LA DESCENTE DANS LA PLAINE
ET LA PRISE DE ROMANS
Le ravitaillement du Lieutenant Homard arrive enfin. Il profite de notre rencontre pour me donner des tuyaux sur ce qui se passe dans la plaine. Il me confirme que les Allemands refluent vers le nord de la France, les soldats des troupes nazis se procurent des vêtements civils. Certains même osent dire qu’ils ne veulent plus se battre. L’un d’entre eux lui aurait dit : “on a perdu plus de mille hommes dans le Vercors”.
Les escadrons du 11ème Cuirassiers sont prêts à agir avec mordant. Ils ont récupéré leurs forces au moment où l’ennemi a l’épée dans les reins. La guérilla ne s’est pas ralentie. Elle va pouvoir s’intensifier en portant principalement l’effort sur la nationale 7 du couloir rhodanien ainsi que sur la route de Valence à Grenoble, axes très importants de la retraite des Allemands. Le 11ème Cuirassiers descend de la montagne et installe son quartier dans la région de La Baume-d’Hostun. Les escadrons se divisent en petits commandos qui harcèlent les convois en retraite qui descendent du Vercors par des itinéraires différents. Ils appliquent les principes de la guérilla pure. Les chefs lancent leurs éléments dans leur zone de chasse avec un élastique; il suffit de les récupérer à des points fixes prévus avant l’attaque.
En reprenant le journal de marche du régiment durant cette période, celui-ci donne bien une idée de l’activité de ces commandos. Ayant été sous pression depuis plusieurs mois, traqués dans une lutte inégale, maintenant ils se trouvent dans l’ambiance d’un combat qui est le leur; ils foncent. La détente des armes est facile et le courage est si grand qu’il me pose un véritable problème. Les Cuirassiers sont prêts à dépasser mes ordres, ils prennent des initiatives que je n’avais pas prévues. Attention !! C’est le moment pour moi d’être clair, précis et concis dans mes ordres. Avec de tels gaillards toujours décidés, cherchant à interpréter et à prouver que ce qu’ils font a bien été convenu, il s’agit de canaliser impérativement leurs merveilleux élans sur des buts que j’aurai bien définis au préalable.
Le 18 Août :
– à 5 heures 30, embuscade du 1er escadron de Bourgeois au Charpey,
– à 10 heures, le Lieutenant Freyssinat trouve la mort dans un accident d’arme à feu. Encore un bel officier qui disparaît au moment où le régiment part de l’avant et qu’il a besoin d’officiers de sa classe.
– 22 heures, embuscade au carrefour de Guimondit.
Le 19 Août :
– à 5 heures 30, embuscade de deux pelotons du 3ème escadron sur la nationale 7 entre Saint-Vallier et Tain l’Hermitage. Aucune perte n’est à déplorer dans nos rangs, mais l’ennemi, lui, en accuse de nombreuses en hommes et en matériel.
– à la même heure, le 2ème escadron opère à l’Ecancière. Coup de main réussi.
– à 20 heures, embuscade de l’escadron Grange au pont de l’Herbasse. Attends toute la nuit un ennemi qui ne vient pas.
– à 23 heures, embuscade à Serves sur la nationale 7.
Le 20 Août :
– à 5 heures 30, embuscade d’un peloton de l’escadron Jury sur la RN 538.
– à la même heure, le 7ème escadron est en embuscade à l’Ecancière.
– toujours 5 heures 30, embuscade et action réussie de l’escadron Grange à Tain-l’Hermitage.
Le 21 Août :
– embuscade exécutée par le 5ème escadron renforcé par deux pelotons du 4ème sur la nationale 7.
– le 6ème escadron est à Peyrins.
– à 22 heures, embuscade de nuit du 3ème escadron sur la nationale 7.
Voici quelques opérations que je donne à titre d’exemple. Elles sont multiples et tombent rarement dans le vide.
Elles sont payantes, car non seulement nous n’avons pas de pertes à déplorer, mais nous en infligeons de grosses à l’ennemi en hommes et en matériel.
Tout en combattant, le régiment s’est organisé, il manœuvre en équipes soudées et se montre ardent dans le combat de moustiques dans lequel il excelle, comme l’aurait fait en d’autres lieux et dans d’autres conditions un régiment de Carabiniers.
Mon P.C est toujours installé à La Baume-d’Hostun. J’ai en permanence l’escadron de Sénégalais du Capitaine Yves Moine comme protection. Celui-ci est aussi utilisé comme unité d’intervention rapide immédiate.
