saint-Martin à Saint-Julien,nous avons vingt fusils-mitrailleurs en batterie. Ces armes sont braquées sur la colonne allemande qui va passer, mais l’ordre est de ne pas tirer. Les Cuirassiers obéissent en rageant. Le père Tessier dira plus tard:
” Le 11ème Cuirassiers, par leur sang froid, a sauvé Saint-Martin “.
N’était-il pas nécessaire de maîtriser les élans généreux et l’enthousiasme de tous mes gars ? Ils ont certainement compris maintenant qu’il était absolument impératif de ne pas attirer les représailles sur les habitants de Saint-Martin, de révéler leur présence et celle des camps organisés.
C’est pourquoi les unités se sont dispersées en petits éléments fluides chaque fois que des ensembles importants d’ennemis se présentaient, pratiquant ainsi la tactique du vide.
Récit du Colonel GEYER LA THIVOLLET
Manuscrit rédigé en 1964.
Repris par Gérard Galland en 2000
HISTORIQUE EPIQUE D’UN MAQUIS DE FRANCE
LE 11ème CUIRASSIERS
VERCORS – VOSGES – ALSACE
Commenté par GEYER THIVOLLET, ancien chef des maquis du Vercors
et du 11ème Régiment de Cuirassiers
27 novembre 1942. – La Wehrmacht démobilise l’armée française. Ce qui veut dire que les Allemands, jouant de la crosse et du pied, chassent de leur quartier ou caserne ce qui reste de notre armée. Personnellement, je suis révolté. J’étais resté sous les drapeaux parce que je croyais en l’avenir, à la victoire possible et je voyais un maréchal couvrir de son autorité silencieuse des actes brutaux que je ne pouvais pas admettre.
Officier de permanence au quartier, je suis réveillé par les bruits des coups de crosse dans ma porte. Je ne raconterai pas les nombreux incidents qui se sont produits alors. Retenons que j’ai pu récupérer mon fanion de peloton que j’ai détaché de sa lance en faussant compagnie à deux soldats “vert de gris” qui m’emmenaient au poste de garde. J’avais pu pénétrer dans la chambre du peloton et mes cuirassiers avaient hurlé un “fixe” retentissant qui fit perdre contenance aux Allemands qui les mettaient à la porte. Je fus rapidement poussé chez le colonel allemand, puis enfermé dans un local. Plusieurs officiers vinrent me rejoindre. Nous décidons de demander l’autorisation au colonel d’aller chercher les étendards du 11ème C, du 9e C. et du 12e R.C. à la salle d’honneur pour les garder avec nous. La permission accordée, je jugeais que la solution n’était pas suffisante, d’autant plus que, par Ott mon ordonnance, j’apprenais que les Allemands parlaient d’envoyer les officiers dans les offlags. Je propose donc aux officiers de sortir les étendards du quartier. Ott emballe les trois emblèmes dans un manteau et, le paquet sous le bras, je me dirige vers le bâtiment de la garde mobile qui communique avec celui du 11ème C. par les portes de la cour intérieure. Partout des fusils-mitrailleurs en batterie. Aux Allemands qui m’arrêtent je réponds calmement par un mot qui devient magique : “offizier”, j’arrive à la grille de la garde, remets mes étendards et je reviens, ayant donné ma parole que je reviendrai en raison de représailles possibles. Pourtant, je me trouvais libre avec mes étendards, les Allemands ayant reconnu la garde comme force de maintien de l’ordre. Ma parole était donnée, il fallait revenir, mais, ma mission remplie, j’ai décidé de ne pas passer la nuit dans cette ambiance et je me suis délié de ma parole dès le retour dans mon local…
Le soir, mes camarades sont partis de leur côté, moi par la porte du 153e R.I. et à bicyclette. J’avais pris cet engin à un officier allemand qui l’avait maladroitement rangée devant la fenêtre de mon local. Ce qui m’a permis de passer rapidement entre les deux sentinelles et de disparaître vite, rue de la Tête-d’Or. Je m’arrêtai chez un boucher et lui demandai de me prêter une veste pour regagner mon domicile. En rentrant chez moi je trouvai quelques-uns de mes cuirassiers à qui je demandai ce qu’ils faisaient là. Je leur avais dit “A ce soir”. Ils m’avaient fait confiance.