Pour préparer la jonction avec l’armée régulière j’ai constitué le régiment en unités identiques. Il a un escadron de commandement et de services (l’Escadron Hors Rang), des escadrons de combats répartis en deux groupes d’escadrons de quatre unités chacun.
Le premier groupe de quatre escadrons aux ordres du Commandant Modot, comprend le 1er, le 2ème, le 3ème et le 4ème.
Le second groupe de quatre escadrons aux ordres du Commandant Bourdeau dit “Fayard”, comprend le 5ème, le 6ème, le 7ème et le 8ème.
Le médecin chef Eugène Samuel Ravelec dit “Capitaine Jacques”
Le service médical fonctionne, mais il n’est pas régulièrement commandé par le docteur. En effet, le médecin-chef du 11ème Cuirassiers est un baroudeur. Pour les résistants, il reste l’un des premiers pionniers du Vercors. Le Capitaine Samuel commande un escadron et tient à le garder pour le commander dans l’armée régulière. Lorsque, un peu plus tard, nous aurons intégré la 1ère Division Française Libre (1ère D.F.L.), il faudra que le Général Diego Brosset lui donne l’ordre formel de reprendre son service, pour qu’il consente enfin à rentrer dans le rang. C’est un homme merveilleux que tout le régiment aime et admire. Au Vercors, il avait pris un pseudonyme. Il se faisait appeler, le Capitaine “Jacques”. Il s’est donné avec fureur à la cause de la résistance dès la formation du maquis du Vercors. Il continuera à servir jusqu’en occupation en Allemagne avec la même abnégation, aussi brillant comme chef du service médical que commandant d’unité.
Dans le couloir de la Drôme que j’avais réussi à obtenir du chef militaire de ce département afin que le 11ème Cuirassiers puisse rejoindre la plaine, il y a la ville de Romans-sur-Isère. Il est tentant de prendre au piège la garnison allemande qui l’occupe. De La Baume-d’Hostun, je pars, décidé à prendre cette ville.
Le 21 Août 1944, le régiment se met en mouvement. Dans la nuit il arrive directement aux abords de la cité qu’il encercle complètement. A 5 heures 30, tout est en place et le régiment est prêt, bénéficiant d’un total effet de surprise. Précédent le gros des escadrons, de petits commandos se sont glissés silencieusement sur toutes les voies d’accès de la ville dans laquelle certains se sont infiltrés. Sous la protection de ces éléments, les escadrons se mettent en place. Mon P.C. est à Mours. La pince doit se serrer et se fermer sur la caserne et le collège de Romans que les Allemands occupent. Les unités partent de Mours et de la route de Grenoble. Elles ont pour objectif la caserne pour enfermer la garnison dedans. Les Allemands ne manqueront pas de la transformer en bastion de résistance si les manœuvres tournent bien pour les Cuirassiers.
Ce même 21 Août à 9 heures 30, l’attaque démarre. L’accrochage est immédiat. Le premier se produit au passage à niveau de la route de Mours. Les éléments de Fayard entrent en action ainsi que les Sénégalais du Capitaine Moine. L’ennemi, surpris, est bousculé. A 10 heures, la caserne et le collège sont encerclés privant la garnison de tous moyens de s’échapper. Le combat pour la prise de ces deux points de résistance peut commencer, la pince s’est refermée admirablement. Les combats sont durs, mais à 13 heures 30, tout est terminé et les combats cessent.
Mort du Lieutenant René Lyssandre à la prise du collège
Le Lieutenant Lyssandre, mon adjoint, trouve une mort glorieuse dans les combats pour la prise du collège. Il m’avait supplié de lui permettre de participer à l’action avec un commando formé par du personnel du P.C. C’est une des règles du maquis, tout le monde doit participer au combat. Tout maquisard qui reçoit une mission devient son propre chef. Il faut lui faire confiance. Lyssandre part pour la remplir, il n’y a plus qu’à attendre son compte-rendu. Avant de partir, il me dit :
“L’affaire est lancée. Je serai de retour pour enregistrer les comptes rendus”, puis il ajoute : “Il ne sera pas dit que le P.C. n’est pas dans la bagarre et n’a pas fait le coup de feu”.
Je n’hésite pas une seconde et je le félicite chaleureusement. Il part avec l’Aspirant Marmound qui est un de ses fidèles.