Le 11ème cuirassiers continuait sa vie, représenté par quelques braves groupés autour de l’étendard. Je décide du lieu d’un P.C. près du quartier, chez M. Bernard, et engage les cuirassiers à se regrouper par petits éléments. Je mène une action diffuse et machinale. Je rassemble, je fais des projets, mais il n’y a que l’ébauche d’un plan. Le lendemain, je retrouve mes cuirassiers. Ils se sont multipliés. La situation sert mes buts qui se dessinent. Les soldats mis à la porte des quartiers sont rappelés pour se faire démobiliser régulièrement. J’ai donc la chance d’en retrouver beaucoup. Le choix de mon P.C. a été bon. C’est ainsi que cette opération de démobilisation officielle a permis de sortir du quartier de la Part-Dieu un matériel qui servit de base à l’organisation des premiers maquis que j’ai décidé de constituer dans la région de Chambarrand – le-Grand-Serre.
Je décide de quitter Lyon et de me fixer au Grand-Serre, à la ferme Virieu, sur le plateau de Lens-Lestang. Je donne l’ordre de départ à mes cuirassiers, mais ils veulent participer à la sortie de mon cheval, toujours prisonnier des Allemands. Je leur avais confié, en effet, que je ne partirais pas sans “mes jambes”, et ils veulent m’aider à les retrouver. C’est ainsi que mon cheval Boucaro sortira un soir et que je ferai le déplacement avec lui de Lyon au Grand-Serre, chez Virieu, étape : 90 km. Ce voyage ne fut pas de tout repos, mais Boucaro et son cavalier, suivis du brigadier-chef Girardot, à bicyclette, arrivèrent à Lens-Lestang dans de bonnes conditions. La sortie du quartier a offert quelques difficultés. Mon cheval Boucaro était dans le quartier du 11ème cuirassiers. Il n’était pas question de l’aller prendre là. Avec la complicité de la garde, mon cheval sera considéré comme étant un de leurs chevaux, soigné à l’infirmerie vétérinaire des cuirassiers. La garde demande aux Allemands de le récupérer. Il l’est. Il s’agit de le sortir du quartier de la garde surveillé par les patrouilles allemandes, mais ce semble plus aisé. D’après le plan établi, je dois me rendre à Décines, chez le brigadier-chef André.
Pendant la nuit, je me glisse dans les écuries de la garde alors que j’entends les chants gutturaux des Allemands s’élever du quartier de la Part-Dieu où ils savourent leur facile victoire. Roch a sellé mon cheval, lui a enveloppé les sabots dans des chiffons. Je le monte tandis qu’un camion est amené près de la grille. Le moteur ronfle afin de permettre l’ouverture de la grille sans attirer l’attention des patrouilles qui se croisent sur le trottoir extérieur, dans la rue. Un Allemand s’approche, grommelle quelques mots. On lui explique qu’on répare un camion. Il s’éloigne. Je pars à cheval, silencieusement et calmement dans la nuit. J’évite quelques patrouilles, précédé par un cycliste qui me les signale. Je traverse la ville, j’arrive dans les faubourgs de Lyon puis à Décines où m’attend André.
Quelques jours après, j’ai été contraint de quitter Décines ; les voisins des parents d’André ont eu des ennuis avec leurs voisins qui avaient entendu des bruits insolites. Ils parlaient trop. Je décide alors de gagner la ferme de Virieu sur le plateau de Lens-Lestang, étape : 90 km. Nous établissons un plan. Ce déplacement décidé chez Bernard marquait mon départ de Lyon, celui de mon cheval se ferait avant celui de ma famille.