Le Lieutenant René Lyssandre se bat farouchement. Il tombe, frappé d’une balle alors qu’il visait un adversaire se trouvant à un étage du collège au-dessous du sien. C’est le rapport que me fit l’Aspirant Marmound en rentrant.
Officier de grande valeur, René Lyssandre ne faisait pas seulement que de remplir sa mission, il la dépassait toujours. C’était un des plus anciens des Cuirassiers du quartier de la Part-Dieu. En lui, j’ai perdu un adjoint ardent, travaillant à la demande en toute honnêteté morale et dans l’esprit de son supérieur hiérarchique, dans son idée ce qui est assez rare pour le mentionner. Pendant la sombre et dure bataille du Vercors, il a fait preuve d’étonnantes qualités de chef. Franc-parlr, bon camarade et confiant dans l’avenir vers lequel le régiment fonce au moment où lui-même disparaît. Il ne laisse que des regrets et la grandeur de son exemple.
La bataille de Romans a mis en évidence la cohésion du régiment. Elle est vraiment remarquable. C’est la preuve qu’un esprit de chevalerie est né dans la résistance. Les escadrons se sont comportés au-delà de toute espérance et il semble que ces gars qui viennent de toutes les paroisses, soient animés du même sentiment très particulier qui rappelle celui de corps avec un quelque chose de plus qu’on ne peut définir, mais qui est beaucoup plus grand. Et puisqu’il n’est pas possible de citer le brillant comportement des Cuirassiers parce qu’il faudrait citer tout le monde, il paraît préférable d’écrire que le 11ème Cuirassiers a pris Romans-sur-Isère avec peu de pertes, mais que celles-ci sont douloureusement ressenties.
Il faut bien convenir que le plus simple des maquisards a une valeur indéniable du fait même qu’il est un dissident, donc un homme qui a une forte personnalité. Dans des instants critiques, il a su prendre ses responsabilités. A cette époque, il fallait faire preuve d’un caractère fort pour prendre de tels risques. Mais hélas, à la guerre il faut payer la facture.
L’ennemi a payé la sienne. Nous avons fait cinquante morts dans leurs rangs et cent cinquante prisonniers au cours de cette bataille, dont le commandant de la place et trois officiers figurent au tableau. Mais la guerre continue.
Je décrète l’état de siège de la ville de Romans-sur-Isère
Il faut faire face à la nouvelle situation qu’impose le déroulement des évènements. Je décide que la ville ne doit pas être occupée. Les escadrons ne resteront pas dans l’agglomération même, car le danger subsiste d’un passage en force des unités allemandes remontant de la vallée du Rhône qui, pour elles, est devenue un enfer par le pilonnage incessant de l’aviation alliée.
Elles ont la possibilité de bifurquer à Tain-l’Hermitage et filer vers le Nord en faisant un crochet vers Romans-sur-Isère. En outre il est nécessaire d’assurer la sécurité de la ville, de la protéger contre les pillards ainsi que de lutter contre les règlements de comptes qui ne vont certainement pas manquer de se faire. Les escadrons rejoignent des cantonnements que nous avons choisis à la périphérie de la localité, tandis que je décrète l’état de siège.
Des affiches sont placardées sur les murs afin de rappeler aux habitants les sanctions encourues par ceux qui se livrent aux pillages en temps de guerre. Je donne des ordres à la police pour qu’elle agisse avec la plus grande sévérité contre toute personne prise en flagrant délit de pillage. Malheureusement, le terrain est propice pour de telles actions néfastes. De plus, il est évident que les maquisards retrouvent des voisins, ceux qui ne partagent pas les mêmes idées. Il est pourtant impératif que j’interdise à mes braves petits gars de se faire justice eux-mêmes. Cette dernière risque d’être d’une extrême violence dans le climat actuel de vengeance. Il m’est impossible de couvrir des règlements de comptes et de laisser libre cours à ce genre d’actions de vengeance personnelles. L’organisation de la sécurité des biens et des personnes est mon souci permanent.
Je demande à mes commandants d’escadrons de former de solides commandos afin de placer des bouchons tout autour de la ville de Romans et de celle de Bourg-de-Péage. Il est absolument nécessaire de garder les ponts de l’Isère restés intacts en raison de la rapidité et de la surprise de l’intervention du régiment au moment de la prise de la ville. Des éléments les gardent discrètement. C’est la mission du 5e escadron. Le 24 Août 1944 le système de sécurité est en place. Le Commandant du 2e groupe d’escadrons, le Commandant Bourdeau dit “Fayard” a mis toutes ses “sonnettes” en bouchon. Sauf les commandos de ces dernières, le reste des escadrons est dirigé dans la région d’Alixan. J’ai pris cette mesure pour éviter que Romans et Bourg-de-Péage ne deviennent deux forteresses que l’ennemi se verrait contraint d’anéantir si, bifurquant à Tain l’Hermitage, il se dirigeait sur Romans-sur-Isère.