L’ordre est donné aux cuirassiers de se retrouver chez Virieu où s’installe mon P.C. Moi, je pars à cheval avec deux cyclistes. Nous partons en fin d’après-midi, très prudemment en raison du trafic : voitures allemandes, camions, etc. Je suis arrivé à destination avec Girardot, Constant ayant eu une panne a dû rester à Lyon.
Un seul incident aurait pu compromettre la réussite de ce voyage. Un cantonnement d’artilleurs allemands est signalé par les cyclistes prévenus par une femme d’un village. Presque aussitôt, six cavaliers se présentèrent. Je donne l’ordre à Girardot de me quitter et de prendre un itinéraire à sa guise, puis de me rejoindre sur celui fixé dès qu’il le pourra.
Trois cavaliers le prennent en chasse. Trois autres se dirigent dans ma direction. Ils trottent, je trotte. Ils galopent, je galope. Et nous allongeons. Je les entraîne vers le bois que je connais pour y avoir manœuvré. Il faut gagner du temps, la nuit va tomber. J’ai alors l’idée de me lancer sur une piste d’obstacles et de les mettre à l’épreuve. Mon cheval était un gros sauteur. Je saute, un cavalier tombe, les deux autres refusent de sauter. Je continue ma route. Je ne les ai plus revus. Vers 2 heures du matin, alors que marchant à pied la bride au bras pour soulager un peu ma monture et pour me détendre aussi, j’entendis un crissement sur la route. Je me cachai et, en confiance, j’ai sifflé le refrain des cuirassiers. Girardot y répondait, car c’était lui qui me retrouvait ; ayant semé ses poursuivants, il avait repris l’axe fixé initialement.
A la ferme Virieu, nous étions attendus. Bien accueillis par la famille Virieu, les cuirassiers présents, mon cheval soigné par Virieu, il fallait songer à retourner à Lyon. Il me restait une petite heure pour me restaurer et avec Girardot nous arrêtions le car sur la route pour aboutir à la gare de Perrache à Lyon. Notre mission continuait.
La reconstitution du 11ème cuirassiers apparaissait nettement. Il vivait déjà avec une poignée de cuirassiers, décidés. Mes premiers éléments, je ne les citerai pas tous, mais entre autres : Virieu, Durieu, Lahmery, Stevenon, Pierre et Paul Durand, Giordan, plus tard vinrent Deutscher, le Lt Roure, Moine, les frères Raymond et Louis Rose, Roelly, etc.
De fin 1942 et au début 1943, c’est la période d’organisation, de formation des camps. L’application du programme d’instruction et rapidement les actions de commando sur Chambarrand contre les Italiens, puis, contre les Allemands, d’où récupération de matériels, d’armes, de munitions et même d’une voiture-radio (SARAM). Puis vint la liaison avec le Q.G. de Lyon et la prise de contact avec l’ensemble du mouvement résistance.
Au cours de 1943, les camps se déplaceront très souvent, c’est l’application de la tactique du vide. L’ennemi mord partout. Il saccage mon appartement de Lyon (Gestapo).
Il cueille les agents de liaison : Stevenon, Deutscher, exécute des représailles au Grand-Serre :famille Brenier. Il monte une opération en forêt de St-Julien. Toujours sur le qui-vive et avertis toujours à temps, aussi bien par les gendarmes que par la population, les camps se déplacent opportunément.
Mon P.C. est installé le 15 août 1943 chez Mathieu à Montrigaud. Les camps sont dans la forêt de la Thivollet, Montmirail, le Laris. Ils sont bien équipés, ont des armes, des munitions et même un service auto comprenant des camions, des voitures, des motos, une voiture-radio.
En décembre 1943, je suis nommé au commandement du Vercors. Je suis chef départemental. A la tête de mes camps, qui représentent le 11ème cuirassiers, bien qu’ils ne possèdent que l’effectif d’un escadron, je me dirige sur le Vercors en franchissant le barrage de police de St-Lattier. Par St-Jean, je vais à St-Martin-en-Vercors où j’installe mon P.C.
Dès janvier, des accrochages ont lieu avec les Allemands qui se risquent sur le plateau. Quelques voitures disparaissent, quelques convois sont mitraillés et nous déplorons la perte du Lt Roure, tué aux Barraques.
Il y a eu les Barraques, Rousset, Malleval, en mars, l’attaque du Q.G. Le 11ème cuirassiers augmente ses effectifs et ses escadrons se constituent. En outre, le Cdt de Reynies m’a confié qu’il voulait reconstituer son 6e B.C.A. Il m’envoie Chabal avec une vingtaine de chasseurs. C’est le noyau du 6e B.C.A. qui se reformera à l’ombre de la crinière des cuirassiers.
Rappelons-nous tous ces noms : St-Nizier en juin, La Chapelle-en-Vercors, Vassieux en juillet et puis les combats de la forêt de Lente. Le 11ème cuirassiers était de tous ces combats. Grange au col du Rousset : Hardy, Payot, Philippe, Bagnaud à Vassieux; Moine, Roland en forêt de Lente; Bourgeois aux Barraques. Fayard en forêt de Lente et sur le Royans avec le 14e B.C.A. qui devient le 2e groupe d’escadrons du 11ème cuirassiers. Que tous ces noms s’inscrivent dans notre pensée : St-Nizier, La Chapelle, St-Martin, Vassieux, la forêt de Lente, les Barraques. Ces noms sont accrochés à celui du Vercors.
Après tous les combats du Vercors livrés lors de l’attaque d’envergure allemande de juillet 1944, le 11ème cuirassier a réussi à se regrouper à la Baume d’Hostun; 10 escadrons, soit deux groupes d’escadrons à quatre escadrons chaque, plus un escadron de Sénégalais et l’escadron des services, étaient regroupés là pour continuer la lutte. Le 22 août 1944, Romans était prise. Il a fallu reprendre Romans le 27 août. Pourquoi les chars américains avaient-ils abandonné leurs positions pour marcher vers Valence ? Le 11ème cuirassiers a repris Romans en devançant les troupes américaines et, dans son élan, il fonça sur Lyon. Il participa à la prise de la ville. Le combat du maquis était terminé.
Je me suis mis aux ordres du général Brosset, Cdt la 1ere D.F.L. Dans cette division, le 11ème cuirassiers se fera juger à l’ œuvre mais, déjà, il avait le grand honneur de servir à la 13e D.B.L.E., avant de reprendre ses missions de cavalerie, comme soutien de chars du 1er R.F.M.
Il faut ajouter au noms du Vercors ceux des Vosges et de l’Alsace, le 11ème Régiment de Cuirassiers a servi dans le maquis et dans l’armée régulière avec la même abnégation. Il a su mener les combats de la nuit et a réussi à s’adapter à ceux qui exigeaient des connaissances techniques. Soyons fiers de notre régiment et retenons ces phrases écrites par un officier de fusilier-marin :
« Les cavaliers du 11ème Cuirassiers Vercors se sont montrés à la hauteur de leurs aînés… Ils ont fait preuve d’un courage, d’une jeunesse qui était notre jeunesse de 1940. ”
Le Vercors
Le Vercors va devenir un lieu prédestiné à cause de l’étendue de son plateau et de son accès difficile. Pour ces points de vue il fut unique en France : citadelle qui s’avérait imprenable, à condition de pouvoir disposer d’un minimum de moyens indispensables à sa défense.
Après de simples actions de guérillas isolées et de multiples coups de mains, après des combats de guérillas plus ou moins importants suivant que plusieurs unités marchant au bruit de la fusillade tombaient sur le même ennemi et le mettaient en pièces, des combats se sont mis en relief, c’est parce qu’ils prenaient parmi tant d’autres une forme plus régulière, parce qu’ils étaient marqués par des faits plus saillants et plus douloureux que grandit encore l’héroïsme d’un officier, d’un gars ou d’une collectivité.
En Décembre 1943, le 11ème Cuirassiers va rejoindre le Vercors et installera son P.C. à Saint-Martin-en-Vercors dans une ferme mise à sa disposition par la famille Maréchal.