Que peut faire le régiment contre un ennemi qui se présenterait avec des chars ? Or, j’ai confirmation de la retraite allemande vers le Nord. J’apprends que l’occupant a été bousculé par les Américains qui viennent de dépasser Grenoble. Profitant de cette information, je me décide à envoyer un de mes officiers se débrouillant suffisamment en langue anglaise, prendre contact avec les alliés. J’obtiens la promesse de l’appui d’un bataillon mixte infanterie-chars dans mon secteur. Le problème de la défense des deux villes est donc résolu. La retraite allemande, si elle doit passer par mon secteur, ne pourra pas traverser par cette rocade pour éviter le pilonnage de la vallée du Rhône. Ce n’est qu’une éventualité bien sûr, mais au pire, ce ne sera pas trop grave étant donné que nous serons à même de nous battre chars contre chars.
Le 26 Août 1944 à 7 heures 30, j’inspecte mon système de défense. Il me donne entière satisfaction. Les Cuirassiers attendent le combat de pied ferme. Ils connaissent leur mission. Aidés par les chars américains, ils se sentent forts. Ils n’ignorent pas que les Allemands sont de plus en plus en difficulté dans la vallée du Rhône, ce qui augmente la possibilité de les voir arriver n’importe quand sur la route de Tain-l’Hermitage à Romans. Le moral des hommes est excellent.
Le contact avec l’armée régulière américaine est trop bref. Il y a un précipice entre la conception des combats entre maquisards et cette armée, mais leurs chars doivent être là pour nous épauler, c’est l’essentiel.
Le 27 Août à l’aube, comme chaque jour, je visite mes positions. Je commence par celles de Fayard. Il se montre très inquiet comme le sont tous les commandants d’unités vus par la suite, les chars américains ont décroché tôt ce matin sans prévenir personne du 11ème Cuirassiers. Qui leur a donné un tel ordre ? Maintenant, mes hommes se trouvent poitrines nues contre des chars. C’est à ce moment qu’on me signale que les Allemands ont bifurqué à Tain-l’Hermitage et ont pris la direction de Romans. Ils foncent sur leur nouvel objectif : Romans libéré depuis peu.
C’est à 13 heures 15 que le premier obus tombe sur la ville. C’est un char qui tire sans viser, n’importe où. Dès que j’ai eu confirmation du départ des Alliés, j’ai donné l’ordre de mettre en vigueur le plan initialement prévu maintenant la position des escadrons à la périphérie des deux agglomérations tout en assurant une certaine surveillance à l’intérieur des villes. Cependant, les combats font rage dans plusieurs quartiers à la fois. Des chars allemands tombent sur les commandos qui livrent des combats démesurés. Haillons contre cuirasses, mais ce sont mes hommes qui sont en haillons. Qui a donné l’ordre aux chars américains de quitter leurs positions pour se diriger dans la région de Valence ??
Mon P.C. se trouve à Pizançon. Je gagne bientôt Bois-Vert. Le 2e escadron du Capitaine René Jury réussit à décrocher du collège et garde le pont qui surplombe le barrage. Les commandos gardant les ponts sont restés sur place. Le 3e est dans les bois et les Sénégalais du Capitaine Yves Moine sont prêts à intervenir. Ils sont à la disposition du commandement à deux kilomètres du barrage. Les autres escadrons ont appliqué le plan et sont dans l’ombre autour des deux villes. Quelques incendies s’allument au centre de Romans. La bataille se calme, mais l’ennemi fait la pause au lieu de continuer sa route. C’est inquiétant. Pourtant, je suppose que s’il a fait le détour, c’est pour éviter le pilonnage qu’il subit sur la nationale 7. Logiquement, il devrait filer vers le Nord. Il n’en est rien. Les patrouilles ennemies circulent sur toutes les routes. Les comptes rendus des unités sont devenus très rares; c’est parfaitement normal. Le filet des Cuirassiers est bien tendu, mais il est nécessaire de laisser passer les chars entre les mailles, en souhaitant que les équipages des chars ne voient pas le fil.
J’ai envoyé le Lieutenant Chazalon à Grenoble pour demander des explications sur les raisons de la disparition des chars américains. J’ai demandé à mon émissaire d’insister sur la question des ponts toujours intacts. C’est une nécessité absolue de les garder en bon état. Chazalon n’est toujours pas de retour quand mon P.C. est encerclé par l’infanterie portée ennemie. D’autre part, un char observe, prêt à tirer tandis qu’une automitrailleuse ne cesse de circuler. Mon P.C. s’évapore littéralement et se réinstalle à La Baume-d’Hostun que l’ensemble des escadrons connaît bien.
La mort de trois héros : Paquebot, Boiron et Montanet
Les Capitaines Paquebot et Boiron revenant de liaison, se heurtent à un élément mixte ennemi. La voiture est mitraillée, puis tirée au canon par le char. L’équipage de la voiture a pu s’en sortir, mais Paquebot et Boiron sont abattus en tentant de gagner la vallée. Quant à Amadéo del Postal dit “Montanet”, lui aussi est touché mortellement dans le défilé de Saint-Nazaire-en-Royans en essayant de gagner la hauteur. Dans le défilé, deux croix à gauche de la route et une à droite marquent l’endroit de cette tragique rencontre où trois héros ont été abattus.
Paquebot et Boiron étaient des rescapés de Vassieux-en-Vercors. Ils avaient réussi à passer au travers de la dramatique épopée de ce village et du ratissage de la forêt de Lente, où ils avaient lié leur sort dans la grotte-refuge. Ils ont trouvé la mort ensemble das un même combat. Montanet est un ancien de l’escadron Bourgeois. C’est un dur que tout le monde admirait. Beau guerrier, bon camarade, il était toujours volontaire pour les missions périlleuses et difficiles.
Je fais garder ce défilé par deux escadrons. Il faut que ce passage soit libre afin d’assurer la sécurité des liaisons qui partent ou viennent de Grenoble. C’est le 29 Août 1944 que le Lieutenant Chazalon revient de cette ville. Il a pris contact avec les Américains qui ne lui donnent aucune explication au sujet de l’unité mixte partie de ses positions sans nous en avertir. Il faut certainement en chercher la raison à Valence …
Cependant, en liaison avec mon état-major, les Américains ont décidé de reprendre Romans. C’est à 3 heures que je l’apprends. Le 29 Août 1944 à 9 heures, les Alliés arrivent à Saint-Paul-les-Romans alors que, pour la première fois, les avions amis volent dans le ciel de Romans. Un canon de 155mm est en position de tir à Saint-Paul-les-Romans. Il fait ses préparatifs de repérage sur la cité Nadi, sur la route de Saint-Paul, sur celle de Génissieux et sur les objectifs importants de la région romanaise. A 9 heures 20, les Américains entrent en action par une salve de 20 coups de 155mm.
A 11 heures 15, a lieu une cérémonie simple et émouvante à La Baume-d’Hostun pour les obsèques de Paquebot, Boiron et Montanet.
A 16 heures 45, je pars en reconnaissance vers l’observatoire d’artillerie américain. Au Nord de Papelissier, je constate la mise en place d’un char et d’une unité d’infanterie américaine qui est sous pression tandis que des tirs d’artillerie s’exécutent. L’observatoire d’artillerie est repéré par l’ennemi. Il essuie un violant bombardement de 77mm qui ne fait heureusement pas de dégât. A 19 heures 30, je déplace mon P.C. à Meymans, où le groupe 43 de Georges met à ma disposition un canon de 25mm et des munitions de fusil-mitrailleur. Je donne l’ordre au 2e escadron du Capitaine René Jury d’effectuer des patrouilles sur Pizançon tandis que je prends contact à Saint-Paul-les-Romans avec le Général Davidson qui commande le détachement allié. Un renseignement me signale que le Commandant Gleel se prépare à attaquer Romans par le Sud, ignorant que Davidson le fait à l’Est !!
A 10 heures 15, deux escadrons dont celui de Bourgeois sont en position de départ sur le terrain, prêts à entrer en action.
Au moment du départ de la seconde attaque de Romans le 11ème Cuirassiers part en flèche. Il rage et piaffe depuis qu’il a dû malgré lui, céder du terrain. Devançant l’armée régulière alliée, mes éléments entrent à nouveau à Romans et Bourg-de-Péage pour constater que, malheureusement, les ponts ont sauté. Encore une fois, pourquoi les chars sont-ils partis la première fois ?