Geyer La Thivollet se voit confier le commandement pour la région Zone Sud, qui s’étend de la Goule Noire au col du Rousset qui domine le Diois.
Le 18 Janvier 1944, l’alerte est donnée par l’officier de renseignements, qu’une voiture allemande est à La Chapelle-en-Vercors. Sur les quatre occupants de la voiture, deux sont tués, les deux autres sont faits prisonniers.
Le 20 Janvier, une deuxième voiture avec quatre feld-gendarmes monte par les Goulets à la recherche de la première voiture. Il y aura trois tués et le quatrième sera fait prisonnier.
Le 22 Janvier, une colonne allemande est chargée d’enquêter sur la disparition des deux voitures. Dans les derniers tunnels des Grands Goulets, avant la sortie sur les Baraques-en-Vercors, la colonne est attaquée par un groupe indépendant. L’accrochage est sérieux; il est fait appel au 11ème Cuirassiers pour venir les dégager. Le Lieutenant Roure est tué en venant leur porter secours.
En représailles, les Allemands brûlent les Baraques-en-Vercors. Ils vont poursuivre leur périple sur le plateau et se heurtent à une résistance au village de Rousset-en-Vercors.
Ils brûleront ce village avant de repartir.
C’est en Mars 1944, que le commandement de la région basé à Lyon, prend la décision d’envoyer quelques officiers pour installer l’état-major régional dans le Vercors. Il choisit le village de Saint-Julien-en-Vercors.
Le mois de Mars se présente sous des aspects tragiques. C’est l’attaque par surprise du Q.G. qui devait être averti par une voiture de liaison; cette dernière s’est heurtée à une colonne allemande et s’est fait mitrailler.
Les troupes allemandes se ruent sur Saint-Julien, tuant trois officiers d’état-major dont le Capitaine Guigou et trois Cuirassiers du groupe de protection. Des civils sont torturés et fusillés. Le Q.G. brûle ainsi que quelques fermes. Les Allemands quittent le plateau après avoir marqué le bétail qu’ils ont l’intention de venir chercher.
Militaire de carrière, François Huet, officier de grande valeur et résistant de la première heure, prend contact avec le Commandant Descour, chef d’Etat Major de Lyon qui lui demande de prendre le commandement des maquis du Vercors Drôme/Isère.
Le 6 Mai 1944, le Commandant Huet accepte la proposition du Commandant Descour dit « Bayard » et va se choisir pour pseudonyme, un vieux nom du Dauphiné : Hervieux.
Il installe son P.C. à Saint-Martin au rez-de-chaussée de l’hôtel Breyton. L’une de ses premières visites est pour l’homme qu’il va remplacer. Avec beaucoup de tact explique à Geyer qu’il n’est pas venu le supplanter, mais que Bayard l’a chargé de coordonner l’action des maquisards du Vercors. Geyer reste chef de la zone Sud, et Durieu de la zone Nord.
L’annonce du débarquement de Normandie va créer dans toute la région environnante, une extraordinaire agitation, expliquant une montée en masse vers le plateau. Ils sont près de 3 000 volontaires alors que l’ordre de mobilisation pour boucler le Vercors ne concerne que 450 hommes.
Au soir du 9 Juin, la mobilisation de toutes les unités du Vercors est donc en cours, tandis que s’opère le bouclage du plateau.
Le 11 Juin, à 9 heures, les troupes allemandes se déploient et se dirigent vers Saint-Nizier-du-Moucherotte. Les premiers coups de fusil sont échangés, pendant toute la journée les assaillants s’efforceront de rompre une résistance qui ne dispose que de fusils et de grenades. Ils se retirent la nuit, mais reviendront mieux armés, plus nombreux et plus déterminés. Ne pouvant entamer la ligne des avant-postes se replient sur Grenoble, pour revenir en force quelques jours après.
Du 10 au 12 Juin, plusieurs télégrammes sont envoyés à Alger pour réclamer des parachutages d’armes et d’hommes. En attendant les renforts, Hervieux organise une ligne de défense en avant, afin que la population civile ne se trouve pas directement exposée à l’attaque ennemie.
Les Allemands reviennent à la charge , le 15 à partir de 5 heures du matin. Ils sont en force et en nombre, appuyés par des miliciens, bien décidés à s’emparer de Saint-Nizier. La bataille fait rage dans une lutte inégale. Ils sont 300 à peine contre 1 500 soldats allemands.
Hervieux prend la seule décision qui s’impose : il ordonne le repli général.
Les Allemands entrent dans Saint-Nizier et s’y comportent en barbares. Ils incendient les maisons, achèvent les blessés.
Saint-Nizier n’est pas en mesure d’être repris, l’ennemi ayant laissé des postes d’observation.
Au lendemain des combats de Saint-Nizier, dont les Allemands ne semblaient pas vouloir, dans l’immédiat tirer avantage, Hervieux confie à Brisac qu’il faudrait profiter de ce répit pour réunir de nouveaux moyens, instruire les hommes, les équiper et les transformer en armée cohérente.
A deux reprises, l’ennemi se rappellera au bon souvenir des Français.
Le 22 Juin, il attaquera durement le plateau de Combovin tenu par le maquis de la Drôme. Le surlendemain il enverra une colonne dans le défilé des Ecouges. Chaque fois il sera repoussé, mais en tuant huit maquisards et en laissant derrière lui l’impression qu’il continuera ainsi de tâter la résistance française, en attendant une offensive d’envergure.
Le 25 Juin en plein jour, tombent sur le terrain de parachutage de Vassieux, huit cents containers d’armes et de munitions. Ces armes sont nécessaires pour équiper les effectifs qui ne cessent de grossir avec une rapidité folle.
Je ne suis pas partisan de parachutages en plein jour, qui sont extrêmement dangereux en raison de leur volume et du manque de discrétion., ce qui peut donner des précisions très claires à l’ennemi sur l’organisation et l’importance des effectifs rassemblés et indiquer que le Vercors est devenu une forteresse qui s’organise pour devenir imprenable.
Le 13 Juillet en plein jour, encore un parachutage sur le terrain de Vassieux, d’une cinquantaine de containers. Mais à peine le parachutage effectué et le dernier avion allié disparu, au moment du ramassage des containers, l’aviation ennemie bombarde et mitraille sans aucun répit : villages, fermes et carrefours importants. Tous les objectifs qui bougent sont pris pour cibles par ces avions qui ne cessent de tournoyer dans le ciel du Vercors, plus spécialement au-dessus du terrain d’atterrissage où se sont posés les containers. Ils sèment la désolation.
Le Lieutenant Pierre Point dit « Payot » est blessé mortellement et meurt dans le transport qui le mène à l’hôpital de Saint-Martin-en-Vercors. De nombreux blessés, tant militaires que civils sont dirigés sur cet hôpital où fonctionne le service médical.
La Chapelle-en-Vercors est en flamme tout comme Vassieux, Saint-Jean-en-Royans et Saint-Nazaire.
Le 20 Juillet 1944, le Chef d’Escadron Hervieux, commandant le Vercors adresse à tous les maires du canton, le message suivant :
ETAT MAJOR DU VERCORS
3ème Bureau
N° C/91
APPEL A LA POPULATION
Il est possible que le Vercors soit attaqué demain matin de bonne heure. C’est pourquoi l’autorité militaire a proclamé l’état de siège.
Le Commandant Militaire du Vercors demande à la population, d’observer partout le plus grand calme et d’obéir strictement aux instructions qui lui seront transmises par les Maires. Les femmes et les enfants devront quitter le plus tôt possible les agglomérations et s’installer momentanément dans les fermes ou les bois isolés où elles risqueront peu de chose de la part de l’aviation.
Devront rester sur place, le Maire, le Secrétaire de Mairie, les employés des P.T.T., les boulangers, les requis normaux de la défense passive. Tous les hommes valides pourront être requis pour les travaux de la défense ou la défense passive.