Mort de l’aumonier du 11ème Cuirassiers Georges Magnet,
et de deux Cuirassiers de l’escadron Bourgeois
Dans la bataille, le 11ème Cuirassiers perd son aumonier Georges Magnet dit “Gaston”, qui tombe les armes à la main, ainsi que Marie-Joseph Gignoux et André Chirat, tous trois anciens maquisards de l’escadron Bourgeois.
A la poursuite de l’armée allemande
Les Américains ne font que passer. Le 11ème Cuirassiers reprend ses projets où il les a laissés. Il réorganise le service d’ordre et veille à ce que la résistance demeure toujours au Chemin de l’Honneur.
Il n’est pas dans mes intentions de rester à Romans-sur-Isère. Je n’ai qu’un souci, trouver rapidement l’armée française pour continuer la lutte avec elle. Après avoir remanié mes escadrons tout en incorporant de nouveaux volontaires romanais, nous faisons mouvement sur Bourgoin et y arrivons le 2 Septembre 1944 à 15 heures.
Le regroupement des différents escadrons ne se fait pas facilement. Accrochés comme ils le peuvent sur des véhicules disparates, les Cuirassiers ont hâte de participer à d’autres combats. La plupart des véhicules marchent au gazogène; ils sont lents et forcent ceux qui marchent à l’essence à les attendre. Dans ces conditions, le mérite est grand de vouloir avancer quand même. Les commandants d’unités et les hommes pestent contre le matériel. A peine sommes-nous regroupés à Bourgoin que les ordres de départ sont donnés pour participer à la libération de Lyon. C’est le 3 Septembre que le 11ème Cuirassiers se présente devant la capitale de la résistance et entre dans cette dernière.
L’enthousiasme de la foule est délirant. Il fait oublier les fatigues, surtout aux Lyonnais qui se retrouvent chez eux. Mais il faut continuer et le régiment arrive juste à propos pour barouder à l’Ile Barbe, sur les quais.
Le 11ème Cuirassiers rentre dans son quartier de La Part-Dieu qu’il a quitté 22 mois auparavant. Il a donc mené 22 mois de luttes incessantes. Pour prix, comme récompense, il a la joie de le retrouver. Des vides se sont produits dans ses rangs, mais personne ne l’oublie lorsque je dépose une gerbe aux pieds du Cuirassier qui monte fidèlement la garde au quartier de La Part-Dieu.
La 1ère Division Française Libre (1ère D.F.L.) est à Lyon sous les ordres du Général Diégo Brosset. Le 11ème Régiment de Cuirassiers défile sur la place Bellecour avec les forces françaises libres ainsi que quelques unités des forces françaises de l’intérieur. Le Général de Lattre de Tassigny passe les troupes en revue dans une ambiance de joie indescriptible.
Puis je reçois l’ordre de retourner à Romans où le régiment arrive le 7 Septembre. Ce ne sera pas pour longtemps car j’ai demandé à être reçu par le Général Brosset. J’apporte la bonne nouvelle de l’intégration du régiment à la 1ère D.F.L.
C’est le départ pour Lohans, après une courte étape à Rives.
L’entrevue que j’ai eue avec le Général Brosset reste gravée dans l’esprit de tous ceux qui ont souhaité et vu l’amalgame des F.F.I. et des F.F.L. En quelques phrases voici le dialogue que j’ai eu au P.C. du Général :
“Nous voulons continuer la lutte. Voulez-vous adopter mon régiment, le 11ème Cuirassiers dans votre division.
Il veut se battre et aller jusqu’au Rhin ?”.
Le Général me répond ceci :
“Ecoutez-moi bien, je vous accueille d’emblée, vous représentez les premières forces de l’intérieur, ma division les premières forces de l’extérieur, alors, c’est l’image même de la France que nous avons là”.
Les Cuirassiers apprennent la nouvelle avec une grande joie, leur enthousiasme est débordant. Ils sont équipés et troquent leurs haillons contre des tenues convenables. Le matériel est échangé contre celui dont est équipée la division; il n’est pas comparable, que ce soit en véhicules ou en armes. Les maquisards prennent l’allure de cavaliers de l’armée régulière. Ils sont affectés provisoirement à la Légion et le régiment se colle à ce dernier et aux Fusiliers-Marins, reprenant ainsi les traditions des Cuirassiers de 1914-1918.
C’est à Dôle que mon régiment est bien équipé. Il y arrive le 18 Septembre 1944.