Les Maires sont responsables de l’ordre, de la mise en œuvre de la défense passive, du sauvetage des sinistrés, ainsi que du pillage. Le pillage, les bruits alarmistes ou défaitistes constituent des crimes qui seront punis conformément au Code de Justice Militaire.
La lutte entreprise est une lutte de la France contre l’Allemagne qui l’opprime depuis trop de mois, une lutte pour la Liberté. Le Commandant Militaire du Vercors est sûr, que la population, par son calme, son dévouement et la dignité de son attitude fera honneur aux combattants qui sont décidés à mourir pour que la France vive.
Vercors, le 20 Juillet 1944
Destinataires :
Président du Comité de Libération
Archives
Le Chef d’Escadron Hervieux
Commandant le Vercors
Le 14 juillet 1944 – Col de Gandissart – Route de Combe-Laval
Le camp C14, l’un des pelotons de l’escadron de “Roland” (Bernard Chastenet de Géry) se prépare pour la prise d’armes qui doit se dérouler à l’occasion de la fête nationale. En cette période, elle revêt une importance capitale. En avant du peloton, se tient Michel Perrotin dit “Fressinat”, chef du peloton, et en dehors de celui-ci et à sa gauche, Claude Pison dit “Charles”, son adjoint.
Au premier rang, de gauche à droite: Bernard Gaudillière dit “Alexis” – Chef de groupe -, Yves Perrotin dit “Pothier” – Chef de groupe – Guy Louvancour dit “Guy” – Chef de groupe – et derrière Bernard Gudillière, à moitié caché par l’épaule de ce dernier, Claude Levy dit “Ampère”.
Sont aussi identifiés dans le peloton par “Raphaël” Pierre Madigner dit “Derge” et Henri Chevassus dit “Théodor”.
Collection Philippe Massy dit “Raphaël”
LES PRINCIPAUX PARACHUTAGES DU VERCORS
13-14 novembre 1943 à Arbonnouze (Saint-Martin) : 15 containers+6 colis.
31 décembre 1943 à Eymeux : opération annulée pour mauvais temps.
5-6 janvier 1944 à Eymeux : 15 containers – 6 colis + Major anglais Thachtwite – Officier américain Ortiz – Radio français Monnier + une importante somme d’argent.
Ces officiers sont chargés de coordonner les maquis Drôme-Ardèche-Savoie.
10-11 mars à Saint-Martin : 150 containers.
19-20 mars à Saint-Martin :
9-10 avril à Saint-Martin : 15 containers.
10 au 11 avril à Eymeux : 15 containers – 6 colis – Capitaine anglais Weiss – Radio J.Paris – 2 agents de sabotage Andalone et Hache – 85 millions de francs + 25 000 dollars.
21-22 avril à Eymeux : 15 containers + 8 colis. 1 instructeur armement + 5 700 000 francs.
13-14 juin à la Chapelle en Vercors
13-14 juin à Méaudre : 30 containers + 12 colis.
23-24 juin à Vassieux : containers d’armes légères.
25 juin 1944 à Vassieux, premier parachutage de jour : 36 avions 450 containers.
28-29 juin à Vassieux : 25 containers + 15 colis – 2 commandos : Capitaine Haussans + 14 paras, Capitaine Tuppers + 14 hommes.
7-8 juillet : réception du commando chargé de construire le terrain de Vassieux. Capitaine Tournissa + 6 personnes dont l’une se fracture la jambe (soignée à la grotte de la Luire, il sera massacré par les Allemands).
10-11 juillet à Vassieux : Capitaine Pellat – Capitaine Conus – Lieutenant anglais Sauvey – matériel militaire – Mission : renseigner les Alliés sur les maquis Drôme-Isère.
13-14 juillet : 150 containers + 50 colis.
14 juillet, parachutage de jour : 864 containers + 300 colis.
D’autres parachutages ont eu lieu à Saint-Martin, Saint-Julien, Harbonnouze, Forêt de Lente, Loscence.